Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

émail (suite)

Les ateliers limousins, qui se laissèrent parfois aller à la facilité, eurent d’habiles rivaux dès cette époque à Paris, et bien avant dans la région mosane*. La technique parisienne revient, pour obtenir de précieux effets, aux émaux translucides, qu’elle dépose sur un subjectile revêtu de striures accrochant la lumière : ainsi des médaillons de la vie du Christ sur le piédestal de la Vierge à l’Enfant donnée à l’abbaye de Saint-Denis, en 1339, par Jeanne d’Évreux (Louvre). Apparaissent aussi au xvie s., sur les émaux champlevés, des rehauts de poudre d’or agglutinée et posée au pinceau en minces filets. De tels ouvrages pouvaient exiger jusqu’à vingt cuissons progressives ; on conjurait la déformation du subjectile en émaillant sa face postérieure (« contre-émail »). Pour donner plus d’éclat aux pièces, le xvie s. fait usage des paillons, minces feuilles d’or, d’argent ou de cuivre qui sont soudées par endroits sur l’émail opaque et reçoivent une glaçure translucide. À la même époque, l’émail participe aux créations les plus exubérantes des orfèvres, notamment allemands.


Les émaux peints

Dès le xve s. s’élaborait une pratique nouvelle, la peinture en émail. L’un de ses coups d’essai fut l’admirable portrait de Jean Fouquet* par lui-même (Louvre) : c’est un médaillon circulaire, faiblement bombé, sur le champ noir duquel se détache en or le visage de l’artiste. Ses traits, les plis de son vêtement, l’exergue où se lit son nom sont exécutés par « enlevage » à l’aiguille, travail consistant à dénuder le rehaut d’or à la pointe pour en faire reparaître le fond noir. Les émaux peints contemporains, dits « de Monvaerni », petits tableaux polychromes à paillons, sont de facture inégale. Ce sont probablement des ouvrages limousins, antérieurs au premier monument certain de cette origine, un Christ en croix signé de Nardon Pénicaud (v. 1470 - v. 1542) et daté de 1503. L’atelier du maître, maintenu par ses parents Jean Ier, II et III ainsi que Pierre, fut des tout premiers à peindre en grisaille, de l’émail blanc fixé en plusieurs épaisseurs successives sur un fond noir créant l’effet d’un bas-relief. Chaque atelier de Limoges s’ingénie à marquer sa production d’un caractère particulier. Martin Didier, l’un des doyens, recherche des effets de contraste, témoin sa Chasse d’Actéon du Louvre. À la transposition de gravures, allemandes notamment, s’ajoute celle de peintures. La lignée des Limosin en montre l’exemple : Léonard Ier Limosin (v. 1505 - v. 1577), que François Ier appelle à sa cour avant de le placer à la tête d’une manufacture royale à Limoges, exécute des portraits (le roi en saint Thomas, l’amiral Chabot en saint Paul, au Louvre ; Éléonore d’Autriche, le duc de Guise, au musée de Cluny) et de grandes compositions d’après Raphaël. De Jean Ier Limosin (v. 1561 - v. 1610), on possède d’excellents émaux polychromes à paillons et rehauts d’or ; de l’un des François Limosin et de Joseph, des ouvrages interprétant les estampes de Virgilius Solis ou d’Étienne Delaune. Pierre Reymond (v. 1513 - v. 1584), qui dirigea un des ateliers limousins les plus actifs, emprunte à Solis, mais aussi à Dürer. La majorité de ses émaux sont des grisailles à fond noir et carnations teintées, à rehauts d’or ; mais le maître n’a pas dédaigné la polychromie, témoin ses assiettes à fond bleu traitant l’Histoire de Suzanne et le grand plat du Louvre décoré d’un Abraham refusant les présents du roi de Sodome.

Les émailleurs limogeois ornaient habituellement les revers de leurs ouvrages de chimères et de mascarons tirés du répertoire des grotesques. Jean Court, dit Vigier, les associe dans les bordures de ses habiles compositions, les unes en camaïeu, les autres en coloris, certaines datées de 1555 et de 1557. Or, en 1555 aussi, florissait à Limoges un Jean de Court qui ne doit pas être le même artiste : il dessine ses figures étirées à la manière de l’école de Fontainebleau et éclaire ses lumières d’un pointillé blanc. Suzanne Court (1560-1627) applique le même graphisme. De la famille Courteys, le Louvre conserve des ouvrages adroits, d’une composition complexe, dus à Jean (1511-1586), et des plaques destinées à la décoration du château de Madrid, œuvres de Pierre Ier (1520-1586).

Vers le milieu du xvie s. est actif à Limoges Nicolas (dit Couly) Nouailher, qui procède par contrastes francs, selon la tradition, mais qui éclaircit déjà ses tons. Pierre Ier Nouailher, qui travaille encore dans le premier quart du xviie s., traite son Massacre des Innocents (coupe du musée de Cluny) en couleurs tendres et fondues, selon la nouvelle formule de l’époque. Son fils Jacques (v. 1605-1674) exploite habilement les inégalités d’épaisseurs. À cette famille appartiennent Pierre II (v. 1657-1717) et Jean-Baptiste (1699-1775), qui peint sur émail noir à forts reliefs. Il faut encore citer à Limoges la famille des Laudin, et notamment Noël II (1657-1727), auteur de grisailles et de polychromies à dominante rouge brique et jaune clair.

Cependant, dès le xviie s., l’émaillerie a découvert un procédé nouveau. On ne va plus peindre « en émail », mais sur un lit d’émail blanc constituant un « dessous » qui pourra recevoir des couleurs d’une fusibilité moindre et, partant, conduire à l’exécution de véritables tableaux. C’est à Paris et dans le Blésois que semble avoir été expérimentée cette technique, avec un succès qui dépouille Limoges de sa primauté. Jean Toutin (1578-1644), de Châteaudun, tardivement établi à Paris, « peignait sur l’émail blanc, écrit un contemporain, comme sur le papier ». Son fils et disciple Henri (1614 - apr. 1683) est brillamment représenté, par des portraits en miniature et des scènes mythologiques, dans différents musées d’Europe ; du cadet, Jean II (1619 - apr. 1660), le Louvre possède un ensemble de boîtes ornées d’émaux à sujets mythologiques. Les tableautins peints sur émail sont dès lors en faveur, qu’ils soient dus à un Robert Vauquer (1625-1670), au Suisse Jean Petitot (1607-1691) ou au Suédois Charles Boit (1663-1727), auteur d’un remarquable médaillon de Philippe, régent de France (Louvre).