ergonomie (suite)
L’ergonomie des travaux manuels ou des travaux faiblement mécanisés
Le problème est celui des travaux lourds (industriels, agricoles, forestiers). Des indices physiologiques précis permettent de mesurer la fréquence cardiaque, la dépense énergétique évaluée à partir de la consommation d’oxygène, les efforts musculaires statiques (électromyographie), certains effets d’ambiance (chaleur). On peut ainsi élire les modes opératoires les moins coûteux, choisir (ou inventer) les outils les plus appropriés, intercaler les pauses nécessaires, etc. Le problème n’est, cependant, pas seulement physiologique : par exemple, le niveau maximal d’effort accepté par les travailleurs dans un contexte technique déterminé résulte non d’une limitation organique, mais de l’intériorisation d’une norme socio-culturelle. Au plan des relations industrielles, ce stade se caractériserait par un certain équilibre de pouvoir entre le groupe de direction, qui crée le dispositif technique de production, et le groupe d’exécution ; une procédure de « coopération antagoniste » permet aux deux groupes d’harmoniser tant bien que mal situation technique et comportement opératoire.
L’ergonomie du travail mécanisé
La mécanisation a pour effet général de transformer la tâche, qui, de musculaire, devient perceptive, informationnelle ; dans l’équipe ergonomique, le psychologue prend le pas sur le physiologiste ; il étudie la prise de l’information (modalités de l’exploration perceptive, vigilance, etc.), son traitement (auquel J. M. Faverge [1958] applique la théorie de l’information), enfin les réponses de l’opérateur (dispositifs de commandes).
Mais, d’autre part, une mécanisation excessive dénature le travail humain en supprimant son caractère autorégulé ; dans les chaînes de montage, l’ouvrier spécialisé doit obéir aux ordres et au rythme de la mécanique. D’où une insatisfaction ouvrière qui peut se manifester par des conduites d’opposition déclarée ou larvée. D’où aussi les correctifs organisationnels récemment proposés pour les prévenir, qui visent à varier et à enrichir les tâches mécanisées (F. Herzberg, 1959), à en élargir les limites (L. Davis, 1966), voire à équilibrer l’autorité technique par le pouvoir reconnu aux travailleurs (théorie des systèmes socio-techniques, Institut Tavistock, Londres).
L’ergonomie du travail automatisé
Ici, tout le programmable (dont le travail en chaîne antérieur) est — ou sera — confié aux automates ; l’ouvrier spécialisé disparaît, et le travailleur (opérateur en salle de contrôle, réparateur, ouvrier d’entretien) redevient un professionnel qualifié. L’ergonomie demeure d’ordre informationnel, l’étude psychologique et psychophysiologique (électro-encéphalographie) du fonctionnement mental prenant une importance particulière ; un problème nouveau est celui du partage des fonctions entre l’ordinateur et l’opérateur humain ; le premier assure la marche normale des installations en procédant par algorithmes ; l’opérateur intervient en cas d’imprévu par « heuristique », c’est-à-dire à partir de « règles empiriques relativement non systématisées et de critères flous » (J. M. Faverge, 1966) qui lui sont personnels ; il manifeste alors un sens intuitif de la régulation qui évoque des modèles opératoires assez archaïques (D. Ochanine, le Système homme-automate, 1962).
P. C.
➙ Automatisation / Travail.
F. Herzberg et coll., The Motivation to Work (New York, 1955 ; 2e éd., 1959). / A. Ombredane et J. M. Faverge, l’Analyse du travail (P. U. F., 1955). / J. M. Faverge, J. Leplat et B. Guiguet, l’Adaptation de la machine à l’homme (P. U. F., 1958). / G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques (Aubier, 1958). / A. Chapanis, Man-Machine Engineering (Belmont, Calif., 1965). / R. Richta (sous la dir. de), la Civilisation au carrefour (en tchèque, Prague, 1966 ; trad. fr., Anthropos, 1969). / L’Ergonomie des processus industriels (Inst. de sociologie, Bruxelles, 1966). / O. G. Edholm, The Biology of Work (Londres, 1967 ; trad. fr. la Science du travail, Hachette, 1967). / E. Grandjean, Physiologische Arbeitsgestaltung, Leitfaden der Ergonomie (Munich, 1967 ; trad. fr. Précis d’ergonomie, organisation physiologique du travail, Presses acad. europ., Bruxelles, et Dunod, 1969). / J. Scherrer et coll., Physiologie du travail. Ergonomie (Masson, 1967 ; 2 vol.). / H. de Frémont et M. Valentin, l’Ergonomie, l’homme et le travail (Dunod, 1970). / A. Laville, l’Ergonomie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1976).
