Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire (premier) (suite)

Tilsit (7 et 9 juill. 1807)

Inquiet de l’attitude autrichienne et des menées du ministre espagnol Manuel Godoy Álvarez de Faria (1767-1851), Napoléon cherche une paix durable en Europe : avec l’aide du tsar, il croit pouvoir l’imposer. À Tilsit, où ils se rencontrent, les deux empereurs se charment mutuellement. La paix qu’ils signent équivaut à un partage de l’Europe, et la Prusse en fait largement les frais. Avec les territoires qui lui sont arrachés, elle perd la moitié de sa population et elle doit payer une lourde indemnité de guerre. Ses terres situées à l’ouest de l’Elbe forment le royaume de Westphalie. Donné à Jérôme Bonaparte, ce royaume entre dans la Confédération du Rhin. Les possessions prussiennes de Pologne forment un grand-duché de Varsovie. S’il est placé sous la tutelle de la Saxe, les patriotes polonais espèrent qu’il est l’embryon d’une Pologne indépendante.

À l’est de la Vistule, toute liberté d’action est laissée à la Russie, qui ne perd que les îles Ioniennes et Cattaro. Le tsar promet de faire pression sur l’Angleterre pour qu’elle accepte la paix. En cas d’échec, la Russie adhérera au Blocus continental, que Napoléon organise.


Le Blocus* continental

Par les décrets de Berlin (21 nov. 1806), de Fontainebleau (13 oct. 1807) et de Milan (17 déc. 1807), Napoléon instaure un blocus destiné à vaincre l’Angleterre. Le blocus est une arme économique qui est aussi une réponse aux mesures anglaises interdisant aux neutres l’accès des côtes continentales. En fermant l’Europe aux marchandises anglaises, Napoléon cherche à anéantir la prospérité britannique. L’industrie française, à l’abri des barrières ainsi élevées, pourra se développer et conquérir sans coup férir le marché européen. Acculée par la crise, l’Angleterre se rendra. « Je veux conquérir la mer par la puissance de la terre », proclame Napoléon. Mais, comme le fait remarquer un contemporain. Étienne Pasquier (1767-1862) : « L’Angleterre, dans ses prétentions de blocus, ne tentait rien qui ne fût dans la mesure de ses forces, et surtout en ce qu’elle n’avait besoin du concours de personne pour exécuter ses résolutions. La France, au contraire, entrait dans un système qui ne pouvait se réaliser qu’autant que toutes les puissances européennes, de gré ou de force, concourraient à son exécution. »

Le système produisit pourtant au début les effets escomptés. Les méventes causèrent en Angleterre des troubles sociaux, et bientôt des pétitions circulèrent, réclamant la paix. Le gouvernement tint bon. Des brèches subsistaient au Portugal et en Italie. D’autres furent créées en Hollande, dans le nord de l’Allemagne et même en France, où les pilotes bretons aidaient à une contrebande que les forces de répression étaient incapables d’empêcher. À long terme, Napoléon s’était contraint à être le gendarme de l’Europe, toujours en chemin et partout berné.

En Italie, le pape refuse de fermer ses ports. Rome est occupée le 2 février 1808, et le pape interné à Savone. Ses États deviennent deux départements français. Le royaume de Louis Bonaparte, lui aussi récalcitrant, connaît le même sort. En 1810, les côtes allemandes, avec le port de Hambourg, sont placées sous administration française. Mais déjà, depuis deux ans, le système a jeté Napoléon dans le guêpier espagnol.


L’aventure espagnole (1808) et l’entrevue d’Erfurt

Au début, Napoléon cherche seulement à placer dans son système le Portugal. Pour l’y forcer, il lui faut obtenir du roi d’Espagne le libre passage. Charles IV est un faible que dirige l’amant de sa femme, le ministre Godoy. Celui-ci voit dans l’expédition le moyen d’obtenir au Portugal une principauté que lui promet Napoléon. Ainsi, 25 000 hommes conduits par Jean Andoche Junot (1771-1813) peuvent traverser la Péninsule ; la maladie réduira le corps expéditionnaire à 5 000 ; c’est suffisant pour s’emparer, le 30 novembre 1807, de Lisbonne. La famille royale s’enfuit.

Puis, Napoléon se préoccupe de l’impopularité grandissante en Espagne de Godoy. Il craint que le successeur de ce ministre ne se montre moins conciliant et ne gêne l’approvisionnement de ses troupes au Portugal. Il prend des garanties en envoyant vers Junot des troupes de renfort, qui, en fait, commencent l’occupation des voies stratégiques en Espagne. Les patriotes espagnols en profitent pour dénoncer de plus belle Godoy et ameuter le peuple contre lui. Le 18 mars 1808, l’émeute aboutit à l’emprisonnement de Godoy à Aranjuez. Charles IV abdique en faveur du prince héritier Ferdinand VII et demande protection au commandant en chef des armées françaises, Murat. Le grand-duc de Berg occupe Madrid le 23 mars 1808. Napoléon convoque la famille royale et Godoy à Bayonne. Du 20 avril au 10 mai, des entretiens ont lieu dans cette ville. C’est pour Napoléon l’occasion d’être le spectateur d’une explication familiale tragi-comique.

Apprenant qu’à Madrid les Espagnols se sont soulevés le 2 mai et ont attaqué les troupes françaises, Napoléon s’empare de l’Espagne. Ferdinand abdique, et son père Charles IV reprend la couronne pour la donner à « son ami Napoléon ». Celui-ci, après avoir essuyé le refus de Louis et de Jérôme, oblige son autre frère, Joseph, à accepter la royauté. Murat sera roi de Naples.

Napoléon a bien jugé la famille royale espagnole : des dégénérés. Par contre, il commet une erreur complète sur le peuple, qu’il considère comme « vil et lâche, incapable de se révolter longtemps, faute de l’oser ». Six ans d’une guérilla héroïque lui prouveront le contraire. Elle retiendra les meilleurs éléments de l’armée française, et cette absence des champs de bataille de l’est de l’Europe pèsera sur le destin de l’Empire. La lutte, de part et d’autre, fut d’une rare férocité. Du côté espagnol, les prêtres exacerbèrent encore le sentiment national contre « les chiens hérétiques ». Philippe Paul de Ségur (1780-1873), dans ses Mémoires, nous décrit ainsi les massacres de Français : « Des malades, des traîneurs, officiers envoyés en ordonnance, surpris et saisis étaient, quant aux plus heureux, égorgés sur place : plusieurs autres étaient jetés dans des chaudières, d’autres sciés entre des planches ou brûlés à petit feu. » En représailles, « nous avions ordre, écrit un combattant, F. Lavaux, de mettre tout à feu et à sang, sans épargner les enfants au berceau ».