Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Essenine (Sergueï Aleksandrovitch) (suite)

L’audace et la démesure des images par lesquelles Essenine accueille la révolution font de lui le chef de l’école « imaginiste », qui prétend supplanter le futurisme à l’avant-garde de la poésie russe. Cependant, dans son essai théorique Klioutchi Marii (les Clefs de Marie, 1918), il s’inspire surtout des travaux des ethnographes et des folkloristes ainsi que des croyances gnostiques de certaines sectes populaires (dans le langage desquelles Marie signifie l’âme) pour justifier une poétique symboliste fondée sur la recherche de l’image « angélique » (préférée à l’image « vignette » et à l’image « nef »), qui exprime à ses yeux la fonction religieuse et « mythopoïétique » de l’art.

Les outrances verbales des poèmes imaginistes de 1919-1921 (Pantokrator, Kobylii korabli [les Juments-navires], Pesnia o khlebe [la Chanson du pain]) traduisent le désenchantement du poète devant le reflux de la vague révolutionnaire et son désespoir devant le triomphe inéluctable de la machine sur le vivant (Sorokooust [la Prière des morts]). Le pessimisme s’exprime dans la tragédie en vers Pougatchev (1921), qui évoque l’échec de la révolution paysanne. Essenine cultive dans la vie et dans son œuvre, dont les frontières tendent à s’effacer, l’image du hooligan (voyou), du poète déchu qui « lit ses vers aux prostituées et siffle la gnole avec les bandits » (Stikhi skandalista [Poèmes de l’homme à scandales], 1923 ; Moskva kabatskaïa [Moscou des tripots], 1924).

Un long voyage en Europe occidentale et aux États-Unis avec la danseuse Isadora Duncan, sa femme de mai 1922 à octobre 1923, le réconcilie avec la Russie des Soviets, dont il accepte l’inéluctable transformation. Faisant le bilan des années écoulées, Essenine célèbre à présent sur le mode épique la révolution (Pesn o velikom pokhode [la Chanson de la grande marche], son chef Lénine (Kapitan zemli [le Capitaine de la terre], ses héros (Ballada o 26 [Ballade des 26]) ; il s’émerveille, avec une pointe d’ironie mélancolique, de voir la jeunesse de son village natal lire Marx et adhérer au Komsomol (Rous sovietskaïa [Russie soviétique]). Revenant sur son destin, notamment dans la nouvelle en vers Anna Snieguina (1925) et dans les poèmes Pismo k materi (Lettre à ma mère) et Pismo k jenchtchine (Lettre à une femme), il proclame sa conversion à la vie nouvelle et sa confiance en l’avenir.

Cependant, le sentiment de l’irrémédiable reste au cœur de sa poésie, marquant d’une note de mélancolie ses poèmes les plus optimistes. Il s’exprime par le contraste des deux personnages auxquels Essenine s’identifie tour à tour : celui du jeune paysan plein d’espoirs et celui du poète gâté par la gloire, dandy blasé et prématurément vieilli. Ce dédoublement tragique de la personnalité du poète apparaît sous un jour particulièrement cru et dramatique dans le poème Tcherny tchelovek (l’Homme noir, 1925), qui aide à comprendre son suicide, survenu le 27 décembre 1925.

L’impression de sincérité absolue que donne la poésie des dernières années est soulignée par la limpidité retrouvée d’un langage direct, marqué seulement par l’harmonie du vers, le choix très personnel des épithètes et surtout l’originalité d’une intonation qui combine la musicalité de la romance, avec ses reprises (notamment dans le cycle des Persidskiïe motivy [Motifs persans], écrits à l’occasion d’un séjour en Transcaucasie en 1924-25), et la nonchalance familière de la lettre à un intime.

M. A.

 S. Laffitte, Serge Essenine (Seghers, 1959). / F. De Graaf, Serjej Esenin, a Biographical Sketch (La Haye, 1966). / E. Naoumov, Serguéï Essenine, sa personnalité, son œuvre, son époque (en russe, Leningrad, 1969). / P. Pascal, « Essenine, poète de la campagne russe », dans la Civilisation paysanne en Russie (l’Âge d’homme, Lausanne, 1969).

Essonne. 91

Départ. de la Région Île-de-France, au sud de Paris ; 1 811 km2 ; 923 061 hab. Ch.-l. Évry. S.-préf. Étampes et Palaiseau.


Créé en 1964 dans le cadre du nouveau découpage administratif de la Région parisienne, l’Essonne est un des quatre départements de la Région qui ne jouxtent pas Paris (appelés parfois pour cela « de la deuxième couronne »). Il résulte du partage du département de Seine-et-Oise et a été essentiellement constitué avec les anciens arrondissements de Corbeil-Essonnes et d’Etampes. Le taux de croissance de la population de 1968 à 1975 a été de près de 40 p. 100, le plus élevé de France. Il tire son nom de la rivière Essonne, longue de 90 km, formée dans le Gâtinais par la réunion de la Rimarde et de l’Œuf (qui passe à Pithiviers) et qui rejoint la Seine à Corbeil.

Le relief est simple : des plateaux séparent des vallées (de la Seine, de l’Essonne, de l’Orge et de ses affluents de gauche : Renarde, Yvette, Bièvre). Dans le Hurepoix, les vallées sont nombreuses, les plateaux plus élevés, les coteaux festonnés ; dans le nord de la Beauce, les vallées disparaissent. En outre, l’Essonne comprend une petite partie du Gâtinais, au sud, et de la Brie française, à l’est sur la rive droite de la Seine.

Le point culminant (180 m) se situe à l’extrémité nord, à la limite des Hauts-de-Seine, dans le bois de Verrières. Tandis qu’entre Orge et Essonne le plateau est à 80-90 m, en Beauce, l’altitude se relève jusque vers 150 m. Les fonds de vallée (entre 30 et 40 m) sont souvent marécageux, comme le long de la basse vallée de l’Essonne en amont de Mennecy.

Les deux tables de meulière de Brie, à l’est, et de meulière de Beauce, à l’ouest et au-dessus, sont séparées principalement par les sables et les grès de Fontainebleau déblayés par les rivières. Ainsi se tourne vers l’est le coteau très disséqué du Hurepoix, qui se dresse principalement entre Longjumeau et Arpajon. Les plateaux sont souvent recouverts d’un important apport de limon éolien, et il a fallu les drainer. Les bois sont nombreux en Hurepoix (forêt de Dourdan).

Mais les régions naturelles, historiques ou agricoles s’estompent devant le fait essentiel : l’extension continue de la banlieue parisienne. Celle-ci recouvre au nord une soixantaine de communes (le tiers du département), qui ont près de 800 000 habitants (plus de 80 p. 100 du département). Cette population banlieusarde s’est accrue de près de 50 p. 100 en sept ans, en raison de la construction de grands ensembles comme à Grigny ou à Saint-Michel-sur-Orge (augmentation due surtout à une balance très positive des migrations). Le sud du département est resté essentiellement rural et même provincial. Il a une population inférieure au quart de celle de la partie nord : environ 150 000 habitants répartis entre près de 140 communes. Sa croissance a été malgré tout de 20 p. 100 de 1968 à 1975, due pour moitié à l’accroissement naturel.