Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (second) (suite)

Des traités analogues, signés ultérieurement avec de nombreux États, facilitent les échanges de marchandises, de capitaux et même de main-d’œuvre à travers l’Europe occidentale. Ancêtres de notre actuel Marché commun, ils sont le fait de l’empereur, qui, dans son exil anglais, a appris de saint-simoniens convaincus les vertus du libre-échange. Rendus possibles par la prospérité générale, ils répondent aux vœux des industriels et négociants exportateurs, tels les soyeux lyonnais et les viticulteurs. Les agriculteurs n’y sont plus hostiles depuis qu’une période de bonnes récoltes fait d’eux des exportateurs éventuels. Les consommateurs y trouvent leur intérêt. Ces traités soulèvent par contre l’opposition véhémente de la bourgeoisie capitaliste des secteurs avancés de l’industrie (textile notamment), dans lesquels les hauts prix que maintient le protectionnisme assurent de larges profits.


Le libéralisme politique

Est-ce pour récupérer sur la gauche les désistements que la politique romaine a provoqués parmi les catholiques et la politique économique parmi les notables, ou par conviction, conformément à sa formation libérale — et maintenant que le régime est consolidé —, que Napoléon III accorde quelques concessions aux partisans du « mouvement » ?

Dès le 15 août 1859, à l’occasion du défilé des troupes de retour d’Italie, l’empereur amnistie les proscrits du 2 décembre, abolit la loi de sûreté générale. Un décret du 24 novembre 1860 rétablit le droit d’adresse. Les députés du Corps législatif et du Sénat peuvent désormais répondre au discours du trône qui ouvre chaque session parlementaire. Des ministres sans portefeuille défendront devant les Chambres les projets de loi qui leur seront soumis. En application du sénatus-consulte du 2 février 1861, un compte rendu intégral des débats des Assemblées sera publié dans le Moniteur.

Les finances publiques cessent à leur tour de dépendre entièrement du prince. Depuis le début de l’Empire, l’équilibre budgétaire n’a jamais été respecté, et le déficit, accru d’année en année, est alors de près d’un milliard et demi. Les financiers rendent responsables de cette situation les facilités constitutionnelles laissées à l’exécutif pour engager les dépenses. Le gouvernement leur accorde quelques concessions. Achille Fould, partisan d’un retour à l’orthodoxie budgétaire, est alors appelé au ministère des Finances. Il y énonce le principe de la séparation d’un budget ordinaire, couvert par l’impôt, et d’un budget extraordinaire, consacré aux grands travaux et équilibré par l’emprunt. Un sénatus-consulte du 31 décembre 1861 enlève à l’empereur le droit d’accorder des crédits extraordinaires sans vote préalable des Chambres, mais un décret du 31 mai 1862 autorisera le gouvernement à rectifier le budget en cours d’exercice.


Les élections de 1863

Le pays est-il satisfait de la bonne volonté dont témoigne la nouvelle ligne politique ? Il semble plutôt que « ce demi-tour à gauche », l’expression est de Proudhon, n’ait servi qu’à permettre à l’opposition de s’exprimer. Le parti républicain est affermi par le retour des proscrits ; le parti de l’ordre s’effrite par l’abandon de nombreux catholiques. Les libéraux restent sur leur faim, mais la préparation de l’adresse annuelle leur permet d’exprimer des desiderata. Aussi, pour préparer les élections de 1863, n’hésitent-ils pas à admettre dans l’« Union libérale » de Thiers des légitimistes comme Falloux, des orléanistes comme le duc de Broglie, des catholiques ultramontains ou libéraux et jusqu’à des républicains comme Jules Simon, plus réticents cependant à s’allier aux anciens représentants du parti de l’ordre. La collusion entre l’ordre et la gauche n’est en fait qu’exceptionnelle ; les élections des 30 et 31 mai 1863, malgré une pression officielle accrue, n’en sont pas moins un échec pour l’empereur.

Témoignant du réveil de la vie politique, la participation est supérieure à celle des précédents scrutins : les candidats officiels conservent un peu plus de 5 millions de voix, mais l’opposition en compte plus de 2 millions, soit trois fois plus qu’en 1857. À Paris, les candidats du gouvernement n’ont que 22 000 voix contre 153 000 à l’opposition, dont toute la liste passe, avec Jules Favre, Émile Ollivier, Louis Darimon, Ernest Picard, Léonor Joseph Havin, Jules Simon, Eugène Pelletan, Adolphe Guéroult et aussi Adolphe Thiers. Les grandes villes s’avèrent, de même, hostiles. Au total 32 opposants ont été élus : 17 républicains et 15 « indépendants ». C’est peu pour un total de 283 députés. Une brèche est néanmoins ouverte et désormais l’opposition est dans la place. Elle a les moyens légaux de se faire entendre.


Le temps des hésitations (1863-1870)


La contestation intérieure

À l’annonce des résultats électoraux, Morny affirme : « Il est temps de donner sinon immédiatement toute liberté politique, du moins la liberté civique. » Il meurt en 1865 sans être parvenu à convaincre l’empereur. Face à la désaffection boudeuse du pays, celui-ci procède à un important remaniement ministériel. Persigny et Walewski sont définitivement écartés. Victor Duruy, universitaire « très laïque », se voit confier l’Instruction publique ; Jules Baroche (1802-1870), un gallican, reçoit la Justice et les Cultes. Quant à Rouher, président du Conseil d’État puis ministre d’État, il devient « l’homme indispensable ». Sa docilité aux impulsions contradictoires de l’empereur lui vaut de la part d’É. Ollivier le surnom de vice-empereur.

À partir de 1864, l’énergie et la volonté de Napoléon III s’amenuisent sous l’effet de la maladie. L’empereur n’est guère plus que le jouet d’un entourage divisé et incapable d’idées neuves.

Tandis que le pouvoir s’embourbe dans l’hésitation, il est aisé pour l’opposition de cristalliser l’opinion. Le droit à la liberté devient le principe de ralliement de la droite indépendante. Un tiers parti se dessine ainsi dès 1864. Ennemi de l’aventure, il ne souhaite ni la chute de la dynastie ni celle du régime, mais il veut imposer au gouvernement des hommes nouveaux qui imprimeront à l’Empire une évolution libérale et assureront un retour au régime parlementaire. Thiers, député de Paris, énonce le 11 janvier 1864 devant le Corps législatif le programme minimal de cette politique. Il réclame la reconnaissance de cinq « libertés nécessaires » ; liberté individuelle (par l’abrogation de la loi de sûreté), liberté de la presse, liberté électorale (par l’abandon de la candidature officielle), liberté de la représentation nationale (par le droit d’interpellation), liberté de la majorité de diriger la politique du pays (par la responsabilité ministérielle devant la Chambre). À mesure que les mois passent, certains députés officiels viennent grossir les rangs de cette opposition libérale : catholiques ultramontains froissés par la politique du gallican Baroche, membres des congrégations enseignantes évincées par la laïcisation de l’instruction publique entreprise par Duruy, bourgeois atteints par un ralentissement de l’expansion économique.

Au printemps de 1866, cette opposition est assez forte pour réunir une soixantaine de voix contre 206 sur un amendement demandant que le « grand acte de 1860 », c’est-à-dire le droit d’adresse, reçoive son développement logique, entendons l’évolution vers un régime parlementaire.