Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fāṭimides (suite)

Dans ces conditions, les partisans des Fāṭimides en Afrique du Nord se limitent aux Kutāmas, qui ne sont, d’ailleurs, pas toujours dociles. Les rapports de ces Berbères avec leurs maîtres ismaéliens se détériorent après l’assassinat, par ‘Ubayd Allāh al-Mahdī, du dā‘ī Abu Abd Allāh. Les Kutāmas se révoltent alors et vont même jusqu’à proclamer un nouveau mahdī. Les Fāṭimides répriment durement leur opposition et parviennent, par des faveurs de toutes sortes, à s’assurer leur appui.

Paradoxalement, le principal danger ne provient pas du sunnisme, qui constitue pourtant l’idéologie dominante du Maghreb, mais du khāridjisme, dont les adeptes sont relativement peu nombreux. Les Fāṭimides parviennent, tantôt par la répression, tantôt par la corruption, à assimiler l’opposition sunnite, qui ne semble pas les inquiéter outre mesure ; ils n’en ressentent réellement le danger qu’après l’alliance de Kairouan avec le khāridjite Abū Yazīd (v. 883-947).

C’est en effet l’opposition khāridjite qui met la dynastie fāṭimide à deux doigts de sa perte. Dirigés par Abū Yazīd, connu sous le nom de l’« homme à l’âne », soutenus par le calife omeyyade de Cordoue, les Khāridjites parviennent à s’emparer de plusieurs villes importantes et assiègent même pendant un an Mahdia (en ar. al-Mahdiyya), capitale des Fāṭimides. Ces derniers ne réduisent cette révolte qu’en 943-44, quatre ans après son déclenchement.

Les Fāṭimides étaient parvenus auparavant à neutraliser les Rustémides et leurs alliés les Berbères Zénatas ainsi qu’à mettre sous leur autorité les Idrīsides. Ils écartent également le danger omeyyade à l’ouest du Maghreb et celui des Byzantins en Sicile. Cependant, l’ordre n’est réellement rétabli qu’à la fin de la période africaine ; c’est en effet le dernier calife africain, al-Mu‘izz, qui, quelques années avant son départ pour l’Égypte, assure son autorité sur l’ensemble du Maghreb, en soumettant l’ouest du pays grâce à son général Djawhar al-Ṣiqillī († 992).


La conquête de l’Égypte et la période égyptienne

C’est également Djawhar al-Ṣiqillī qui occupe l’Égypte en 969, fonde la ville du Caire et établit la domination fāṭimide dans la vallée du Nil. Minutieusement préparée, la conquête de l’Égypte est facilitée par la désorganisation d’un pays alors en proie aux troubles et à la famine. Pour s’assurer la sympathie de la population, Djawhar se conduit libéralement et concentre ses efforts dans la lutte contre la famine. Il prépare ainsi l’installation de son maître al-Mu‘izz, qui arrive en Égypte en 973.

Comme au Maghreb, les Fāṭimides vont affronter en Orient des adversaires redoutables. Outre les chrétiens — Francs et Byzantins —, ils doivent faire face aux sunnites, représentés par les ‘Abbāssides, les Ḥamdānides et les Seldjoukides, et même aux chī‘ites Buwayhides, qui contestent leurs origines alides. Ces forces constituent autant d’obstacles à la domination de tout le monde musulman. Aussi, les Fāṭimides ne peuvent-ils pas, malgré plusieurs tentatives, réaliser cet idéal. Leur autorité ne dépasse guère le cadre de l’Égypte. C’est à peine s’ils établissent une suzeraineté disputée sur les villes saintes, La Mecque et Médine, jusqu’au calife al-Mustanṣir (1036-1094), sur le Yémen de 987 à 1039, sur l’émirat d’Alep, en Syrie, en 1015 (pour cinquante ans à peine) et sur une partie de la Palestine jusqu’en 1153. Ils perdent même leur autorité sur le Maghreb, dirigé depuis leur départ, en 972, par les Zénatas, qui sont des Berbères comme les Ṣanhādjas. En 1051, l’un de ces derniers, Mu‘izz ben Bādīs (1016-1062), rejette la suzeraineté fāṭimide pour lui substituer celle des ‘Abbāssides. La Sicile se détache également des Fāṭimides, pour entrer, jusqu’à son occupation par les Normands, dans l’orbite de l’Ifrīqiya.

Mais, si les Fāṭimides ne réalisent pas leur rêve de dominer tout le monde musulman, ils parviennent à constituer en Égypte un État et une administration judicieusement organisés ainsi qu’à relever la situation économique du pays.


L’État et l’administration des Fāṭimides

Le pouvoir appartient en principe au calife, l’imām, de la secte ismaélienne, considéré, en tant que descendant de Mahomet, comme infaillible. L’imām, choisi par son prédécesseur, n’est pas forcément le fils aîné. Aucune condition d’âge n’étant requise, le trône peut revenir à un enfant : le pouvoir est alors exercé par un régent, la réalité de ce pouvoir appartenant aux généraux et aux vizirs, qui continuent à le détenir après la majorité du calife.

Fondé par le deuxième calife égyptien, al-‘Azīz (975-996), le vizirat constituera une institution fort importante. D’abord simple agent d’exécution de la volonté du calife, le vizir ne tarde pas à obtenir les pleins pouvoirs pour devenir le véritable maître du pays. Cette puissance du vizir date de l’époque d’al-Mustanṣir. Pour rétablir l’ordre, ce calife fait appel au commandant des troupes de Syrie, qui prend le titre de « vizir de plume et de sabre ». Dès lors, les vizirs, appelés vizirs de sabre, exercent la réalité du pouvoir au détriment du calife.

L’administration, organisée sous les deux premiers califes par Ya‘qūb ibn Killis, un juif converti à l’islām, est fort complexe. Fortement hiérarchisée et fortement centralisée, elle dépend étroitement d’abord du calife, puis, à partir d’al-Mustanṣir, du vizir. Ses divers départements, appelés dīwāns, sont groupés, depuis l’éclipse du calife, au palais du vizir. Les finances sont spécialement bien organisées et permettent à l’État de se procurer des ressources substantielles.


La situation économique et sociale

L’agriculture, que favorisent les crues du Nil, fournit le pays en produits variés (blé, orge, légumes) et permet, grâce aux cultures industrielles (lin, coton, canne à sucre), le développement de l’industrie. Celle-ci est fondée sur le travail du lin, de la soie, du bois, du cristal, du verre, du fer, du cuivre et de l’ivoire. Elle assure la construction de navires, la production de tissus, de papiers, du sucre et divers autres produits de luxe. Le secteur le plus important reste celui du textile, que favorise le faste de la Cour.