Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

expressionnisme (suite)

Sculpture et gravure

En sculpture, l’expressionnisme présente très tôt la même ambiguïté de signification que dans la peinture. Une réaction très volontaire contre Rodin*, contre l’Italien Medardo Rosso* — soit contre la sculpture « impressionniste » — explique seule, en effet, que des œuvres encore fortement imprégnées du symbolisme « fin de siècle » aient pu jouer un rôle révolutionnaire. Ce fut le cas pour Wilhelm Lehmbruck (1881-1919), dont la grande figure de bronze, Agenouillée (1911), fut célébrée à Cologne, lors du Sonderbund, comme le manifeste de l’expressionnisme. À la même époque, Alexander Archipenko* présente à Der Sturm la Femme au chat (1911, albâtre), dont les formes ramassées, issues de l’archaïsme alors très prisé à Paris, sont en tout point contraires à l’étirement maniériste de celles de Lehmbruck. Les sculptures les plus connues d’Ernst Barlach (1870-1938) ont été exécutées au cours des années antérieures à la guerre (le Solitaire, 1911, bronze ; le Vengeur, 1914, bronze). Mais, échappant au milieu berlinois de Der Sturm, elles ne prirent vraiment valeur historique que plus tard, quand Barlach, à cause de l’accent pessimiste de son œuvre, devint un des artistes les plus persécutés par les nazis. Les sources de son inspiration demeuraient pourtant celles d’un homme de la fin du xixe s., redécouvrant la sculpture gothique, les rétables de bois aux figures véhémentes et denses.

Barlach a influencé Käthe Kollwitz (1867-1945), dont la longue et féconde carrière de dessinateur et de graveur — plus encore que de sculpteur — illustre, mieux qu’aucune autre, le « passage » entre symbolisme, expressionnisme et réalisme social. La Mère et l’enfant mort de 1903 (eau-forte) l’emporte sur les pages les plus désespérées de Picasso à cette époque ; la Mort et la femme (1921, bois) joint à la technique de taille des gravures pratiquée par tous les peintres de Die Brücke la massivité plus lisible des formes de Barlach. Enfin, la longue suite pathétique des autoportraits prend place à côté de ceux de ses contemporains Kirchner et Beckmann.


Après 1914


L’Allemagne

La Première Guerre mondiale entraîna le déclin, puis la disparition de l’expressionnisme allemand tel qu’il s’était manifesté peu avant. Les réactions au conflit, désormais individuelles, engendrèrent de nouvelles cristallisations expressionnistes, chez Kirchner (Autoportrait en soldat, 1915, Saint-Louis, coll. part.), chez Kokoschka (Autoportrait, 1917, Wuppertal, coll. part.) et ce recours à l’autoportrait trahit une prise de conscience douloureuse. Mais d’autres artistes, qui devaient constituer après la guerre le courant de la « Neue Sachlichkeit » (« Nouvelle Réalité » ou « Nouvelle Objectivité »), réalisent alors quelques œuvres où l’accent de revendication sociale et de révolte contre la guerre l’emporte nettement : Hommage à Oscar Panizza (1917-18, Stuttgart, Staatsgalerie) de George Grosz, dans une esthétique très proche de celle du futurisme, mais où la ville et les masses qu’elle emprisonne se heurtent dans une atmosphère d’émeute et de rage impuissante ; la Nuit (1918-19, Düsseldorf, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen) où Max Beckmann, tout en empruntant aux retables des primitifs leur dessin dur, leur composition serrée et leur gesticulation véhémente, crée une œuvre d’un irréalisme fantastique sans précédent. C’est au contraire sur l’excès même de la description naturaliste que reposait l’effet de la Tranchée (1920-1923), tableau disparu d’Otto Dix, atroce vision du carnage né du déferlement d’une haine aveugle et stupide. Après de telles prémisses, la Neue Sachlichkeit pouvait difficilement ne point se départir de l’objectivité qui était son ambition, et Beckmann, Grosz et Dix portèrent violemment témoignage contre la mentalité de l’après-guerre. En Allemagne, le « post-expressionnisme » restait fidèle à ses origines ; seul l’éclairage psychologique s’était modifié : à la réaction inquiète, spontanée de l’individu contre son destin se substituaient la satire des milieux, la protestation délibérée contre la coercition qu’ils exerçaient.


La Belgique

La Première Guerre mondiale eut également pour résultat la formation d’un mouvement expressionniste cohérent en Flandre belge, dont les pionniers furent des artistes de l’école dite « de Sint-Martens-Latem » (Laethem-Saint-Martin) [village des environs de Gand] : Constant Permeke*, Gustave De Smet, Frits Van den Berghe, Albert Servaes (1883-1966), Gustave Van de Woestijne (1881-1947). Les origines de ce mouvement sont tout autres que celles de l’expressionnisme germanique : l’indifférence relative des peintres de Laethem pour la vie artistique bruxelloise (très ouverte aux apports français) donna à la leçon des primitifs flamands (exposés à Bruges en 1902) une vertu qui ne devait point se démentir, mais seulement se nuancer par la suite. L’exaltation du terroir et de l’existence âpre et fruste qu’il implique (dont on prend exemple chez Bruegel*) est d’abord le fait de Servaes (les Ramasseurs de pommes de terre, 1909, musées royaux de Bruxelles). Pendant la guerre, Permeke, évacué en Angleterre, inaugure un style plus ample, encore prisonnier pourtant de la mise en page, à tendance décorative, du symbolisme (le Buveur de cidre, 1917, Bâle, coll. part.). Réfugiés à Amsterdam, De Smet et Van den Berghe eurent la révélation du cubisme, dont l’implantation en Hollande est due surtout au Français Henri Le Fauconnier (1881-1946), qui, de 1915 à 1918, pratiqua un expressionnisme que son pessimisme onirique rapprocherait de celui des Allemands, mais dans une technique du clair-obscur très septentrionale (le Rêve du fumeur, 1917, Amsterdam, coll. part.). Parallèlement à Le Fauconnier, le Hollandais Jan Sluyters (1881-1957) connaît de 1915 à 1917 une phase expressionniste dans laquelle le souvenir du Van Gogh de Nuenen est explicite, mais avec une mise en forme dérivée du cubisme (Famille de paysans de Staphorst, 1917, Haarlem, musée Frans Hals). En outre, les Belges prirent contact, par l’intermédiaire de revues, avec l’expressionnisme allemand et l’art nègre. De Smet suivit plutôt Sluyters, en choisissant un site privilégié, le village de pêcheurs de Spakenburg, au bord du Zuiderzee, et en empruntant au cubisme la simplification expressive du dessin (Femme de Spakenburg, 1917, musée d’Anvers). Van den Berghe se situe d’abord dans le sillage de Die Brücke, qui le porta à s’intéresser à l’art nègre et à pratiquer la gravure sur bois (l’Attente, 1919, Bruxelles, musées royaux de Belgique).