Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fidji (suite)

Le sucre est de loin la première exportation. Les ressources minières se limitent à l’or du nord de Viti Levu, et les industries sont rares, même à Suva, capitale politique et commerciale de l’archipel (80 000 hab.). Les différents groupes raciaux habitent le plus souvent des quartiers différents. Devenu indépendant, l’archipel doit résoudre le difficile problème de la coexistence de deux groupes raciaux très différents : les Mélanésiens sont 225 000 (40 p. 100 de la population totale) et ont un croît naturel annuel de 2,5 p. 100, nettement plus faible que celui des Indiens (3,5 p. 100), aujourd’hui majoritaires (285 000 hab.). Les Indiens, presque tous nés aux Fidji, sont hindouistes ou musulmans ; les Mélanésiens sont catholiques ou protestants ; ils appartiennent à deux civilisations différentes et se sont ignorés jusqu’à présent. La question de la propriété de la terre est la plus angoissante. Une bonne entente entre les deux groupes faciliterait l’essor économique de cet archipel merveilleusement situé au centre du Pacifique, comme le souligne l’importance de l’aéroport international de Nandi, au nord-ouest de Viti Levu.

A. H. de L.

Fielding (Henry)

Dramaturge, journaliste et romancier anglais (probablement Sharpham Park, près de Glastonbury, Somerset, 1707 - Lisbonne 1754).


À l’image de la société anglaise du xviiie s., dynamique et effervescente, Fielding, fils de noble famille par son père, se révèle d’abord un personnage turbulent, que son caractère pousse vers l’action aventureuse. En rupture d’Eton à quatorze ans, il tente d’enlever une jeune fille à dix-huit. Quelques années après, on le retrouve en Hollande, à la faculté de lettres de Leyde. En 1736, marié depuis deux ans, installé à Londres, auteur déjà célèbre, il fait du théâtre de Haymarket, dont il est le directeur, une tribune d’où il lance des attaques féroces contre le gouvernement. Il est frappé par le « Licensing Act » de Robert Walpole*, et c’est alors dans la presse qu’il continuera la lutte partisane, où, avant lui, s’étaient lancés les écrivains de l’« âge de Pope » et de « Dryden ». Assez paradoxalement, on doit à Samuel Richardson* — autre grand du roman du xviiie s., pour l’œuvre de qui Fielding nourrit assez peu d’estime — la transformation du dramaturge virulent et du journaliste d’opposition en vigoureux romancier.


« La vie de tous côtés fournit le ridicule à celui qui sait observer. »

Contraint tôt de gagner sa vie, Fielding se tourne naturellement vers le théâtre, remis au premier plan des activités intellectuelles rémunératrices par une Restauration avide de plaisirs. Si l’art dramatique permet au jeune auteur de pourvoir à sa subsistance, il lui offre surtout le moyen d’aiguiser sa verve satirique contre tout ce qu’il déteste dans les mœurs du temps et aussi dans l’éternelle nature humaine. À peine âgé de vingt et un ans, il écrit Love in Several Masques (l’Amour sous plusieurs masques, 1728), où se retrouvent l’influence de William Congreve et celle de Molière. L’attirance qu’exerce sur lui ce dernier le conduit à donner The Mock Doctor, or the Dumb Lady Cured (1732), adaptation du Médecin malgré lui, comme The Miser (1733) est celle de l’Avare. Fielding, d’autre part, fait jouer en 1734 un Don Quixote in England. Il n’hésitera d’ailleurs pas à reconnaître sa dette envers Cervantès avec son premier roman, Joseph Andrews (The History of the Adventures of Joseph Andrews, and of his Friend Mr. Abraham Adams, 1742), « ... in imitation of the manner of Cervantes, author of Don Quixote ».

