Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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fascisme (suite)

Le chef du mouvement siège à l’extrême droite, mais son premier discours, impatiemment attendu, surprend par sa modération. Si, en politique extérieure, Mussolini demeure attaché aux thèses nationalistes, et par conséquent hostile au traité de Rapallo (12 nov. 1920), conclu par le comte Carlo Sforza et pourtant si favorable aux ambitions italiennes, en revanche il tend la main à la Confédération générale du travail, où il feint de discerner un réformisme constructif opposé aux maximalistes du groupe parlementaire socialiste et au jeune parti communiste constitué en janvier à Livourne. Surtout, il se montre plein de déférence envers l’Église catholique. Au Vatican, nombre d’esprits s’ouvrent à l’espoir que réaliseront les accords de 1929 pour mettre fin, avec un « homme sans préjugés », à l’insoluble « question romaine ».


La montée vers le pouvoir

Tandis que s’élabore, sous l’égide du président de la Chambre, Enrico De Nicola (1877-1959), un « pacte de pacification » susceptible de mettre fin aux luttes sanglantes, Mussolini essaie de convaincre ses amis de l’utilité d’un apaisement à l’intérieur et formule des offres de collaboration entre « les trois forces agissantes à l’heure présente dans la vie du pays » (socialistes modérés, démo-chrétiens et fascistes). Les partisans de Mussolini voient bien que leur leader songe avant tout à son triomphe personnel. Or, que serait-il sans eux, pensent beaucoup de jeunes bourgeois, qui ont gagné notamment aux syndicats fascistes l’Emilie et la Romagne ? Ils se refusent, dès lors, à jouer le rôle d’« utilisés » dans le mouvement ; ils le font durement comprendre à Mussolini, et principalement Dino Grandi (né en 1895), avocat de Bologne, dans son journal L’Assalto et lors d’un congrès de dirigeants provinciaux tenu dans cette ville le 17 août. Mussolini y est mis en minorité et doit s’incliner.

L’année 1921 se termine par un congrès national du fascisme tenu en novembre à Rome et qui voit la transformation du mouvement en parti politique ; y est entériné l’abandon du « pacte de pacification ». Le nationalisme triomphe à plein des velléités conciliatrices de Mussolini avec la Yougoslavie, l’alliance du fascisme avec le grand capital est soudée par la renonciation totale aux nationalisations envisagées dans le programme initial de 1919 et au projet de nominativité obligatoire des titres de Bourse présenté par Giolitti. Mussolini est réélu triomphalement en tête de la commission exécutive des Faisceaux, et Grandi — assez loin derrière lui — arrive en seconde position.

L’effort de résistance au désordre tenté par le ministère Bonomi, qui a succédé au cabinet Giolitti le 1er juillet, se heurte dès lors à une recrudescence de la violence fasciste, qui brave ouvertement les autorités préfectorales ou municipales. Un projet de dissolution des escouades de combat est abandonné par le gouvernement, qui n’aurait pu le réaliser qu’au prix d’une guerre civile, le concours de l’armée régulière n’étant même pas absolument sûr. Ivanoe Bonomi (1873-1951) est finalement renversé par une conjonction des socialistes, indignés de sa faiblesse, des fascistes, qui se jugent persécutés, et d’une partie des giolittiens, désireux de ramener leur chef au pouvoir.

Il s’ensuit une interminable crise de deux mois (févr. - mars 1922), qui aboutit au pire résultat : un cabinet dirigé par un médiocre lieutenant de Giolitti, Luigi Facta (1861-1930), le recours au chef ayant été écarté par le secrétaire général du parti démo-chrétien, don Luigi Sturzo, qui estimait possible l’accès de l’un des membres de son parti à la présidence du Conseil.

Rien ne peut plus s’opposer à la vague fasciste : lors de la grève générale des chemins de fer, déclenchée par les éléments extrémistes du syndicat des cheminots en juillet 1922, les fascistes sont substitués aux forces de l’ordre pour contraindre les grévistes, sous la menace du revolver ou du gourdin, à reprendre le travail abandonné. De même ils triomphent des coopératives d’ouvriers du port de Gênes, cependant puissamment organisés et gagnés par D’Annunzio à une sorte de travaillisme nationaliste.

Il ne subsiste plus rien d’agissant dans le pays sans le contreseing du parti fasciste ; pourquoi celui-ci reculerait-il devant la prise du pouvoir ? Des tractations secrètes sont engagées par Mussolini avec les chefs du parti libéral — les anciens présidents Giolitti, Francesco Saverio Nitti, Antonio Salandra — pour savoir quelle place ceux-ci lui réserveraient à leur côté ; Mussolini les trouve consentants à la lui faire très grande. Dans la famille royale, en sus de la reine mère Marguerite, il s’est assuré le concours éventuel d’un cousin du roi Victor-Emmanuel, le duc d’Aoste. Il n’en aura pas besoin. Lorsque Facta se décide, trop tard, à une mesure de défense contre la prédominance fasciste en instituant à Rome l’état de siège, le roi refuse de signer le décret, et le ministère est contraint à démissionner (28 oct. 1922). Les conseillers monarchistes du souverain lui suggèrent eux-mêmes de faire appel à Mussolini, dont les prétentions ont augmenté à mesure qu’il a constaté le désarroi des vieux parlementaires, avec qui il refuse désormais de partager le pouvoir.

Alors intervient l’invitation expresse du roi à Mussolini, le 29 octobre, à venir le trouver de Milan à Rome pour y recevoir la mission de former le gouvernement, et cette fois Mussolini accepte. La « marche sur Rome », que ses amis ont voulu organiser comme une menace et une démonstration de puissance, n’a plus de raison d’être. Elle aura lieu néanmoins, le 28 octobre, après trois jours d’attente des squadristi sous la pluie et sans ravitaillement, en manière de conclusion d’une autre parade spectaculaire à Naples (24 oct.), comme pour rendre tangible l’omniprésence du fascisme au nord et au sud de la péninsule.


Mussolini Premier ministre

La composition du ministère formé par Mussolini est le fruit d’un dosage calculé afin de rallier le maximum de suffrages. Sur treize ministres, le cabinet ne compte, en effet, que trois fascistes, choisis parmi les plus estimables. Auprès d’eux, on trouve quatre libéraux de diverses tendances, deux démo-chrétiens, un nationaliste, deux chefs d’état-major de l’armée et de la marine pendant la Grande Guerre, enfin un philosophe célèbre, Giovanni Gentile (1875-1944), lui-même théoricien du fascisme, à l’Instruction publique.