Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (premier) (suite)

C’est dans les deux autres secteurs que les changements sont les plus sensibles. C’est d’abord la ruine du grand commerce atlantique. François Crouzet a systématisé les données de ce repli. À partir de l’exemple de Bordeaux notamment, il a montré comment la guerre maritime et la perte des Antilles avaient contraint les commerçants français à abandonner un trafic qui les avait enrichis et qui avait suscité des industries, loin à l’intérieur des terres. Les travaux en cours montreront dans quelle mesure le rôle d’entrepôts internationaux s’est dégradé en celui de ports régionaux. D’ores et déjà, on sait que la ruine n’a pas été continue : des armateurs et des commerçants se sont efforcés de modifier les courants commerciaux sur les côtes océanes. Ils ont cherché à exploiter le marché des États-Unis et ont vu les possibilités que leur offrait celui de l’Afrique noire et notamment du Sénégal. Mais les produits proposés n’étaient pas ceux qui étaient attendus par ces marchés.

Les axes du grand commerce se sont donc déplacés vers l’intérieur, vers l’est de la France, valorisé par le blocus. Ce commerce terrestre a bénéficié des travaux ordonnés par Napoléon, plus il est vrai dans un but militaire qu’économique. Dans l’est de la France, au contact du Rhin ou à travers les Alpes, vers la Suisse ou l’Italie, Napoléon fait ouvrir des routes : routes du Simplon, du Mont-Cenis et de Montgenèvre. À l’ouest, les routes construites à travers la Vendée ou les Landes améliorent les relations avec la péninsule Ibérique. Les industries naissantes trouvent avec les anciennes des commodités plus grandes pour acheminer leurs produits.

C’est le deuxième trait important de l’histoire économique de cette période : la France s’efforce de parvenir au rang d’une puissance industrielle moderne. Mais, là encore, les thèses des historiens s’affrontent ; la production industrielle ne fait-elle que rattraper le retard dû à la guerre révolutionnaire (F. Crouzet) ou bien est-elle en net progrès par rapport à la période 1781-1790, progrès qu’E. Labrousse chiffre à 25 p. 100 ?

Les historiens, par contre, s’accordent à reconnaître les mérites d’une politique impériale dictée pourtant par des impératifs militaires ou de prestige. Le bâtiment, les travaux publics et la métallurgie en ont plus particulièrement profité. La critique réapparaît à propos de l’industrie textile. On ne dénonce pas le Blocus continental en lui-même, car il offrait à une industrie au moment de son démarrage des conditions particulièrement favorables. On souligne les incohérences du système ; elles ruinèrent des industries à la pointe du progrès technologique. Dans 1 industrie textile, l’industrie du coton est l’industrie moderne. Dans un premier temps, cette industrie tire bénéfice de la politique suivie par l’Empereur. Puis celle-ci se laisse dominer par les considérations stratégiques : il faut d’abord et avant tout ruiner l’Angleterre ; le coton, ou son fil, lui rapporte gros, il faut donc en interdire l’entrée. Mais, le résultat, c’est le ralentissement des machines françaises, puis l’achat élevé de la matière première, parfois par la contrebande ; le produit fini n’est plus compétitif.

C’est pourtant dans ce domaine textile que les innovations techniques sont les plus importantes. Ailleurs, elles restent très limitées, et la France est, par rapport à l’Angleterre, en retard. La force énergétique provient encore la plupart du temps des forces naturelles, telle l’eau. La machine à vapeur est encore peu usitée.

L’entreprise concentrant les différentes étapes de la production ou monopolisant un stade de la fabrication est l’exception. La règle, c’est la fabrique qui associe, sans souci de la division du travail, des ateliers d’ailleurs généralement dispersés entre la ville et la campagne proche.

Située ainsi entre deux périodes difficiles, celle de la désorganisation de l’époque révolutionnaire et celle de l’échec relatif de la politique du blocus, la plus grande partie du temps napoléonien connaît les premiers efforts du démarrage industriel.

Mais, dans cette société, c’est encore le paysan qui tient le devant de la scène. Dans le monde qui est le sien, l’empire des habitudes est tout-puissant, et ce n’est pas en une décennie que l’on peut déceler des changements du mode de vie. Pourtant, il est vrai que le simple cultivateur connaît des jouissances qui jusqu’alors lui étaient étrangères. « Il achète au plus haut prix les terres qui sont à sa convenance ; ses vêtements sont meilleurs, sa nourriture plus abondante et substantielle ; il reconstruit ses maisons plus commodes et plus solides. » Cette affirmation du ministre Montalivet est confirmée par beaucoup de rapports de préfets. La possession ou l’exploitation d’une terre libre de droits seigneuriaux, la faiblesse de la demande de travail due à la conscription, la hausse du prix du grain enfin expliquent cette relative aisance. Encore faut-il distinguer entre la France du Nord, plus favorisée, et la France du Sud, entre les plaines riches et les montagnes hostiles. La multiplication des paysans parcellaires, due à la vente des derniers biens nationaux, moins chers car moins fertiles, et à la loi napoléonienne sur le partage des héritages, maintient à la campagne des oppositions entre pauvres et riches, que ne masque plus désormais la lutte contre le seigneur.

L’importance de cette petite propriété, en retenant de très nombreuses familles à la campagne, empêche la formation de vastes concentrations humaines comme celles que l’on voit en Angleterre et où l’industrie vient puiser la main-d’œuvre qui lui est nécessaire. Les masses populaires urbaines sont difficiles à chiffrer. La statistique industrielle de 1811 dénombre 1 750 000 ouvriers et domestiques ; un rapport de Montalivet, à la même date, parle de 2 500 000 pauvres. La fluidité du vocabulaire est révélatrice. La classe ouvrière au sens où nous l’entendons n’existe pas. Les salariés de l’industrie concentrée ne sont que quelques centaines de milliers ; les plus nombreux, ce sont les ouvriers de type ancien, compagnons rattachés aux métiers artisanaux et travailleurs en chambre liés au capitalisme commercial. Ces derniers se multiplient même du Directoire à l’Empire.