Cependant, bien plus que dans la comédie, c’est dans la farce que le moraliste va chercher les verges dont il fustige le ridicule de l’époque et ses adversaires politiques. The Author’s Farce, and the Pleasures of the Town (1730), où les « plaisirs de la ville » sont tournés en dérision, et Tom Thumb the Great (The Tragedy of Tragedies ; or the Life of Tom Thumb the Great [Tom Pouce le Grand], 1731), parodie des drames héroïques mis à la mode au siècle précédent, connaissent un franc succès, aujourd’hui émoussé pour trop coller à l’actualité du temps. Quant aux farces politiques, Pasquin (Pasquin, a Dramatic Satire on the Times, 1736) ou The Historical Register for the Year 1736 (l’Annuaire de 1736), elles soulèvent de tels remous que le ministre Walpole, directement concerné, fait fermer les théâtres dépourvus de licence — dont celui de Fielding —, mettant ainsi un terme brutal et définitif à la carrière du dramaturge. Après un intermède studieux qui le conduira à la magistrature dans les dernières années de sa vie, il va, sous le nom prometteur de « captain Hercules Vinegar », poursuivre dans le journal The Champion (1739-1741) sa campagne contre le vice et la bêtise « continuellement appliqués à se déguiser ». Dans un genre rendu célèbre par Joseph Addison* et Richard Steele un quart de siècle plus tôt, il révèle un bon sens énergique et toujours sa haine de l’hypocrisie. Or, c’est justement une héroïne d’une sincérité douteuse que Richardson offre en 1740 à l’admiration des foules bourgeoises bien-pensantes avec sa Pamela. À ce pharisianisme puritain, à cette vertu calculatrice, Fielding va, tour à tour, opposer une parodique Shamela (Apology for the Life of Mrs. Shamela Andrews, 1741) et surtout Joseph Andrews, où, à travers les « adventures » de ce frère de Pamela, il tourne en ridicule l’auteur de cette dernière.


« Un roman comique est une épopée comique en prose. »

Fielding est passé sans difficulté du journalisme et du théâtre au roman. Lancé dans une satire de Pamela, il oublie assez vite la parodie pour s’abandonner à son humour personnel, à ses dons d’observateur, à son réalisme direct et écrire un vrai roman. Il a en la matière des idées parfaitement définies, exposées au long de la préface de Joseph Andrews, de celle de Jonathan Wild (The Life of Mr. Jonathan Wild the Great, 1743) ou même de celle qu’il écrivit en 1744 pour David Simple, dû à la plume de sa sœur Sarah. Son comique, précise-t-il, arrête le burlesque au style, celui des personnages étant puisé, lorsqu’ils sont ridicules, dans l’« Affectation », elle-même issue de la « Vanité » et de l’« Hypocrisie ». Certes Fielding moralise d’abondance, ce en quoi il se rapproche de Richardson. Mais l’ironie demeure sa meilleure arme, comme il apparaît par exemple dans Jonathan Wild, l’une des satires des Miscellanies (Mélanges, 1743), qui conserve d’étranges résonances actuelles. La vie d’un brigand, Wild, aïeul de nos modernes voyous, lui donne l’occasion de montrer la relativité de cette « grandeur » dont tous les moyens audio-visuels contemporains font une si grande consommation. « Suite d’aventures séparées, distinctes et indépendantes les unes des autres, tendant cependant toutes vers une grande fin unique » — à la manière de l’Odyssée —, le roman de Fielding se caractérise toutefois par l’absence de héros. Il peint des caractères ordinaires sortis du quotidien. Épisodes d’un comique parfois échevelé, péripéties multiples forment un ballet bien réglé, car, fait nouveau, le roman arbore une structure rigoureuse héritée du théâtre et dont Tom Jones (The History of Tom Jones, a Foundling, 1749) est la plus belle illustration. Et aussi, de statique qu’elle est chez Richardson et ses romans par lettres, l’histoire devient action. Le roman s’aère. Il se passe en randonnées et en voyages. Sur les routes où les aventures attendent Joseph Andrews et Abraham Adams, puis Tom Jones. À l’inverse d’un Defoe*, qui s’ingénie à rendre crédible son récit, Fielding ne s’en soucie apparemment pas. Le roman devient réellement fiction. Mais une fiction qui restitue une peinture fidèle et vivante de la première moitié du xviiie s. anglais. Et le lecteur y croit. C’est que les personnages sont vrais. Il y a là tout un peuple d’aubergistes, de servantes ; des squires campagnards, le père de Sophia Western ; des mondaines sur le retour, lady Bellaston ; des soldats, gardes-chasse et autres. Et encore la figure inoubliable du « parson » Adams, l’un des premiers révérends dignes ou pittoresques dont la littérature anglaise s’est fait une spécialité. L’influence de Fielding sur le roman anglais demeurera profonde et durable. Non seulement on la retrouve chez les auteurs de son temps, Smollett ou Goldsmith*, mais encore elle s’exerce au siècle suivant, à des titres divers, sur des écrivains comme miss Austen*, Peacock, Thackeray*, Dickens* ou Meredith*. On pourrait même parler d’une certaine atmosphère « fieldinguesque » baignant le roman comique anglais après Fielding, dont le tenace parfum flotte aujourd’hui encore dans des œuvres comme les Voyages avec ma tante, de Graham Greene.