Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (second) (suite)

Nous dont les enfants passent souvent leurs plus jeunes ans dans le milieu démoralisant et malsain des fabriques, ou dans l’apprentissage, qui n’est guère encore aujourd’hui qu’un état voisin de la domesticité, nous dont les femmes désertent forcément le foyer pour un travail excessif, contraire à la nature et détruisant la famille, nous qui n’avons pas le droit de nous entendre pacifiquement pour défendre notre salaire, pour nous assurer contre le chômage, nous affirmons que l’égalité écrite dans la loi n’est pas dans les mœurs et qu’elle est encore à réaliser dans les faits. Ceux qui, dépourvus d’instruction et de capital, ne peuvent résister par la liberté et la solidarité à des exigences égoïstes et oppressives, ceux-là subissent fatalement la domination du capital : leurs intérêts restent subordonnés à d’autres intérêts.

Le tiers état disait : « Qu’est-ce que le tiers état ? rien ! Que doit-il être ? tout ! » Nous ne dirons pas : « Qu’est-ce que l’ouvrier ? rien ! Que doit-il être ? tout ! » Mais nous dirons : la bourgeoisie, notre aînée en émancipation, sut, en 89, absorber la noblesse et détruire d’injustes privilèges ; il s’agit pour nous non de détruire les droits dont jouissent justement les classes moyennes, mais de conquérir la liberté d’action...

(L’Opinion nationale, 17 février 1864.)


Les mécomptes extérieurs

S’il y a un domaine où l’empereur aime agir seul, c’est bien celui de la politique extérieure. Il n’admet aucun conseil quand il s’agit du modelage de la carte européenne ou du soutien aux nationalités. Mais il a aussi d’autres préoccupations.

• La France en Méditerranée. Napoléon III a achevé la conquête de l’Algérie en faisant occuper les oasis sahariennes et en se rendant maître de la Kabylie (1857). Mais l’administration du territoire constitue l’aspect essentiel de son action. Il veut en faire un « royaume arabe » (« Je suis l’empereur des Arabes aussi bien que des Français »), et sa politique — hésitante ici comme ailleurs — évoluera vers une semi-autonomie.

Dans le même temps, la position de la France s’affermit en Tunisie, et son influence croît au Levant essentiellement par le biais des missions religieuses, enseignantes ou hospitalières.

En Égypte, Ferdinand de Lesseps* réalise cette vieille idée saint-simonienne de percer l’isthme de Suez. En 1869, l’impératrice Eugénie assiste à l’inauguration du canal. Celui-ci restaure la Méditerranée dans son ancien rôle et simplifie les relations avec l’Extrême-Orient. Pour mieux en contrôler l’issue, Napoléon a acheté le territoire d’Obock en 1862.

En Afrique noire, enfin, la présence française pénètre à l’intérieur du continent grâce à l’action patiente de Faidherbe* au Sénégal.

• L’Extrême-Orient. Poursuivant la politique des points d’appui maritimes héritée de la monarchie de Juillet, la France prend solidement pied en Extrême-Orient. Les victoires de Cousin-Montauban et le traité de Pékin (1860) assurent l’ouverture de ports chinois aux Occidentaux. Une intervention militaire en Annam permet d’établir un protectorat français au Cambodge (1863), puis sur les provinces occidentales de Cochinchine en 1867, tandis que les expéditions d’Ernest Doudart de Lagrée et de Francis Garnier remontent le Mékong de 1866 à 1868.

• L’entreprise mexicaine. L’Amérique latine est une préoccupation ancienne pour l’empereur. N’a-t-il pas, en 1845, fait paraître une brochure concernant le percement d’un canal interocéanique au Nicaragua ? Il rêve d’instaurer dans cette partie du monde une puissance latine qui contienne l’ambition des États-Unis. Lorsque la guerre de Sécession vient diviser et affaiblir la fédération anglo-saxonne, le moment lui paraît venu de réaliser ses projets. Le Mexique semble une proie facile ; depuis le départ des Espagnols (1821), il vit dans l’anarchie. En 1848, les États-Unis l’ont amputé des trois cinquièmes de son territoire. Les libéraux, anticléricaux et fédéralistes, représentants des masses pauvres indiennes et métis, l’ont emporté sur l’aristocratie des grands propriétaires, liée au clergé, et celui-ci a été dépouillé de ses biens. L’Europe se sent d’autant plus concernée par cette situation que ses intérêts financiers sont lésés : les paiements de la dette extérieure ont été suspendus, provoquant les protestations de commerçants occidentaux. La France, l’Angleterre et l’Espagne exigent de concert la reprise des paiements, et, pour l’obtenir, une flotte alliée débarque à Veracruz (1862). Mais, tandis que l’Angleterre et l’Espagne acceptent très vite un désintéressement, l’empereur, poussé peut-être par sa très catholique épouse et ses amis banquiers, continue seul la lutte.

Puebla repousse un premier assaut, puis capitule en mai 1863 après la brillante résistance des légionnaires à Camerone (auj. Villa Tajeda). Mexico est occupé sans combat en juin. Une junte de notables proclame la monarchie, et, sur les indications de Napoléon III, offre la couronne à l’archiduc Maximilien d’Autriche, qui, poussé par sa femme, l’impératrice Charlotte de Belgique, accepte. Mais le nouveau maître ne parvient pas à rallier les libéraux et le peuple. Les troupes françaises, conduites par Bazaine, s’épuisent à le soutenir, puis, après deux ans de guérillas incessantes, sous la pression des États-Unis « reconstruits », y renoncent.

Les troupes françaises rembarquent à Veracruz (mars 1867). Le Mexique se soulève alors contre Maximilien, qui, refusant d’abdiquer, est fusillé à Querétaro le 19 juin 1867. Un dénouement aussi tragique à une action menée pour le prestige, c’est un rude coup porté à l’Empire ! L’opinion publique comprend mal que la France se soit fourrée « dans le guêpier mexicain », et l’opposition trouve là un grief solide, d’autant que la politique européenne de la France n’est guère plus heureuse.

• Napoléon III et Bismarck. Le problème de la nationalité allemande se pose alors avec vigueur. Napoléon III, par fidélité à ses principes et par souci de ne pas laisser se constituer sur les frontières de la France un État puissant, se doit d’y être attentif. Deux États sont candidats à la direction de l’unité allemande : la Prusse et l’Autriche. Entre les deux, Napoléon III joue, dans le secret, une partie délicate. Il compte, en aidant la Prusse à trouver un allié, en l’occurrence l’Italie, obtenir pour la France des compensations territoriales et, en promettant sa neutralité à l’Autriche, obtenir d’elle la cession de la Vénétie à l’Italie et se faire pardonner ainsi l’armistice de Villafranca.

Il négocie donc d’abord avec la Prusse. En octobre 1865, il rencontre Bismarck à Biarritz et l’assure de sa « neutralité attentive », mais n’en obtient aucune promesse ferme, ce qui ne l’empêche pas d’appuyer la signature d’un traité d’alliance italo-prussien.