Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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enseignement (suite)

La machine dispose en mémoire de fichiers : maladies et symptômes. L’étudiant en médecine pose des questions à la machine, comme il le ferait à un patient, lui demande en outre les résultats des analyses en laboratoire, puis formule son diagnostic, que la machine peut ensuite corriger. C’est à la faculté de médecine de Paris que le professeur J.-C. Pagès a dirigé les premières expériences françaises de ce type.

L’ordinateur peut encore servir à l’entraînement des étudiants, leur permettant d’exécuter un grand nombre d’exercices et d’en obtenir immédiatement le corrigé.

Certains constructeurs d’ordinateurs ont conçu des stations d’interrogation (encore appelées terminaux ou consoles) spécialement étudiées pour l’enseignement assisté par calculateur. Ces appareils permettent à l’élève de recevoir des informations sur un écran cathodique (type récepteur de télévision), sur un écran voisin affichant des vues fixes (diapositives) et par le canal d’écouteurs ; l’élève peut répondre par l’intermédiaire d’un clavier de machine à écrire et d’un crayon électronique qui permet une sélection de réponses sur l’écran cathodique. Ce sont des terminaux de ce type que le professeur Patrick Suppes a utilisés pour une expérience d’enseignement des rudiments du calcul et de la grammaire à de jeunes enfants dans l’école de Brettonwood à Palo Alto (Californie).

Le coût très élevé de ces expériences a limité la généralisation de l’enseignement assisté par ordinateur, dont on ne peut dire qu’il soit encore opérationnel. Mais les progrès de la télé-informatique et du travail en temps partagé (time-sharing), qui permettent de multiplier le nombre des utilisateurs simultanés d’un même calculateur, quelle que soit leur dispersion géographique, ouvrent d’intéressantes perspectives.

Pour l’instant, l’ordinateur apparaît surtout comme un laboratoire de pédagogie expérimentale, permettant la mise au point par tests de cours pédagogiquement mieux adaptés.

Il a également conduit à des conceptions entièrement nouvelles de l’enseignement. Ainsi, Pierre Demarne a-t-il proposé toute une série de représentations nouvelles partant de l’idée que la connaissance pouvait être imaginée comme un nuage de points (concepts) entre lesquels une infinité de liaisons était possible. Ces points peuvent être organisés sur des droites, des lignes brisées, des plans. Au niveau du plan, un grand nombre d’itinéraires différents est déjà possible, mais on peut encore imaginer que ces plans sont empilés et que l’étudiant a la possibilité de passer d’un plan à un autre quand le besoin s’en fait sentir. Les plans peuvent représenter soit des niveaux de savoir progressifs d’une même discipline, soit des disciplines différentes. Ainsi, une collection de plans regroupant connaissances et concepts relatifs aux disciplines telles que géologie, philosophie, histoire, géographie humaine, géométrie, physique peuvent être traversés à propos d’un thème d’étude : la Grèce au ve s. av. J.-C. par exemple. À ce stade, enseignement assisté par ordinateur et documentation automatique se rejoignent et se mêlent. Ce n’est plus nécessairement la machine qui pose des questions, ce peut être l’étudiant qui se documente, organisant lui-même son plan d’étude.

De tels systèmes sont réalisables avec les ordinateurs actuels. Les contenus mis en mémoire peuvent, en outre, être sans cesse modifiés : élimination d’informations dont l’expérience montre qu’elles sont de peu d’utilité, actualisation de certains chapitres, introduction de concepts, de chaînes et de plans de concepts nouveaux, aménagement de nouvelles possibilités d’accès et de liaison.

Un début de réalisation a été entrepris dans ce sens par Maurice Peuchot au Québec, en utilisant des « modules » d’enseignement introduits en machine.


Techniques audio-visuelles et enseignement programmé

La comparaison des caractéristiques propres à ces deux domaines a été établie pour la première fois par Henri Dieuzeide. Le tableau qu’il dresse montre à la fois les oppositions et la complémentarité de ces deux courants, dont le dénominateur commun pourrait être l’intégration de machines dans le processus pédagogique et l’élimination partielle de la présence humaine de l’acte pédagogique.

Henri Dieuzeide conclut : les techniques audio-visuelles conduisent, à l’extrême, à l’hypnose, l’enseignement programmé au dessèchement.

La plupart des tentatives actuelles cherchent à tirer profit des aspects positifs de chacun de ces domaines : les techniques audio-visuelles gagnent en vigueur lorsqu’on fait appel à certains principes de l’enseignement programmé pour organiser les contenus pédagogiques qu’elles véhiculent ; l’enseignement programmé quitte progressivement le carcan de ses principes initiaux pour devenir un enseignement « semi-programmé » de plus en plus illustré. Il existe encore des systèmes intégrant le pédagogue à ces techniques, tel l’enseignement programmé collectif présenté par animateur (E. P. A.). René La Borderie a aussi montré que l’on pouvait réaliser des cours programmés diffusés collectivement par télévision.


Conclusion

Les différentes techniques que nous venons de décrire, dont on entrevoit à la fois les possibilités immenses et la combinatoire, constituent un fait sans précédent dans l’histoire de la pédagogie : avec un siècle de retard sur les autres activités humaines, l’éducation commence sa révolution industrielle. Il est vraisemblable que des soubresauts jalonneront cette nouvelle révolution. Entre le scientisme naïf, qui croit à une mécanisation intégrale et rapide de la pédagogie, et les attitudes systématiques de refus, il y a place pour des positions tout à la fois novatrices et réalistes. « Pour ces nouveaux outils, écrivait Louis Armand, une nouvelle pédagogie est à créer ; si on ne le fait pas, on accusera à tort la technique et l’abaissement de la culture, alors que c’est le retard des utilisateurs qui est en cause. »

Les techniques modernes d’enseignement ne sont, en définitive, que des outils mis à la disposition des responsables de l’éducation. Ces outils peuvent modifier fondamentalement les systèmes d’enseignement, et ils ont commencé à le faire dans certains secteurs marginaux : c’est aux éducateurs qu’il appartient de garder la maîtrise de ces outils.

B. P.