Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Accentuant alors la politique du containment, John Foster Dulles la transformerait volontiers en un refoulement s’il n’était freiné par le président Eisenhower*. Refusant toute nouvelle intervention directe, celui-ci encourage la conclusion d’accords locaux de défense, qui étendent chaque fois le champ d’action de la politique militaire américaine. Après les traités de Rio (1947) avec les pays d’Amérique latine, de San Francisco (1951), qui autorise le réarmement du Japon, et de l’ANZUS avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande (1951), ce sont les accords avec l’Espagne (1953), ceux de Paris sur le réarmement allemand (1954), puis les pactes du Sud-Est asiatique (1954) et de Bagdad (1955). Ainsi se trouve complétée la chaîne des alliances militaires qui « contiennent » le monde communiste et permettent l’installation de plus de cent grandes bases américaines dans le monde, tandis que la présence des VIe et VIIe flottes en Méditerranée et à Formose assure la protection des points les plus névralgiques. Cette stratégie est fondée sur la supériorité de l’aviation américaine, qui conserve une avance technologique considérable sur sa concurrente soviétique. Les progrès réalisés (ravitaillement en vol), augmentant le rayon d’action des bombardiers, rendent ceux-ci plus indépendants des bases en territoire allié, dont l’existence entraîne souvent des difficultés d’ordre politique. Mais l’effort poursuivi dans le domaine aérien a, sans doute, retardé les réalisations dans celui des missiles intercontinentaux, que choisira précisément l’U. R. S. S. pour conquérir la parité nucléaire avec les États-Unis. L’avance atomique de ces derniers ne cesse, en effet, de s’amenuiser : si le premier engin thermonucléaire américain explose le 1er novembre 1952, il est suivi moins de dix mois après par son homologue soviétique. Dès 1956, la menace soviétique au moment de l’affaire de Suez* laisse supposer que l’U. R. S. S. dispose de vecteurs atomiques portant de 5 000 à 6 000 km.


Équilibre nucléaire et nouvelle stratégie

Le 4 octobre 1957, la mise sur orbite par l’U. R. S. S. du premier « Spoutnik », utilisant une technique très proche de celle du lancement et du guidage d’un missile intercontinental, est pour Washington une tragique surprise. Pour la première fois de leur histoire, le territoire des États-Unis peut être placé sous la menace directe du feu adverse. La réaction du Pentagone sera très vive : tout sera mis en œuvre pour parer à ce danger, et la stratégie américaine devra être entièrement repensée sous le signe de la défense.

Déjà la protection aérienne des États-Unis venait d’être intégrée avec celle du Canada par la création, en 1957, du North American Air Defense Command (ou NORAD), installé à Colorado Springs et qui déploie, face au pôle Nord, une nouvelle ligne de surveillance, dont les centres principaux sont à Thulé (Groenland), à Clear (Alaska) et à Fylingdales Moor (Grande-Bretagne). Pour gagner du temps, en attendant la mise en service des missiles intercontinentaux de type « Atlas », les bases périphériques sont équipées d’IRBM, missiles de portée intermédiaire (« Thor » et « Jupiter »).

C’est à la nouvelle équipe arrivée au pouvoir en 1961 avec le président Kennedy et animée par le secrétaire d’État Robert S. McNamara qu’il appartient de définir la nouvelle stratégie américaine dite « de la riposte graduée » (flexible response). Son premier objectif est d’achever de combler le « trou » (missile gap) existant dans le domaine des missiles. Estimant, toutefois, que l’apparition des missiles intercontinentaux soviétiques conduit à un équilibre dans les moyens de destruction qui, à condition d’être maintenu, écarte le risque d’une guerre totale entre les deux puissances, McNamara condamne la théorie des « représailles massives », qui a perdu sa raison d’être. Mais le problème des conflits limités reste entier et exige, pour y faire face, de pouvoir adapter le plus exactement possible à la nature de la menace la gamme des moyens militaires à mettre en œuvre pour y répondre. Il en résulte, pour la politique américaine des années 60, une triple orientation :
— maintien de l’équilibre nucléaire, rétabli dès 1962 par la réalisation des programmes d’ICBM « Polaris » et « Minuteman », avec une priorité donnée désormais aux missiles (et par là même aux engins spatiaux) ;
— renforcement des armées en moyens conventionnels d’intervention, qui aboutit à la création, en 1961, du Strike Command, disposant de huit divisions aérotransportables aptes à effectuer toute opération qui s’avérerait nécessaire (leur efficacité est démontrée lors de l’exercice Big Lift, qui, en 1963, amène en trois jours du Texas en Europe la 2e division blindée américaine) ;
— concentration accentuée du commandement à l’échelon du président, seul à même de choisir les moyens militaires adaptés à chaque conjoncture et d’empêcher en cas de crise, par le maintien du contact avec l’adversaire, que l’« escalade » ne dégénère en guerre totale (un système de « clé », adapté sur les armes nucléaires, les rend inertes, sauf réception d’un message codé émanant directement du président).


Accords de Moscou, Viêt-nam et doctrine Nixon

Ainsi apparaît paradoxalement la nécessité d’un dialogue américano-soviétique, concrétisé par les rencontres de Khrouchtchev avec Eisenhower (1959) et Kennedy (1961), et par l’établissement du fameux télétype rouge entre la Maison-Blanche et le Kremlin.

Cette stratégie nouvelle, mise à l’épreuve lors de la crise de Cuba en 1962, aboutira aux accords de Moscou (1963), qui, interdisant les essais aériens d’armes nucléaires, tendent à stabiliser la situation d’équilibre atteinte en matière d’armements par les États-Unis et l’U. R. S. S. McNamara, qui conservera son poste jusqu’en 1967, poursuivra la même politique de défense avec le président Johnson. Renonçant d’abord à développer la défense antimissile des centres vitaux des États-Unis, il fonde celle-ci sur la puissance de nouveaux moyens offensifs que seront les « Minuteman III » et les « Poseidon », ICBM à charges nucléaires multiples et à trajectoire variable. Cependant, face à la nouvelle menace créée par l’explosion de la première bombe thermonucléaire chinoise (1966), il se rallie à la conception d’un système limité de protection des villes (Sentinel), que le président Nixon transformera à son tour (1969) en un nouveau programme (Safeguard) limité à la protection des sites de lancement d’ICBM.