Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Le puritanisme tolère la poésie dans les limites de l’édification religieuse. « Un poème peut toucher où le sermon a échoué », écrit, comme une excuse, le poète pasteur Michael Wiglesworth (1631-1705). Les 124 strophes de 14 vers de The Day of Doom (1662) sont une imitation macabre de Milton. Un autre pasteur, Edward Taylor (v. 1644-1729), écrit secrètement des poèmes, retrouvés en 1937, où la sensibilité mystique devant la nature annonce Emily Dickinson.

Au xviiie s., l’austérité puritaine se tempère dans le Journal secret de William Byrd (1674-1744), grand planteur géorgien formé au goût classique, dans le Journal de Samuel Sewall, négociant à Boston (1652-1730). En poésie, le groupe des « Connecticut Wits » et surtout Philip Freneau (1752-1832) insèrent dans l’imitation de la poésie classique européenne une sorte d’inspiration nationale. Vers 1740, l’assouplissement de l’esprit puritain, la plus grande sécurité, l’enrichissement, le resserrement des liens entre les treize colonies favorisent la conscience nationale. Les éditeurs se multiplient. On publie des almanachs, qui deviennent des journaux, des feuilletons, qui deviennent des romans. Benjamin Franklin (1706-1790) incarne ce développement de l’édition et cette évolution du puritanisme au libéralisme bourgeois. Franklin commence sa carrière littéraire en publiant, de 1733 à 1758, le Poor Richard’s Almanack. Avec lui, le livre sert à diffuser une morale qui voit dans le succès un signe de prédestination. « Je désire, écrit-il, inculquer que le labeur et la frugalité sont les moyens d’acquérir à la fois la vertu et la richesse. » Les maximes, mi-puritaines, mi-capitalistes, de son Way to Wealth (le Moyen de s’enrichir, 1758) fondent l’optimisme libéral américain de l’« opportunity ». Cette mythologie de la réussite s’incarne dans une Autobiography inachevée. Cet homme de bien fait fortune en piratant les romanciers anglais, écrit des histoires lestes lors de son séjour à Paris. Il y a du Beaumarchais chez ce spéculateur épris de lettres, de sciences et de liberté, qui incarne la vitalité et la réussite à l’américaine, avec la meilleure conscience du monde.

Thomas Paine (1737-1809), ramené de Londres par Franklin, devient le propagandiste de l’indépendance américaine. Son pamphlet Common Sense (1776) donne le signal de l’insurrection américaine. En 1791, dans les Droits de l’homme, il défend la révolution française, avant d’élaborer, dans l’Âge de raison, un déisme américain. Mais les deux plus grands textes de la littérature américaine du xviiie s. demeurent la Déclaration d’indépendance (1776), rédigée par Jefferson, Franklin et John Adams, et la Constitution des États-Unis (1787). La clarté du style, l’affirmation sereine et confiante des droits naturels de l’homme et de la raison leur donnent une résonance universelle. Les 85 Essais fédéralistes, écrits en 1787-88 par Alexander Hamilton, John Jay et James Madison, répandent en Amérique cette expression limpide et lucide des droits de la raison qui, en affirmant l’indépendance politique, posent les fondements de l’indépendance littéraire.


Les débuts de la littérature nationale (1780-1820)

La guerre d’Indépendance attira l’attention du monde sur ce pays que Michel de Crèvecœur (1735-1813), Français naturalisé américain, appelait le « pays de la liberté et de l’opportunity ». L’intérêt que lui portait le monde renforça la conscience nationale de l’Amérique. On la regardait. Elle se sentit être. L’Amérique se découvrit en découvrant l’Europe : elle n’était plus colonie anglaise, mais pays d’Occident. Washington Irving* (1783-1859), premier homme de lettres américain, vécut dix-sept ans en Europe. Il en rapporta un Sketch Book (1820) qui révéla l’Amérique à elle-même en lui tendant le miroir de l’Europe et en adaptant à l’Amérique le personnage de Rip Van Winkle (1819).

La rupture politique ne suffisait pas. Pour que la littérature américaine s’affirmât, il fallait une rupture de la tradition littéraire classique. Pays sans société ni tradition, l’Amérique avait un handicap littéraire, qu’analyse John Bristed (1778-1855) en 1818 : « Nous avons peu de livres américains et aucun de bon. Nos institutions démocratiques, qui placent tout le monde dans l’égalité politique, et la répartition à peu près égale de la terre ne permettent pas de variété ni de contrastes dans les caractères. Il n’y a pas davantage place pour les fictions historiques car ce pays est neuf. » Fenimore Cooper se plaint aussi de la difficulté d’être écrivain dans un pays où « il n’y a pas d’annales pour l’historien, pas d’excentricités pour le satiriste, pas de mœurs pour le dramaturge, pas de légendes pour le poète ». Pour que naquît la littérature américaine, il fallait que la nature même de la littérature occidentale, anglaise surtout, changeât. C’est ce que fit le romantisme. En remplaçant l’épopée, la rhétorique et les vers classiques par le roman sentimental, romanesque, historique, et le langage de la noblesse par celui de la roture, en s’inspirant du nouveau, de la nature, de tout ce qui est opprimé ou hors la loi, le romantisme libérait les écrivains américains de leurs complexes et handicaps.

Ce sont les romans sentimentaux anglais de Richardson que William Hill Brown (1765-1793) imite dans The Power of Sympathy (1789), premier roman américain. Sans la vogue des romans gothiques anglais, Charles Brockden Brown (1771-1810) n’eût pas écrit Wieland (1798), Arthur Mervyn (1799-1800), Edgar Huntly (1799), romans de terreur où le romanesque se teinte de couleur locale américaine. Sans Walter Scott, enfin, il n’y aurait pas eu Fenimore Cooper.


Le xixe siècle

Fenimore Cooper* (1789-1851) donne à l’Amérique sa mythologie en transcrivant sur le mode romantique les grands thèmes de l’histoire américaine : le peuplement par les pionniers, la guerre d’Indépendance, la lutte contre les Indiens, les rivalités franco-anglaises et la conquête de la Prairie. Le mythe de la Prairie et l’opposition de l’Est et de l’Ouest deviennent opposition du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres. Immensité du continent, solitude de l’homme, rareté de la femme, noirceur des sauvages et des esclaves : les grandes obsessions du roman américain sont en germe chez Cooper. Commencée avec les Pionniers (1823) et la Prairie (1827), l’épopée de Bas-de-Cuir s’achève en 1841 avec le Tueur de daims, créant la silhouette légendaire et ambiguë du bon sauvage blanc. Cooper, pour le meilleur et pour le pire, impose au monde une image de marque de la littérature américaine. En ce sens, il est le pionnier du roman américain, bien que Hugh Henry Brackenridge (1748-1816) ait probablement donné une image plus réaliste de la vie américaine dans Modern Chivalry.