Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fantastique (le) (suite)

Le classicisme n’est pas favorable au climat d’étrangeté entretenu par les maniéristes* et qu’expriment admirablement des artistes d’origine lorraine : sophistication inquiétante des Trois Marie au tombeau de Jacques Bellange (1594-1638), incendies de Claude Deruet (1588-1660), villes fastueuses et menacées de Monsu Desiderio (pseudonyme désignant deux peintres originaires de Metz et actifs à Naples au xviie s.). Mais la mode des « Vanités » incite parfois à des rapprochements insolites et à une rêverie ambiguë sur la condition humaine (Leonard Bramer [1596-1674]). Sans doute involontairement, les travaux encyclopédiques du père Athanasius Kircher (1602-1680) [Arca Noe, China illustrata] et les mannequins précubistes de Giovanni-Battista Bracelli (actif entre 1624 et 1649) évoquent un univers de démiurges et de robots.

L’apparente frivolité du xviiie s. n’a pas été sans produire de poignantes étrangetés, telles les scènes d’inquisition d’Alessandro Magnasco (v. 1667-1749), pour aboutir, dans une explosion du subconscient poétique, au véritable fantastique qui passe, avec le préromantisme, du domaine du surnaturel admis par la raison à celui de l’inexplicable qu’elle refuse : visions magico-bibliques de Blake*, espace purement onirique des Prisons de Piranèse, univers de succubes où Edgar Poe s’enchante « de la terreur indescriptible que Füssli jette sur ses toiles ». Plongeant dans l’inconscient collectif, Goya peint génialement un arrière-monde de dérision et de peurs insoutenables dont Saturne est le dernier dieu.

Mieux que les peintres (à l’exception peut-être d’un Caspar David Friedrich [1774-1840]), les dessinateurs romantiques*, Grandville (1803-1847) ou Edward Lear (1812-1888), atteignent l’atmosphère trouble d’un « autre monde », que Hugo, Doré ou le graveur Rodolphe Bresdin (1825-1885) livrent aux hallucinations du temps.

Parallèlement au renouveau de l’occultisme qui marque la fin du xixe s., un éblouissant regain du génie fantastique se produit. Les symboles multivalents, licornes, masques, spectres, les insectes hybrides, les personnages allégoriques (Prométhée, Orphée) se multiplient (v. symbolisme). Le merveilleux de Gustave Moreau* ne rassure pas, mais inquiète comme les rêveries nocturnes d’Odilon Redon* et les interrogations primitives de Gauguin*. L’érotisme macabre cultivé par Félicien Rops (1833-1898) devient fascination de la femme fatale pour Jan Toorop (1858-1928) et Aubrey V. Beardsley (1872-1898). La détemporalisation des grands états de rêverie se traduit par une angoisse insoutenable chez les visionnaires nordiques : Munch*, Ensor*, Alfred Kubin (1877-1959).

Plus tard, le surréalisme* et la peinture métaphysique mettront en évidence les voies obliques par lesquelles l’absurde ronge le quotidien (De Chirico*, Magritte*), et la source admirable que sont les interdits pour l’imagination (Dali*, Paul Delvaux*). Systématisant le hasard et les associations insolites, donnant libre cours aux fantasmes de l’inconscient, le surréalisme rejoint parfois (chez Victor Brauner* ou Matta*) les arcanes de la magie.

Wols*, Yves Tanguy*, Henri Michaux* prouvent que le malaise ne disparaît pas avec la féerie imitative mais atteint des zones plus obscures que mettent inversement en lumière le pop’art ou l’« hyperréalisme ».

On croit parfois que les artistes s’expriment de façon insolite parce que les structures de leur psychisme sont singulières, mais, remarquait Klee* : « L’art joue innocemment avec les choses suprêmes et il finit pourtant par les atteindre. »

S. M.

➙ Romantisme / Surréalisme / Symbolisme.

 A. Breton et G. Legrand, l’Art magique (Club français de l’art, 1958). / J. Baltrusaïtis, Réveils et prodiges. Le gothique fantastique (A. Colin, 1960). / C. Roy, Arts fantastiques (Delpire, 1960). / M. Brion, Art fantastique (Albin Michel, 1961). / R. de Solier, l’Art fantastique (Pauvert, 1961). / R. Caillois, Au cœur du fantastique (Gallimard, 1965). / D. Larkin, Art fantastique (Éd. du Chêne, 1973) ; le Royaume fantastique (Éd. du Chêne, 1975).


Le cinéma fantastique

Par cinéma fantastique on entend moins un genre défini qu’une série de tendances ayant en commun de transgresser le réel, en se référant au rêve, à la légende, à la magie, à l’épouvante, à la psychanalyse et à la science-fiction. Encore, la liste n’est-elle en rien exhaustive. On pourrait aussi tenter une approche du cinéma fantastique par l’étude des grands courants artistiques auxquels il se rattache, et qui sont essentiellement l’expressionnisme et le surréalisme. Dès sa naissance, c’est-à-dire dès la naissance même du cinéma, le cinéma fantastique eut ses fervents défenseurs. Mais il fut longtemps boudé par la critique et par les « cinéphiles avertis », qui le considéraient comme un genre mineur. Depuis les années 60, il connaît une consécration qui se traduit par la parution d’études, de monographies et l’édition de plusieurs revues spécialisées.

Tenter une vision « panoramique » du cinéma fantastique est chose malaisée. Il convient de se souvenir que les écoles et les genres s’y chevauchent sans cesse. Enfin, tout en étant conscient de ses étroits rapports avec le « fantastique » pur, nous ne traiterons pas, ici, de la science-fiction* au cinéma.


France

L’inventeur du cinéma, épris de réalisme que fut Louis Lumière* ne négligea pas, on le sait, l’intérêt des truquages. Mais c’est Méliès* qui fut, sans aucun doute, le pionnier du cinéma fantastique. La quasi-totalité de son œuvre, « bandes à trucs », féeries, constitue dès 1892 de véritables comédies fantastiques. Ne citons pour exemples que le Manoir du Diable, l’Escamotage d’une dame, la Statue animée, Voyage à travers l’impossible. Quelques années plus tard, en 1913, Louis Feuillade* donne au septième art ses premiers serials et, avec eux, ses premiers personnages de légende : Fantomas, les Vampires, puis Judex. En 1928, Jean Epstein réalise la Chute de la maison Usher.