Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

expressionnisme (suite)

Les œuvres expressionnistes restent « suspendues » et indécises comme s’il leur manquait le point final : elles sont comme le reflet de l’existence des poètes qui les créèrent ; rarement, en effet, une génération de créateurs fut à ce point persécutée, décimée, exilée. Parmi les poètes, K. Adler, G. Engelke, W. Ferl, A. Lichtenstein, E. W. Lotz, W. Runge, R. J. Sorge, Stadler, A. Stramm tombèrent sur les champs de bataille ; beaucoup durent fuir l’Allemagne en 1933, lorsque les hitlériens prirent le pouvoir : Becher, A. Ehrenstein, Einstein, Hasenclever, M. Herrmann-Neisse, Else Lasker-Schüler, K. Otten, E. Toller, von Unruh, Werfel, A. Wolfenstein, P. Zech ; certains ne trouvèrent pas à l’étranger l’hospitalité qu’ils auraient été en droit d’espérer et se suicidèrent. Et quand ceux qui avaient survécu purent, après la guerre, regagner l’Allemagne, l’expressionnisme était presque oublié.

P. G.

 Menschheitsdämmerung, anthologie expressionniste présentée par K. Pinthus (Hambourg, 1920 ; nouv. éd., 1959). / P. Wiegler, Geschichte der deutschen Literatur (Berlin, 1930 ; 2 vol.). / W. Paulsen, Expressionismus und Aktivismus (Berne et Leipzig, 1935). / Deutsche Lyrik des expressionistischen Jahrzehnts (Wiesbaden, 1955). / K. Edschmid, Lebendiger Expressionismus (Munich, 1961). / I. et P. Garnier, l’Expressionnisme allemand (A. Silvaire, 1962).

Chronologie de l’expressionnisme littéraire

1891

Frank Wedekind : Frühlings Erwachen (Éveil du printemps), créé en 1906.

1898

August Strindberg : Till Damaskus (le Chemin de Damas), créé en 1900.

1904

Ernst Stadler : Präludien (les Préludes).

1905

Fondation de « Die Brücke » (le Pont) à Dresde.

1911

René Schickelé : Weiss und Rot (Blanc et rouge).

Georg Heym : Der ewige Tag (le Jour éternel).

1912

Franz Werfel : Der Weltfreund (l’Ami du monde).

Gottfried Benn : Morgue und andere Gedichte.

Ernst Barlach : Der tote Tag (le Jour mort), créé en 1919.

Reinhard Johannes Sorge : Der Bettler (le Mendiant), créé en 1917.

1913

Oskar Kokoschka : Der brennende Dornbush (l’Épine brûlante), créé en 1917.

1914

Johannes Robert Becher : Verfall und Triumph (Déclin et triomphe).

Ivan Goll : Der Panamakanal (le Canal de Panamá).

Walter Hasenclever : Der Sohn (le Fils), créé en 1916.

Carl Hauptmann : Krieg. Ein Tedeum (Guerre. Un Te Deum).

Georg Kaiser : Die Bürger von Calais (les Bourgeois de Calais), créé en 1917.

Georg Trakl : Gedichte (Poèmes).

1915

Alfred Döblin : Die drei Sprünge des Wang-Lun (les Trois Sauts de Wang-Lun).

Kasimir Edschmid : Die sechs Mündungen (les Six Embouchures).

1916

Georg Kaiser : Von Morgens bis Mitternachts (Du matin à minuit).

1917

Georg Kaiser : Die Koralle (le Corail), représenté la même année.

R. Goering : Seeschlacht (Bataille sur mer), créé en 1918.

Fritz von Unruh : Ein Geschlecht (Une race), créé en 1918.

1918

Georg Kaiser : Gas (Ire partie), représenté la même année.

1919

Ernst Toller : Die Wandlung (le Changement).

1920

Georg Kaiser : Gas (IIe partie), représenté la même année.

Fritz von Unruh : Platz, représenté la même année.

1922

Ivan Goll : Methusalem, créé en 1924.

1923

Georg Kaiser : Nebeneinander (À côté l’un de l’autre), représenté la même année.


L’expressionnisme en art


Avant 1914


Les précurseurs

Si la tendance expressionniste s’est cristallisée en Allemagne avant 1914, ses signes avant-coureurs émanent de l’œuvre de puissantes personnalités originaires des régions périphériques de l’Allemagne : le Norvégien Edvard Munch* (1863-1944), le Hollandais Vincent Van Gogh* (1853-1890), le Belge James Ensor* (1860-1949), le Français Toulouse-Lautrec* (1864-1901). À la fin du xixe s., la peinture européenne, largement dominée par le prestige de l’école française, était encore attachée au réalisme*, soit dans la tradition de Courbet, soit dans celle, plus récente, de l’impressionnisme*, et les précurseurs de l’expressionnisme ont tous bénéficié de l’apport technique de ce dernier, en faveur de l’émancipation de la couleur et de la liberté du métier. Le symbolisme*, qui, de 1890 à 1900 environ, triomphe dans les métropoles artistiques (Paris, Bruxelles, Vienne, Munich), n’intéresse ces précurseurs que dans la mesure où l’intention compte désormais davantage dans l’appréciation de l’œuvre et entraîne une concentration des moyens (lignes et surfaces colorées) tout opposée à l’éparpillement de la touche impressionniste. C’est ainsi que Munch, qui doit tant à la virtuosité graphique du « Jugendstil » (v. Art nouveau), donne avec le Cri (1893, Oslo, galerie nationale) un des manifestes de l’expressionnisme. Cinq ans auparavant, Ensor avait peint l’Entrée du Christ à Bruxelles (1888, en dépôt au musée des beaux-arts d’Anvers), chef-d’œuvre dont la verve caricaturale offre plus de rapports avec l’esprit de Lautrec qu’avec le pessimisme halluciné de Munch ; Lautrec, essentiellement dessinateur, associe parfois à un trait volontiers elliptique des couleurs aux franches dissonances (la Femme tatouée, 1894, Berne, coll. Hahnloser). L’apport de Van Gogh est double ; en 1885, il a déjà exécuté à Nuenen, en Hollande, les Mangeurs de pommes de terre (Amsterdam, fondation V. W. Van Gogh), toile sombre, grassement peinte, aux intentions symboliques évidentes (éloge de la rusticité) et qui n’aura de véritable descendance que beaucoup plus tard ; son œuvre française retient par une psychologie plus profonde (Portrait dit « d’un acteur », 1888, Otterlo, musée Kröller-Müller) et par le dynamisme coloré de l’exécution. Chez ces peintres, si différents l’un de l’autre, l’expérience vécue est inséparable de l’œuvre, et il s’agit de destins éminemment contrariés, par la fréquentation précoce de la maladie et de la mort (Munch), par le poids de l’infirmité (Lautrec), par la misère physiologique et sociale (Van Gogh), par l’entrave permanente d’un milieu stupide et hostile (Ensor).