Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fascisme

Régime totalitaire établi en Italie de 1922 à 1945.



La naissance du fascisme

Le terme de fasci (faisceaux) s’applique pour la première fois en Italie à propos du soulèvement des paysans de Sicile qui, en 1893-94, forment des « faisceaux » de grévistes révoltés contre les conditions inhumaines de leur travail dans une province laissée pratiquement à l’abandon par le gouvernement de Rome. Ce mouvement rencontre de nombreuses sympathies dans toutes les classes sociales et contribue au développement de l’idéologie socialiste, qui ne cessera de progresser, spécialement dans la vallée du Pô, durant les vingt années séparant cet épisode révolutionnaire de la Première Guerre mondiale.

Au printemps de 1914, l’agitateur socialiste qui va devenir le principal promoteur du fascisme, Benito Mussolini*, acquiert une première célébrité durant la « semaine rouge », qui bouleverse la vie des provinces limitrophes de l’Adriatique. Mussolini dirige alors le principal quotidien socialiste, l’Avanti !, qui paraît à Milan ; lorsque la guerre éclate, il authentifie dans ce journal la ligne politique d’hostilité radicale à une participation quelconque des socialistes dans la guerre que se livrent les grandes puissances.

Il existe toutefois dans le pays une minorité composite formée de nationalistes bourgeois et de jeunes prolétaires anarcho-syndicalistes qui espèrent trouver dans la guerre le moyen de secouer l’atonie d’un régime aux mains du monde conservateur. Leur propagande violente, bien qu’en apparence suscitée par des mobiles contradictoires, retient vite l’attention de Mussolini, qui y discerne pour lui-même l’occasion de s’élever à une situation suréminente, dont, toutefois, le but ultime ne lui apparaît pas encore.

Peu à peu se dégage une doctrine influencée par le syndicalisme antiparlementaire de H. Lagardelle, la doctrine de la violence de Georges Sorel, le nationalisme de Maurras et de D’Annunzio.

Ayant noué des intelligences dans les milieux qui sympathisaient avec la cause alliée, Mussolini abandonne brusquement en octobre 1914 la direction de l’Avanti ! en même temps que l’appartenance au parti socialiste et fonde en novembre un quotidien rival, Il Popolo d’Italia, qui va soutenir une politique directement contraire à celle de ses anciens amis, prêchant la nécessité, pour la grandeur de l’Italie et le triomphe d’une révolution constructive, de rompre l’alliance avec les Empires centraux et de participer à la guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne.

De la Première Guerre mondiale, l’Italie, quoique victorieuse dans le conflit, sort déçue dans ses espoirs et profondément troublée à l’intérieur. Le succès de la révolution russe y a fortifié les positions du parti socialiste, demeuré foncièrement hostile à la participation de l’Italie à un brutal règlement de comptes international, qui, en somme, ne la concernait pas directement. La classe ouvrière le fait durement sentir aux officiers, insultés dans les rues, parfois brutalisés, tandis que les syndicats, les maisons du peuple, les coopératives socialistes prennent un développement considérable.

Ces violences et ces succès ne tardent pas à susciter l’inquiétude des milieux bourgeois, surtout des agrariens de la vallée du Pô, où les grèves endémiques des travailleurs agricoles causent des pertes croissantes.

Dès le 23 mars 1919, une organisation groupant, sous le nom de Faisceaux de combat (Chemises noires), les éléments qui ont favorisé l’intervention italienne dans la guerre, auxquels se sont joints nombre d’officiers et de soldats démobilisés, se constitue à Milan à l’appel de Mussolini et esquisse un programme d’action politico-sociale. Ce programme, sans grande portée, unit des revendications banales, telles que la journée de huit heures, le salaire minimum garanti, la représentation proportionnelle aux élections, à des résurgences anticléricales et antimilitaristes d’un autre âge.

Mussolini s’en rend compte lorsqu’en novembre, ayant rompu avec une coalition électorale par trop disparate et tenté sa chance seul à Milan, il n’obtient que 4 000 voix sur 270 000 votants, alors qu’il en escomptait 80 000. Ses amis socialistes d’autrefois, qui remportent au contraire un éclatant succès (170 000 voix), le jugent liquidé et le chansonnent, mais l’heure de la revanche ne tardera pas.

Lorsqu’en septembre 1920 les grèves s’étendent des services publics aux industries métallurgiques et à l’occupation des usines de Milan et de Turin, avec mort d’hommes, s’amorce un choc en retour qui, dès lors, ne cessera plus de s’amplifier, donnant au fascisme sa physionomie définitive de mouvement d’extrême droite.

Les fils de propriétaires terriens, de membres des professions libérales, voire de commerçants et d’artisans s’organisent en escouades de « Chemises noires » pour exercer des « expéditions punitives ». L’argent leur est prodigué par les possédants, et l’armée leur accorde un soutien moral et souvent même des moyens de transport : ils tombent à l’improviste dans un village, un bourg, une petite ville, mettent à sac ou incendient les lieux de réunion et les coopératives socialistes, en chassent et parfois en tuent les occupants, puis regagnent les grands centres sans être poursuivis.

La terreur est telle dans la basse vallée du Pô que les paysans, épouvantés, désertent en grand nombre les ligues socialistes et s’inscrivent dans des ligues rivales que les fascistes font surgir pour regrouper, selon de nouvelles directives de type paternaliste, ceux qui veulent bien les accepter. Mal soutenu par l’opinion publique, le gouvernement réagit mollement.

Le vieux « dictateur » libéral Giolitti*, redevenu chef du gouvernement en juin 1920, espère engluer les jeunes forces fascistes dans les combinaisons parlementaires traditionnelles ; pour cela, il favorise leur insertion dans la majorité qu’il escompte sortir d’une dissolution de la Chambre « ingouvernable » de 1919 à la faveur de nouvelles élections en mai 1921. Mais, cette fois, ses calculs s’avèrent illusoires. Vingt-cinq profascistes et deux fascistes inscrits au « bloc national » sont élus grâce aux complaisances des autorités, et au premier rang Mussolini, triomphalement, à Bologne et à Milan avec 125 000 voix plus conservatrices qu’ouvrières ; dans le même temps (juill. 1920 - nov. 1921), le nombre des Faisceaux constitués à travers le pays passe de 108 à 2 300.