Emerson (Ralph Waldo) (suite)
Dès 1836, dans Nature, Emerson pose les principes du transcendantalisme, qu’il reprend dans deux conférences qui scandalisent les professeurs d’Harvard (The American Scholar [l’Intellectuel américain], 1837 ; Divinity School Address [Discours devant la faculté de théologie], 1838). Il invite pasteurs et professeurs à abandonner la tradition et à recycler leur théologie. Pour lui, l’homme et la nature forment un seul être mystique, que l’intuition révèle mieux que les textes. Ignorant les voix de la tradition, il faut percevoir le message de la « sur-âme » (Over-Soul), qui s’adresse à l’intuition individuelle par une démarche poétique. Le mot transcendantal n’a pas ici son sens kantien, ni même habituel. Il s’agit d’une immanence du divin qui nous prend dans sa connivence poétique et mystique.
Autour d’Emerson se rassemblent les transcendantalistes, mi-utopistes, mi-mystiques : Amos Bronson Alcott (1799-1888), Nathaniel Hawthorne*, Henry Thoreau*, Elizabeth Peabody (1804-1894), Margaret Fuller (1810-1850), George William Curtis (1824-1892), George Ripley (1802-1880), fondateur de la communauté de Brook Farm. Ils éditent un journal (The Dial [le Cadran], 1840-1844).
« Le transcendantalisme est le parti du futur », déclare Emerson. Et c’est la révolution qu’il prêche dans ses écrits (Essays, 1841 et 1844 ; Representative Men [Hommes représentatifs de l’humanité], 1850 ; English Traits [Traits du caractère anglais], 1856 ; The Conduct of Life [la Conduite de la vie], 1860 ; Society and Solitude [Société et solitude], 1870 ; Poems, 1847 et 1867) et surtout dans les textes des Journals of R. W. Emerson (1909-1914 ; 10 vol.). Pour lui, « l’humanité est divisée en deux sectes : les idéalistes et les matérialistes ». Les matérialistes sont prisonniers du déterminisme et du passé. Les idéalistes croient en l’esprit et veulent changer le monde. Pour libérer l’homme du déterminisme et « créer une relation nouvelle, originale avec l’univers », il faut abattre les institutions et démocratiser la religion.
Contre la tradition, Emerson propose une philosophie poétique de l’intuition idéaliste. Dans son Journal, un plan de ses Essays résume sa pensée : « Il y a une âme. Elle est liée au monde. L’art est son action sur le monde. La science en trouve la méthode. La littérature en dresse le bilan. La religion est le respect qu’elle inspire. La morale est la manifestation de l’âme dans la vie. La société est la découverte de l’âme par chacun en autrui. Le travail est la découverte de l’âme dans la nature. La politique est la manifestation de l’âme dans le pouvoir. Les mœurs sont l’expression silencieuse et médiatrice de l’âme. »
Cette volonté de briser le déterminisme est typiquement romantique et américaine. Radicale et optimiste, elle affirme le pouvoir, le droit et le devoir de l’esprit humain à changer les choses ; elle affirme que ce changement est bon. Emerson exprime la conviction que l’Amérique est le pays du futur, appelé à rompre perpétuellement avec le passé parce que toute rupture est quête d’idéal. L’Amérique finit par récupérer ce contestataire qui exprimait si bien le dynamisme américain, en en faisant, après sa mort, « le sage de Concord ».
J. C.
H. D. Gray, Emerson (Stanford, Calif., 1917). / B. Perry, Emerson To-Day (Princeton, 1931). / R. L. Rusk, The Life of Ralph Waldo Emerson (New York, 1949 ; nouv. éd., 1964). / V. C. Hopkins, Spires of Form : A Study of Emerson’s Aesthetic Theory (Cambridge, Mass., 1951). / S. Paul, Emerson’s Angle of Vision (Cambridge, Mass., 1952). / F. Carpenter, Emerson Handbook (New York, 1953). / M. Gonnaud, Individu et société dans l’œuvre de Ralph Waldo Emerson (Didier, 1964).