Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

femme (suite)

La présence d’organes génitaux internes et externes, l’existence d’une physiologie génitale au mécanisme délicat exposent la femme à des affections particulières dont l’étude constitue la gynécologie*. Les modalités particulières à la femme des grandes fonctions physiologiques impriment même à sa pathologie générale des nuances qui l’opposent à l’homme. Beaucoup moins menacée que l’homme par les affections artérielles et coronariennes, elle est plus exposée que lui, par exemple, aux maladies de la vésicule biliaire.

Ph. C.


L’image de la femme

Les critiques multiples de l’archaïque situation intellectuelle de la femme partent de tous lieux et se contredisent souvent. Ainsi, Freud conteste le destin anatomique de la femme et explique la féminité par une situation conflictuelle d’ordre culturel et psychique ; mais ce même Freud est violemment combattu par les plus récents mouvements de libération de la femme. Au travers des systèmes, des évaluations, des manifestes et des révoltes se dégagent deux images antithétiques de la femme : deux imageries plutôt, qu’une théorie complète devrait pouvoir dépasser comme les limites d’une même idéologie. La femme terrifiante, à la fois séductrice et castratrice : c’est l’image que certaines versions de la psychanalyse freudienne confirment et étayent, à l’opposé de l’image de la femme opprimée, objet fétichisé à l’usage des hommes, telle que les mouvements de libération des femmes nous la décrivent. Mais, quelle qu’en soit l’image, la femme engendre le mythe ; à tout le moins, celui du « mystère de la féminité », dont témoigne le mythe de Tirésias. Comme celui-ci avait comblé une déesse, reconnaissante, elle lui permit d’exaucer son désir : être alternativement homme et femme. (Une autre version attribue ce changement de sexe à une intervention du même Tirésias sur un couple de serpents qu’il aurait séparés pendant leur union.) Plus tard, Zeus et Héra se disputaient sur le plaisir des deux sexes, cherchant à savoir qui des deux, de l’homme ou de la femme, éprouvait le plus grand plaisir. Tirésias, consulté en expert, seul à pouvoir comparer, répondit que la femme éprouvait neuf fois plus de plaisir que l’homme : et Héra, furieuse de voir ainsi la vérité dévoilée, le punit de cécité. Mythe de la bisexualité et de la science, le mythe de Tirésias dit aussi le danger qu’il y aurait à lever le voile sur les secrets de la femme. Les pouvoirs de la femme ont été jusqu’alors occultes et puissants du même coup : elle est figurée, et se figure elle-même, à travers les théories de ses révoltées, comme l’Autre de l’homme. C’est donc à une réflexion sur l’essence même de l’altérité que peut conduire une analyse des images théoriques qui l’aliènent encore.


Séduction et castration

C’est en écoutant des femmes que Freud découvrit les effets puissants de l’inconscient. Les personnages des hystériques, dont Freud nous développe l’histoire, sont les preuves vivantes de l’existence de l’inconscient comme instance déterminante du langage et du corps tout ensemble. Les malaises d’apparence organique, les fixations somatiques spectaculaires, comme les grandes crises d’hystérie, héritières des crises de possession démoniaque, sont d’origine psychique et font voir la sexualité hors de son lieu anatomique. Du même coup, la notion de sexualité féminine se déplace et devient une structure complexe, dépendante des rapports de la fille à ses deux parents. Or, dans l’hystérie comme dans toute théorie sur l’enfance, Freud entend le récit d’une séduction. Toutes les hystériques font référence à un épisode de leur enfance au cours duquel elles auraient été séduites par un père abusif. La fréquence des accusations détourne Freud de la réalité du récit, auquel il confère une valeur de fantasme : c’est le rêve et le désir des femmes d’avoir été séduites par leur père, mais ce n’est pas la réalité — sauf cas d’exception. Telle est l’origine de la structure œdipienne pour les filles : amour pour un père séducteur, hostilité pour une mère rivale. Est-ce l’inverse du complexe d’Œdipe pour le garçon ? En fait, il n’en est rien ; car Freud fait état d’une autre séduction, préœdipienne cette fois, exercée par la mère sur les enfants des deux sexes. La mère, par les soins qu’elle donne à l’enfant, par les manipulations corporelles de l’élevage des nourrissons, est, dit Freud, la « première séductrice ». Il faut dès lors comprendre comment cet attachement précoce à la mère se transforme en hostilité : or, en dehors de griefs communs aux deux sexes — fin de l’allaitement, jalousie à la naissance d’un autre enfant —, la fille dispose d’un motif spécifique pour détester sa mère. C’est ici qu’intervient la castration : la petite fille constate bientôt le manque de pénis dont elle est affectée ; le complexe de castration, pour elle, n’est pas qu’on lui enlève quelque chose, mais qu’on le lui ait déjà enlevé. La mère, qui l’a faite telle, est rendue responsable de la castration. Séductrice, castratrice, la mère génère toutes les images de la femme ; les descriptions que Melanie Klein donne des discours enfantins confirment cette imagerie. La femme-mère est comme un ventre-monde dans lequel « l’enfant s’attend à trouver : a) le pénis du père ; b) des excréments ; c) des enfants... » (l’Importance de la formation du symbole dans le développement du Moi). La femme avale et détruit, produit et excrète, par un mouvement terrifiant dont les fantasmes d’enfants témoignent. Mais, en même temps, le premier objet perdu, source de toutes les pertes objectales qui suivront, est le sein nourricier : castration et séduction sont indissociables dans la théorie analytique de la féminité.

Au-delà des postulats théoriques concernant la structure œdipienne, Freud prend parti sur le rôle de la femme dans le développement de la culture. Décrivant le passage des divinités matriarcales aux dieux mâles (Moïse et le monothéisme), il écrit : « ... Le passage de la mère au père à un autre sens encore : il marque une victoire de la spiritualité sur la sensualité et par là un progrès de la civilisation. En effet, la maternité est révélée par les sens, tandis que la paternité est une conjecture fondée sur des déductions et des hypothèses. Le fait de donner ainsi le pas au processus cogitatif sur la perception sensorielle fut lourd de conséquences. » Ce passage de la mère au père s’accompagne d’une prescription normative sur la sexualité féminine : il n’est « normal » que si l’érogénéité se déplace du clitoris, organe enfantin et précoce du plaisir sexuel, au vagin, organe adulte du plaisir. Les révolutionnaires féministes s’empareront à juste titre de ce moralisme théorique ; toutefois, Freud ne semble pas en être convaincu lui-même, à l’en croire : « Le rôle de cette fonction (sexuelle) est vraiment considérable, mais, individuellement, la femme peut être considérée comme une créature humaine. Si vous voulez en apprendre davantage sur la féminité, interrogez votre propre expérience, adressez-vous aux poètes ou bien attendez que la science soit en état de vous donner des renseignements plus approfondis et plus coordonnés. » (Nouvelles Conférences, 5e conférence.)