Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Espagne (suite)

Les investissements de capitaux étrangers

Leur volume s’est considérablement accru après 1959, des facilités leur ayant été accordées par le gouvernement. Ils peuvent prendre des formes diverses : financement direct aux entreprises, aide technique, licence de fabrication, investissements de portefeuille, investissements immobiliers. Le montant total, estimé à 56 millions de dollars en 1961, est passé à près de 700 millions en 1970. Parmi les pourvoyeurs de capitaux, les États-Unis viennent largement en tête, suivis de l’Allemagne fédérale, de la France et de l’Angleterre. Les secteurs vers lesquels s’orientent le plus les capitaux sont les industries chimiques et métallurgiques.


Le rôle de l’État

Par sa politique économique, l’État contribue à la croissance. Son action prend des formes variées. Dans le secteur agricole, deux objectifs sont poursuivis. C’est d’abord une politique d’irrigation destinée à rendre les terres plus productives. Un Institut national de la colonisation (I. N. C.) a été créé à cet effet dès 1939. La surface irriguée, qui était de 1 350 000 ha en 1920, a été portée à 2 289 000 ha en 1968, et il est prévu qu’elle pourra atteindre 4,5 Mha quand toutes les possibilités auront été utilisées. De grands travaux ont été réalisés dans le bassin de l’Èbre (piémont pyrénéen), en Vieille-Castille (Duero et Pisuerga), dans la vallée du Tage, en Estrémadure (Plan de Badajoz) et dans la vallée du Guadalquivir. L’I. N. C. rachète les terres (au besoin par expropriation), les aménage et y installe des colons. C’est une politique coûteuse si l’on sait que, de 1939 à 1967, elle n’a profité qu’à 50 000 colons ; les principaux bénéficiaires sont finalement les grands propriétaires, qui se sont défaits à bon prix de leurs mauvaises terres et ont fait valoriser les meilleures. Moins spectaculaire, mais plus efficace, a été la politique d’aide financière et technique aux exploitants pour creuser des puits et les équiper de pompes électriques. Le second objectif est de lutter contre le morcellement des exploitations : commencé en 1953, le remembrement avait porté sur 2 555 000 ha en 1969, principalement en Vieille-Castille, dans le Léon et sur la frange nord de la Nouvelle-Castille. Mais il ne résout pas le problème du minifundium.

Dans le secteur industriel a été créé, en 1941, un Institut national de l’industrie (I. N. I.), chargé de susciter et de financer le développement industriel. C’est à son initiative, par exemple, qu’est née l’Entreprise nationale des houillères du Nord (HUNOSA), dont il détient 80 p. 100 des capitaux, dans le dessein de restructurer les houillères et d’en améliorer la productivité. En créant l’Entreprise nationale de la sidérurgie (ENSIDESA), qui a établi à Avilés une puissante usine intégrée, il a donné une forte impulsion à la production d’acier, sans réussir à briser le monopole de la sidérurgie comme il l’escomptait. Son action a été également fructueuse dans le développement de la production électrique, la construction des raffineries de pétrole et la construction navale.

Le rôle de l’État dans la réorganisation et la modernisation des transports a déjà été souligné.

Enfin, en 1962, l’État s’est engagé dans la planification en créant un Commissariat au plan, qui a élaboré un premier Plan de développement (1964-1967) sur le modèle français. Tablant sur un accroissement annuel du produit national brut de 6 p. 100, il établissait un programme d’investissements publics à caractère impératif et proposait à titre indicatif des directives au secteur privé. Des facilités étaient accordées aux secteurs déclarés prioritaires par le Crédit, et le régime de l’action concertée permettait d’aider les entreprises à réaliser des objectifs relevant de l’initiative privée. Enfin, le Plan se préoccupait du développement régional : des pôles de promotion et de développement (Burgos, Valladolid, Saragosse, La Corogne, Vigo, Huelva et Séville), où l’on se proposait d’attirer les industriels par des subventions, devaient stimuler ou susciter le développement des régions attardées. Les résultats se sont notablement écartés des prévisions : très inférieurs dans les industries de base, ils les avaient largement dépassées dans la construction, le tourisme et l’automobile. L’État lui-même n’avait pas respecté ses engagements, puisque 77,7 p. 100 seulement des investissements publics avaient été réalisés. Plus grave encore, le Plan n’avait pas empêché l’inflation de prendre des proportions inquiétantes, obligeant à la fin de 1967 à dévaluer la peseta et à revenir à des mesures de stabilisation avant de mettre en application les deuxième et troisième Plans (1968-1971 et 1972-1975). Ceux-ci ont présenté les mêmes caractéristiques d’ensemble que le premier ; notamment, aucun contrôle sur l’exécution n’était prévu, ceci confirmant l’observation de l’économiste R. Tamames, notant que « l’économie espagnole est une chose et que le Plan de développement en est une autre, sans qu’il y ait d’accord entre les deux ».


Conclusion

Depuis 1960, l’Espagne s’est métamorphosée. D’une année à l’autre, le voyageur attentif y constate les profonds changements qui témoignent de sa vitalité. Le signe le plus évident des progrès réalisés est le doublement approximatif du revenu réel par habitant de 1959 à 1970. Cependant, avec 1 750 dollars par an en 1973, le produit par habitant reste modeste : parmi les pays de l’O. C. D. E., l’Espagne se situe à cet égard au 22e rang, ne devançant que le Portugal et la Turquie. En fait, le fort rythme de croissance n’a permis qu’un rattrapage partiel du considérable retard accumulé. Le chemin à parcourir pour atteindre le niveau des pays industriels de l’Europe occidentale est encore long. Les niveaux d’équipement (fréquence des appareils électroménagers, des voitures de tourisme, etc.) sont bien inférieurs à ceux de la France, voisine.

L’Espagne y parviendra-t-elle ? Bien des observateurs soulignent la fragilité de sa croissance. La récession de 1966 en Europe occidentale n’a-t-elle pas suffi pour que, l’année suivante, le nombre des émigrés diminue sensiblement ? La progression du tourisme ne se ralentit-elle pas depuis quelques années, et la hausse rapide des prix ne risque-t-elle pas de la stopper ? D’autre part, la pénétration massive de capitaux étrangers renforce la dépendance à l’égard des États-Unis, particulièrement, tant en matière financière que technique et scientifique, et partant politique.