Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Éthiopie (suite)

L’art éthiopien

Si des groupes préhistoriques de peintures et de reliefs rupestres, autant que de pierres dressées, marquent des sites divers (Harar, Tigré...), les traits particuliers d’un art éthiopien, en revanche, ne s’affirment qu’assez récemment.

La richesse locale en blé, en parfums, en ivoire ou en or ne pouvait que s’épanouir un jour en un certain luxe inséparable de l’art. L’ouverture à l’est, directement sur la mer Rouge, à Adoulis, et au nord, par la route des caravanes et du Nil, sur la Nubie et l’Égypte, prédisposait à des contacts susceptibles d’amorcer, puis de soutenir le développement du goût. La hauteur des plateaux montagneux a dû, néanmoins, longtemps barrer une telle possibilité.

Les migrations sabéennes (du sud de l’Arabie), au ve s. avant notre ère, ont surmonté l’obstacle. Les relations commerciales avec l’Égypte et avec le royaume de Méroé n’ont laissé que quelques traces d’influence aux ier et iie s. ; l’apport sudarabique, lui, a été une véritable implantation, conférant au pays une personnalité qui n’a cessé, depuis lors, de s’affirmer jusque dans les formes chrétiennes, même si celles-ci sont restées longtemps dépendantes de l’Égypte.

L’héritage de cette période, trouvé surtout dans le voisinage d’Aksoum*, consiste en des objets en pierre sculptée — notamment un trône et deux statuettes assises, respectivement de 50 et de 80 cm de haut, dont le style s’apparente aux objets sudarabiques — et même en un sanctuaire dédié au dieu sudarabique Almaqah. Capitale de l’État au ier s. de notre ère, Aksoum élargit ces caractères aux dimensions de monuments plus importants : palais à étages avec saillants et rentrants, analogues à ceux du Ouadi-Hadramaout dans le Yémen ; stèles monolithes d’une trentaine de mètres de haut, à surfaces plates reproduisant en relief ces façades de palais et terminées, après étranglement, en demi-lune ; groupes de pierres levées, arrondies ou plates.

C’est à de tels monuments qu’à partir du ive s. s’est substitué peu à peu un art spécifiquement chrétien. La rage destructrice du sultan Ahmed Gragne, au xvie s., n’en a laissé subsister que de rares témoins, édifices religieux soit peu accessibles, soit capables de défier ses efforts. Dans le monastère de Debra Damo, par exemple, qui couronne une falaise et auquel il faut se faire hisser dans un panier, une église, peut-être du viie s., est de plan basilical, mais son aspect extérieur, par l’alternance, en lits superposés, de pierres et de poutres de bois affleurantes, perpétue le style aksoumite. Celui-ci régnera longtemps, mais aussi bien dans des églises rupestres (dont le nombre dépasse la centaine), qu’elles utilisent une cavité naturelle ou qu’elles soient réservées dans le grès du plateau par un couloir ouvert dans la roche et intérieurement creusées à la ressemblance des nefs d’une basilique.

L’ensemble du monastère de Lalibala, du nom de son fondateur royal (xiiie s.), en est le plus prestigieux exemple. Aujourd’hui, c’est un village de huttes, bordé, à sa limite même, de onze églises formant deux groupes, l’un de deux grottes et de deux demi-grottes, l’autre d’églises monolithes. Celles-ci sont réservées dans la profondeur du plateau, leurs « toits » étant au niveau de la surface du sol dans la rase campagne. Plusieurs atteignent plus de 30 m de long et plus de 10 m de haut. Dans l’une d’elles, Béta Golgotha, des figures de saints debout et de taille réelle émergent en haut relief de niches murales, seuls exemples de sculpture à figuration humaine. Il reste peu de peintures : scènes de la vie du Christ à Béta Merkurios ; décors géométriques ou floraux à Béta Mariam, où l’on décèle l’influence copte de l’Égypte fāṭimide.

À une vie monastique si développée devaient correspondre tout un ensemble d’objets liturgiques et en particulier un nombre considérable de manuscrits à enluminures. De cette période, les manuscrits que l’on a pu inventorier sont rares. Mais l’habileté dont ils témoignent suppose un entraînement séculaire. Le plus ancien connu, l’évangéliaire d’Apa Garima, près d’Adoua, remonte sans doute au xie s. Plusieurs datent du xive s. : ainsi l’évangéliaire du monastère de Saint-Étienne, sur le lac Haïq. Au xve s., la facture est plus fine, comme dans le manuscrit de l’île de Kébran, sur le lac Tana, ou dans celui de Debra Mariam, mais l’iconographie se réduit de plus en plus aux portraits des évangélistes. Un hiératisme d’influence byzantine y est simplifié dans la fixation d’attitudes souvent symétriques, mais il s’y joint des conventions propres à l’Éthiopie : tête allongée de face ou de profil, souvent barbue et aux contours appuyés ; yeux noirs en amande et toujours de face.

Au début du xvie s., l’arrivée de missionnaires portugais contribue à la formation d’un style de Renaissance européenne, qui marque au xviie s. les palais et les églises de la nouvelle capitale, Gondar. Dans le reste du pays, les églises sont de plan circulaire, analogue à celui des huttes campagnardes à murs de pierre et à toit conique de chaume : le sanctuaire, au centre, y est cubique, entouré d’une ou de deux galeries. L’influence occidentale se manifeste dans les enluminures de manuscrits ou les peintures qui ornent diptyques, triptyques, toiles et dépliants de parchemin. La frontalité fait d’abord place au mouvement, aux agencements de scènes ou à la variété des couleurs, mais les conventions éthiopiennes reprennent le dessus.

Tel est cet art essentiellement religieux, reflétant les qualités d’une race où les éléments chamito-sémitiques se sont fondus dans les meilleures proportions.

P. du B.

 R. P. Azaïs et R. Chambard, Cinq Années de recherches archéologiques en Éthiopie (Geuthner, 1931). / A. A. Monti della Corte, I Castelli di Gondar (Rome, 1938). / J. Leclant, « Frühäthiopische Kultur », dans Christentum am Nil (Recklinghausen, 1964). / J. Leroy, La Pittura etiopica (Milan, 1964) ; l’Éthiopie (Desclée De Brouwer, 1973). / J. Pirenne, « Arte sabeo d’Etiopia », dans Enciclopedia dell’Arte antica, classica e orientale, sous la dir. de R. Bianchi Bandinelli, t. VI (Rome, 1965). / G. Gerster, l’Art éthiopien, églises rupestres (Zodiaque, la Pierre-qui-Vire, 1968).