Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Mais la satisfaction générale ne va pas sans quelques inquiétudes. La prohibition est à l’origine du prodigieux développement du gangstérisme et de la contrebande. Contre les Noirs, les juifs et les catholiques, contre les socialistes et tous les non-conformistes, un nouveau Ku Klux Klan connaît une période brillante : en 1925, il compte 5 millions de membres ; son empire s’étend sur le Sud, le Middle West, l’Ouest. Dans le Sud, surtout, les fondamentalistes redoutent les effets de l’enrichissement sur les valeurs morales ; ils souhaitent le retour aux fondements de la pensée biblique et font condamner en 1925 un jeune instituteur du Tennessee qui a dit, contrairement aux lois de l’État, que l’homme descend du singe.

D’ailleurs, la réussite matérielle n’est pas le lot de tous. En 1929, 6 millions de familles, sur 27,5 millions, ont un revenu annuel inférieur à 1 000 dollars, et 20 millions disposent de moins de 2 000 dollars.

Parmi les « laissés pour compte » figurent les fermiers, c’est-à-dire les deux cinquièmes de la population. Certes, ils ont, pour la plupart, profité des besoins créés par la guerre. Mais la révolution technologique a bouleversé leur vie. De plus en plus, ils sont dépendants de l’auto, du tracteur, des machines modernes, sans lesquels la productivité n’augmentera pas. Les investissements sont donc élevés. Le fermier est contraint de vendre plus et d’accroître la production. Mais, depuis 1920, l’Europe satisfait la plus grande partie de ses besoins. Les prix agricoles aux États-Unis baissent : en 1919, les fermiers recevaient 16 p. 100 du revenu national ; en 1929, ils doivent se contenter de 8,8 p. 100. Les droits de douane protègent les industries, mais gênent les exportations de produits agricoles. Ne pouvant faire face aux échéances, accablés d’impôts — qui, eux, n’ont pas baissé —, les fermiers sont les premières victimes de la nouvelle société : 5 millions d’hectares retournent en friche ; les propriétaires deviennent locataires ; les pressions qui s’exercent sur le gouvernement fédéral sont inefficaces.

Ce dernier refuse aussi de tenir le rôle de régulateur de la vie économique. À la spéculation effrénée qui se donne libre cours dans les Bourses et dans les banques, il n’oppose aucune résistance. À toute demande de moyens monétaires plus abondants, qui sont nécessaires pour soutenir l’essor économique, il oppose le sacro-saint dogme de l’étalon-or. En élevant encore les barrières douanières, il prive l’industrie de débouchés extérieurs pour lui donner une protection qui n’est pas indispensable. Il souhaite que l’économie européenne retrouve son activité normale et laisse les banques américaines accorder dans l’anarchie des prêts à l’Allemagne, mais il refuse de passer l’éponge sur les dettes de guerre dont la France et la Grande-Bretagne ne peuvent pas, sans souffrir, assurer le remboursement.

Les erreurs des gouvernants et l’avidité des spéculateurs sont à l’origine de la crise boursière, puis économique qui éclate à Wall Street en octobre 1929 et qui marque le début de la crise économique. En une semaine, les cours font une chute vertigineuse ; 659 banques en 1929, 1 352 en 1930 et 2 294 en 1931 ferment leurs guichets. En toute hâte, les Américains rapatrient d’Allemagne et d’Autriche les capitaux qu’ils avaient placés et entraînent l’Europe dans la crise. Du fait de la diminution des ressources et dans l’attente d’un abaissement prolongé des prix, la consommation s’effondre. Le produit national brut diminue de moitié entre 1929 et 1933. Les usines ferment : il y a plus de 13 millions de chômeurs en 1933, soit un ouvrier sur quatre ; rien n’est prévu pour leur porter secours. Pour ceux qui ont la chance de conserver leur emploi, les heures de travail sont réduites ; le chômage partiel s’installe.

Le logement, les relations familiales, l’éducation des enfants, tout subit les effets du bouleversement. Une génération d’Américains en subira l’empreinte. L’agitation gagne le monde ouvrier et les classes moyennes.

Le président Hoover est désarmé. Brillant administrateur, il a géré la prospérité. Pour lui, la crise est passagère : « La prospérité, dit-il, est au coin de la rue. » Sa politique est insuffisante : le renforcement du protectionnisme douanier ne résout pas le problème des campagnes et déclenche une réaction violente en Europe. La Reconstruction Finance Corporation, un organisme financier destiné à aider les entreprises en difficulté, ne parvient pas à faire repartir l’industrie. Hoover s’oppose à l’inflation monétaire, aux subventions fédérales directes qui financeraient des travaux publics, au versement de la prime des anciens combattants. En 1932, par son attitude, il a perdu toute popularité. Le candidat démocrate l’emporte aux élections présidentielles de novembre.


Le New Deal

Lorsque Franklin D. Roosevelt entre à la Maison-Blanche, beaucoup d’usines sont fermées ; des chômeurs habitent, en plein centre des villes, des baraquements, ironiquement surnommés hoovervilles ; les banques ne remboursent plus leurs clients ; les scènes les plus atroces se déroulent dans les rues et dans les campagnes.

Par son charme, son aisance, ses formules percutantes, sa santé physique (malgré une paralysie des membres inférieurs), Roosevelt va transformer l’atmosphère. Il promet à ses concitoyens une nouvelle donne (a new deal) des richesses nationales. Mais son programme est vague ; le président a confiance dans l’expérience. Aussi, le New Deal est-il surtout une méthode.

Avec Roosevelt, la présidence devient le centre moteur de la société américaine. Le chef de l’Union reste en contact étroit avec l’opinion qu’il conduit, sans trop la précéder, qu’il informe et rassure par ses « causeries au coin du feu » radiodiffusées, qu’il manœuvre aussi par une remarquable utilisation de la conférence de presse. Son Brain Trust est composé d’universitaires, de juristes, d’économistes, de social workers. L’administration de Washington prend une extension considérable : les grandes lois sont appliquées par des commissions ou des agences qui ont été créées tout exprès. Les dépenses fédérales, qui s’élevaient à 20 millions en 1830, puis à 500 millions en 1900, atteignent 9 milliards en 1940 et la somme astronomique de 99 milliards en 1945.