Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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faïence (suite)

L’art de la faïence

Ni la Crète minoenne, ni la Grèce antique, ni Rome n’ont pratiqué l’art du faïencier, au contraire de l’Égypte, qui, dès l’Ancien Empire, composait un émail bleu turquoise opaque, et de l’Assyrie, dont les célèbres frises du palais de Darios attestent l’emploi de l’émail stannifère. La technique s’en perfectionne dans la Perse sassanide, qui, généralement, grave ses décors émaillés de vert ou de brun sur un fond de ton crème. Vers le xe s. apparaît en Perse le lustre mordoré qu’introduit en Espagne l’expansion musulmane (v. islām [arts]). Mais l’Asie Mineure n’en demeure pas moins l’un des plus brillants foyers de l’art céramique. Ses élégantes compositions ornementales présentent soit des figures environnées de motifs floraux plus ou moins stylisés, soit de véritables miniatures. Nicée (Iznik) est l’un des centres de production les plus féconds.

Installés en Espagne, les musulmans y établissent d’activés faïenceries ; à Málaga d’abord, puis à Valence, Manises et Paterna. Leurs ouvrages se répandent dans tout le bassin méditerranéen. Un exemple en est la célèbre amphore de l’Alhambra de Grenade (xive s.), qui offre un abondant décor d’arabesques inscrit en or et bleu sur champ ivoire, glacé d’une couverte mordorée dont les reflets sont dus à des oxydes de cuivre et d’argent. Dès le xve s., ce style original s’altère. Les ateliers produisent des compositions héraldiques détachées sur un semis de feuilles, ou encore des combinaisons géométriques disposées en zones concentriques.

La chute de l’empire musulman d’Espagne, en 1610, entraîne la décadence des faïenceries hispano-moresques, mais déjà l’Italie possédait leur technique. Orvieto, Sienne et Florence produisent dès le xve s. une poterie émaillée à la manière des « majoliques » espagnoles, importées notamment par l’intermédiaire de Majorque, d’où leur nom. Délaissant la technique originelle du vernissé plombifère, les ateliers toscans adoptent l’émail stannifère, à l’exemple de Lucca Della Robbia*, qui, le premier, couvre ses sculptures monumentales du glacis protecteur. Les faïenciers italiens pratiquent « l’émail cru de grand feu » : agglutinés par un fondant potassique ou sodique, les oxydes métalliques en poudre sont posés au pinceau sur les pièces « dégourdies » par un premier feu d’environ 500 °C, au cours duquel elles prennent leur « retrait ». Le matériau reste avide d’humidité : il absorbe tout d’un coup la couleur, qu’il faut poser franchement. Les pièces ainsi préparées sont soumises alors au grand feu — 1 000 °C —, qui fait des émaux de couleur (peu nombreux à résister à une telle température) un revêtement imperméable.

Dès la fin du xve s., les maîtres faïenciers italiens, à l’exemple des peintres, empruntent leurs motifs à la réalité et dessinent des portraits de profil au creux de leurs plats. Bientôt, ils transcrivent les estampes : ainsi procèdent les ateliers de Faenza, Castel Durante, Urbino, Caffagiolo, Sienne, puis de Padoue, Forli, Ravenne. La formule du lustre métallique est habilement exploitée par les ateliers de Deruta, puis de Gubbio. Le répertoire ornemental s’enrichit des formules dites « a trofei », « a grotteschi », « a candelieri ». L’art du faïencier prolifère, au cours du xviie s., dans toute la péninsule. Rome, Ferrare, Viterbe imitent Urbino ; Montelupo glace d’une coperta noire ou bleu de nuit des pièces qui reproduisent les formes de l’orfèvrerie.

À l’exemple de l’Italie, la Hollande commence une fabrication dont la vocation utilitaire assura l’immense prospérité. Delft en devint bientôt la capitale. En 1611 s’y organise la gilde des « artisans faisant usage de couleurs », où les céramistes coudoient les peintres. Ils produisent une faïence stannifère peinte sur cru, cuite au grand feu, glacée d’une couverte pellucide brillante appelée le kwaart. Les premiers Delft sont décorés en camaïeu bleu ; leur décor offre de savants enchevêtrements où se lisent des kermesses, des combats, des scènes de chasse. Très tôt apparaissent aussi les compositions chinoises, sur le modèle des porcelaines importées dès les premières années du xviie s. Le xviiie s. adopte franchement la technique du décor peint sur émail. Delft laissera une leçon prestigieuse. Non seulement nombre d’ateliers se créeront aux xviie et xviiie s. dans les régions flamandes — Lille en 1696, Bruxelles en 1705, Valenciennes en 1710, Tournai en 1751 —, mais toute la faïencerie française de cette époque s’inspirera de ses exemples.

En 1554, à Lyon, travaillent deux ateliers conduits par des faïenciers italiens. À Rouen, Masséot Abaquesne émaille les carrelages faïences d’Écouen et de La Bastie d’Urfé. À Nîmes, Antoine Sigalon conduit une manufacture dont la production connue s’échelonne de 1544 à 1620. Mais c’est à Nevers que s’organise, en France, un établissement durable. Louis de Gonzague y attire, de Savone, les frères Conrade, qui prennent la nationalité française. Le Louvre possède un plat daté de Nevers, 1589, qui paraît être le plus ancien monument de la production nivernaise et représente le triomphe de Galatée. Dès 1630 apparaissent les décors imités du style persan, à gerbes de fleurs peuplées d’oiseaux, touchés de blanc sur fond bleu lapis ; vers 1660, ce seront les décors chinois et japonais, ainsi que les imitations d’estampes. Au début du xviiie s., Nevers démarquera les décors de Rouen et de Moustiers, mais en perdant son caractère original.

Rouen voit s’ouvrir en 1644, sous le directorat d’Edme Poterat, une manufacture dont les débuts sont marqués par des pièces décorées soit en camaïeu bleu à rehauts jaunes, soit d’un bel émail blanc de lait à décor figuratif bleu. En 1673, Louis Poterat, fils d’Edme, imite le Delft, mais, dès le début du xviiie s., Rouen est en possession de son formulaire caractéristique : encadrement « en broderie », motifs empruntés aux porcelaines chinoises de l’époque de Kangxi (K’ang-hi), polychromie de grand feu rehaussée par un beau rouge qui lui reste particulier ; ce n’est guère avant 1750 que la faïence rouennaise optera pour le style rocaille, à trophées, « paniers fleuris », carquois, etc. La vogue des riches colorations à petit feu la détourne de ses traditions vers 1770, alors que sa formule originelle est suivie par Lille, Sinceny, Saint-Cloud, Quimper et Rennes. Le traité de commerce de 1786 entre la France et l’Angleterre provoquera la ruine des ateliers de Rouen.