Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (République fédérale d’) (suite)

En 1968 a été autorisé à nouveau un parti communiste, la Deutsche Kommunistische Partei (DKP), héritière de la KPD. Celle-ci avait perdu de plus en plus d’influence entre 1949 et 1953, passant de 5,7 p. 100 des suffrages à 2,2 p. 100, avant d’être interdite par un arrêt du Tribunal constitutionnel en août 1956. Il ne semble pas que le nouveau parti ait plus de chances que ses prédécesseurs. L’opposition d’extrême gauche s’organise surtout en dehors du Parlement, autour du SDS et des clubs républicains. Mais son influence reste très faible, surtout dans la classe ouvrière, ce qui tend à montrer que la soziale Marktwirtschaft a su intégrer les travailleurs dans la nouvelle société allemande.


Le miracle économique allemand

En 1945, il n’y a plus d’économie allemande. De 1945 à 1947, elle demeure précaire, d’autant plus que certaines industries sont interdites et d’autres démontées. En 1946, le revenu national représente la moitié de celui de 1939, et l’indice de la production industrielle est le quart de celui de 1936.

À cette époque, l’économie allemande est dominée par l’inflation et la misère. Elle ne repart vraiment qu’en 1948, avec la réforme monétaire. Cette reprise est favorisée par la tension entre l’Est et l’Ouest. Celle-ci desserre l’étau qui entrave la production allemande et dégage à son profit des masses considérables de capitaux. De 1950 à 1960, la croissance s’effectue à un rythme annuel moyen supérieur à 7 p. 100, alors que la France s’en tient à 4 p. 100, la Grande-Bretagne et les États-Unis à 3 p. 100. De 1950 à 1967, le produit national brut a presque triplé, passant de 113 milliards à 333 milliards de deutsche Mark à prix constants.

La croissance de l’économie allemande est due tout d’abord à l’afflux des expulsés et des réfugiés, qui font passer la population active de 20 à 27 millions de personnes de 1950 à 1966.

Elle est due également à l’attitude de la classe ouvrière. De 1949 à 1955, la part des salaires dans le produit social tombe de 42,2 p. 100 à 40,6 p. 100. Le redémarrage de l’économie se fait pendant un certain temps grâce à un investissement au détriment des salaires, ce qui permet, une fois l’économie reconstituée, une hausse considérable de la part des salaires dans le revenu national : 66 p. 100 en 1965. L’Allemagne est alors le pays de la Communauté économique européenne où ce pourcentage est le plus élevé.

Tout cela est facilité par des investissements considérables. De 1950 à 1960, le capital de la R. F. A. a connu un développement prodigieux et, aujourd’hui, la formation brute du capital représente 25,5 p. 100 du produit national brut. À cela il faut ajouter une organisation remarquable de la production. L’influence américaine est ici essentielle. D’ailleurs, une part importante de la production est contrôlée par les Américains : 80 p. 100 du pétrole, 45 p. 100 des textiles artificiels, 35 p. 100 de l’automobile. Les konzerns s’élargissent et, peu à peu, on voit s’intégrer la construction mécanique, les industries chimiques et électroniques, où la concentration atteint un haut niveau. Un autre facteur intervient aussi : l’intérêt accordé à l’exportation. Dès 1952, les exportations l’emportent sur les importations. En 1967, elles dépassent 70 millions de deutsche Mark. En définitive, l’économie allemande retrouve dès 1950 son niveau de 1936 et, en 1969, elle triplera presque sa production de 1936. Tout cela amène une profonde mutation sociale.

Le nombre des ouvriers, s’il augmente en chiffre absolu, décroît de manière relative au profit de celui des employés et des cadres moyens. Ainsi se constitue une classe moyenne de plus en plus importante. Dès à présent, fonctionnaires et employés représentent le tiers de la population allemande. La part des ouvriers est tombée de 50 à 40 p. 100. D’ailleurs, la classe moyenne s’étend bien au-delà de la classe moyenne traditionnelle. Selon certains sociologues allemands, on peut y inclure une bonne partie de la classe ouvrière, en particulier tous ceux de ses membres qui touchent un salaire mensuel, dont la proportion augmente rapidement en Allemagne. D’autre part, la majeure partie de la classe ouvrière allemande cherche aujourd’hui à se rapprocher de la classe moyenne. Mais le plus gros obstacle à son intégration dans cette classe est l’insuffisante démocratisation de l’enseignement supérieur. Cela explique, au moins en partie, l’action des étudiants d’extrême gauche en Allemagne depuis 1967.

Cette évolution économique et sociale est peut-être cause du caractère particulier du syndicalisme allemand. Reconstitué après la guerre (1949), il est dominé par un syndicat, le Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB), mouvement qui rassemble 6 600 000 syndiqués, soit 40 p. 100 des travailleurs allemands. Le DGB regroupe plusieurs syndicats, dont les principaux sont l’IG Metall (2 millions d’adhérents) et l’IC Chemie (550 000 adhérents). À côté du DGB existent deux autres syndicats, le Deutscher Beamtenbund (DBB), syndical des fonctionnaires (700 000 adhérents) et la Deutsche Angestellten Gewerkschaft (DAG), syndicat des employés (500 000 adhérents). Le syndicalisme allemand se veut syndicalisme de gestion. Il ne cherche pas à transformer les structures fondamentales de la société, mais à s’y intégrer. Ce qu’il veut, c’est accélérer la démocratisation de la vie politique et économique. Depuis la guerre, il se bat pour développer la cogestion de l’économie au sein de l’entreprise comme au niveau régional et national. Deux lois ont été votées en 1951 et 1952, qui ont établi dans les grandes entreprises un certain nombre de règles de cogestion, mais cette cogestion n’est pas totalement paritaire, et dans une large mesure elle est tronquée. Aussi, actuellement, la grande revendication du DGB est-elle l’adoption d’une loi généralisant la cogestion (Mitbestimmungsgesetz). Le syndicalisme allemand dispose de moyens d’action d’autant plus considérables qu’il contrôle la quatrième banque allemande, la Bank für Gemeinwirtschaft. On estime à plus d’un milliard de deutsche Mark la fortune globale du DGB.

Ainsi peuvent s’expliquer la prospérité économique et la stabilité socio-politique de l’Allemagne. La soziale Marktwirtschaft, qui depuis vingt ans domine l’économie allemande, a joué un rôle considérable. Elle a inspiré l’action du professeur Erhard aussi bien que celle de l’économiste socialiste Karl Schiller (né en 1911).