Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Eliot (Thomas Stearns) (suite)

Il semble, cependant, que le poète ait eu, lui aussi, comme le « saint » le pouvoir de « saisir » le temps dans son éternité. Cette faculté confère à son œuvre le « sens de l’histoire », l’histoire qui, à ses yeux, « [...] est un motif de moments intemporels » et lui a permis non seulement d’appréhender tout le contenu de notre époque, mais encore d’avoir une vision prophétique de l’avenir de l’humanité.


« Notre tâche est de ramener la poésie dans le monde où vit notre public et où il retourne à la sortie du théâtre, et non pas de transporter notre public dans quelque monde irréel, totalement différent du sien, où l’on peut parler en vers. »

On ne saurait, dans l’œuvre d’Eliot, séparer la production théâtrale des autres écrits poétiques. Les interférences sont nombreuses : poésie dans le théâtre ; puissance dramatique de la poésie. On peut également relever parfois dans celle-ci le penchant vers la forme dramatique (Sweeney Agonistes, Coriolan), et les personnages de Prufrock ou de Sweeney appartiennent déjà au théâtre par leur densité burlesque. Il semble par ailleurs inévitable que, tôt ou tard, le « vers libre », à cause de ses affinités avec le langage parlé, ait conduit Eliot au langage dramatique. Donner le support d’un langage moderne à l’expression poétique ou faire entrer la poésie dans le langage moderne dramatique demeure toujours sous une forme différente l’identique problème auquel se trouve confronté l’art d’Eliot. Celui-ci s’est donc très tôt penché sur ces questions de l’expression dramatique, et en particulier du drame poétique. Dès 1919, il esquisse son esthétique théâtrale avec la Rhétorique et le drame poétique et revient encore sur ce sujet dans le Dialogue sur la poésie dramatique (1928), précédé en 1920 par The Possibility of Poetic Drama. Pourtant, ce n’est que près de vingt ans après Prufrock qu’il donne sa première pièce, The Rock (1934). Encore ne faut-il voir là qu’une tentative purement circonstancielle, et l’on pourrait en dire autant de Murder in the Cathedral. De toute manière, cette pièce, qui, en 1935, vient bouleverser les conceptions de la forme théâtrale, suscite les réserves de son auteur. Meurtre dans la cathédrale, sujet historique médiéval, mais où passe un souffle d’une grandeur antique, semble à Eliot un cas trop particulier, trop facile, serait-on tenté d’écrire, pour qu’il se satisfasse pleinement de sa magistrale réussite. C’est au travers de thèmes contemporains, quotidiens et éternels à la fois, qu’il veut atteindre à une démonstration rigoureuse de sa théorie. Paradoxalement, ce sont ces pièces qui emportent le plus difficilement l’adhésion du public et de la critique. À propos de The Family Reunion (la Réunion de famille, 1939), construite autour du thème fort beau de la recherche inlassable de la vérité et du salut, et fort grave de l’expiation, Martin Bowne a pu dire : « Un chef-d’œuvre, mais un échec total au théâtre. » Les grands problèmes de la foi et de la sainteté (The Cocktail Party, 1950) et les thèmes tragiques de l’inceste (The Confidential Clerk [le Secrétaire particulier], 1953) ou de la quête de soi (The Elder Statesman, 1958) s’accommodent mal du naturalisme domestique et de la comédie de mœurs. Il serait donc tentant, ici, de parler d’un échec d’Eliot dans la voie dramatique, après ceux de W. H. Auden, de S. Spender ou de C. Isherwood. On retiendra cependant de la tentative d’Eliot pour redonner vie au théâtre en vers qu’elle a montré à une nouvelle génération de dramaturges, celle de Christopher Fry, qu’on pouvait bâtir, hors de l’imitation servile de Shakespeare et des élisabéthains, un théâtre qui, échappant à la prose traditionnelle, retrouverait la source de l’inspiration poétique.

D. S.-F.

 G. Cattaui, T. S. Eliot (Éd. universitaires, 1957). / H. Kenner, The Invisible Poet, T. S. Eliot (Londres, 1960). / S. Lucy, T. S. Eliot and the Idea of Tradition (Londres, 1960). / A. G. George, T. S. Eliot, his Mind and Art (Londres, 1962). / A. Holder, Three Voyagers in Search of Europe (Philadelphie, 1966). / A. Tate (sous la dir. de), T. S. Eliot, the Man and his Work (Londres, 1967).

Élisabeth Ire

(Greenwich 1533 - Richmond 1603), reine d’Angleterre et d’Irlande (1558-1603).



Une jeunesse mouvementée

C’est en apprenant qu’Anne Boleyn (v. 1507-1537) était enceinte d’Élisabeth qu’Henri VIII s’était décidé à l’épouser le 25 janvier 1533. Mais lorsque Anne Boleyn accoucha pour la seconde fois, elle ne donna le jour qu’à un enfant mort-né : furieux de cette déception, le roi l’accusa d’adultère et celle-ci fut exécutée le 19 mai 1536 : sa fille Élisabeth fut déchue de la légitimité.

La naissance d’un fils (Édouard VI*) réconforta le roi ; on en oublia la situation d’Élisabeth, qui (sans toutefois avoir été réhabilitée) parut de nouveau à la Cour avec honneur. Élisabeth aimait beaucoup son frère Édouard, et la dernière femme d’Henri VIII, Catherine Parr (1512-1548), fut presque une mère pour elle.

L’adolescence d’Élisabeth ne fut pourtant pas sans problèmes, surtout après la mort d’Henri VIII (28 janv. 1547). Thomas Seymour (v. 1508-1549), le frère du protecteur Somerset, qui avait un temps caressé l’espoir de se marier avec Élisabeth, épousa en fin de compte Catherine Parr. À la mort de celle-ci, il reprit ses anciens projets : aussi, lorsque le complot qu’il avait ourdi fut découvert, on interrogea sévèrement Élisabeth, mais celle-ci s’en tira sans mal. Au reste, elle partageait les convictions religieuses de son frère et s’entendait bien avec lui.

Pendant le règne de Marie Tudor (1553-1558), les choses furent différentes. Les espoirs des protestants se reportèrent sur Élisabeth, qui devint une menace pour le trône. La révolte de Thomas Wyat (janv.-févr. 1554) faillit lui être fatale : Élisabeth fut incarcérée à la Tour de Londres (mars 1554), mais, quand il fut évident qu’il était impossible de prouver sa complicité, on se contenta de l’enfermer au château de Woodstock. Cependant, l’impopularité de la reine et l’échec de ses espoirs de maternité l’obligèrent à rappeler Élisabeth auprès d’elle. Le 6 novembre 1558, Marie Tudor reconnaissait enfin ses droits au trône, et à sa mort, le 17 novembre, Élisabeth lui succédait.