Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

abstraction (suite)

La première, la plus rigoureuse, s’inscrit dans une fidélité étroite au registre géométrique ; on y trouve notamment Henryk Berlewi (Pologne, 1894-1967), Marcelle Cahn (France, 1895), Jean Gorin (France, 1899), Auguste Herbin (France, 1882-1960), Ben Nicholson*, Emilio Pettoruti (Argentine, 1892-1971), Henryk Stażewski (Pologne, 1894), Georges Vantongerloo (Belgique, 1886-1965), Paule Vezelay (G.-B., 1893), Friedrich Wordemberge-Gildewart (Allemagne, 1899).

La seconde manifeste une plus grande souplesse dans l’inspiration comme dans la forme ; elle est illustrée par Willi Baumeister (Allemagne, 1889-1955), Karl Buchheister (Allemagne, 1890-1964), Serge Charchoune (Russie, 1888-1975), César Domela (Pays-Bas, 1900), Otto Freundlich (Allemagne, 1878-1943), Jean Hélion (France, 1904), Fedor Lovenstein (Allemagne, 1901-1946), Enrico Prampolini (Italie, 1894-1956), Kurt Schwitters*, Victor Servranckx (Belgique, 1897), Atanasio Soldati (Italie, 1896-1953), Władisław Strzemiński (Pologne, 1893-1952), Hendrik Nicolaas Werkman (Pays-Bas, 1882-1945).

On peut penser d’ailleurs que l’art abstrait de l’entre-deux-guerres a pâti de l’intérêt porté aux pionniers comme de la place prise par l’actualité de l’abstraction depuis 1945 ; les prochaines années amèneront à coup sûr quelques révisions de valeurs.


De l’accomplissement au renouveau

Attaché au Bauhaus de 1922 jusqu’à sa fermeture par les nazis en 1933, Kandinsky lui-même s’était rangé sous la bannière géométrique, tentant de dresser l’inventaire des ressources élémentaires de la peinture : non plus, cette fois-ci, la griffure et la tache, mais « le point, la ligne, la surface ». À Paris, où il vivra ses dix dernières années, il accède cependant à un art infiniment plus aérien et capricieux, où viennent de nouveau s’épanouir les fantasmes du subconscient. Mondrian lui-même, réfugié à New York en 1940, se laissera aller à chanter bien plus haut qu’on ne l’eût imaginé dans la série de ses Boogie-Woogie. Les temps étaient-ils donc venus pour l’art abstrait d’oublier l’austérité et la discipline ? Au cours de la même année 1934, Mark Tobey* va étudier la calligraphie orientale en Chine et au Japon, Hans Hartung* couve de prodigieuses explosions et Hans Hofmann (Allemagne, 1880) fonde une école à New York, d’où va partir l’expressionnisme* abstrait. Enfin, les frontières entre surréalisme et abstraction perdent de leur netteté à partir des premiers tableaux de Roberto Matta* en 1938, où l’automatisme règne en maître. L’expressionnisme* germanique et le surréalisme s’apprêtent à féconder l’art abstrait en lui rendant sa vigueur juvénile, celle qu’entre les mains de Kandinsky il avait connue à la veille de la Première Guerre mondiale.


La seconde vague créatrice

Au lendemain de la disparition des grands pionniers de l’art abstrait (Kandinsky et Mondrian meurent en 1944, mais Malevitch, mort en 1935, avait été bien auparavant condamné au silence par le stalinisme culturel régnant en U. R. S. S.), un nouveau chapitre commence, dont l’importance ne le cède en rien à la première naissance de cet art. Mais le rapport des forces est inversé : si de 1910 à 1920 l’abstraction froide avait été la plus forte, de 1945 à 1955 c’est l’abstraction lyrique qui l’emporte.


L’abstraction lyrique ; ses variétés

« Sturm und Drang » (Tempête et Élan), cette appellation du premier mouvement romantique allemand, conviendrait à merveille à la révolution picturale qui s’opère, spectaculairement aux États-Unis, plus discrètement en Europe, à partir de 1945 environ. Aux États-Unis, c’est Arshile Gorky* et Jackson Pollock* qui ouvrent toutes grandes les vannes ; mais si le premier participe directement du surréalisme, le second inaugure une nouvelle attitude picturale. Jetant les couleurs sur la toile posée par terre à ses pieds, il aspire à être « dans » sa peinture, non pas seulement physiquement, mais physiologiquement et affectivement. Chaque peinture, dès lors, se confond avec la fraction de la vie du peintre au cours de laquelle elle a surgi.

L’action painting valorise le comportement du créateur, la relation qui s’établit entre lui et le reste du monde par l’intermédiaire de la toile, aux dépens du contenu effectif de celle-ci. L’œuvre des Américains William Baziotes (1912-1963), Adolph Gottlieb (1903-1974), Theodoros Stamos (né en 1922), Bradley Walker Tomlin (1899-1953) relève de ce qu’on a parfois baptisé « surréalisme abstrait », alors que celle de Philip Guston (né en 1913), de Willem De Kooning*, de Franz Kline (1910-1962), de Robert Motherwell (né en 1915) et de Jack Tworkov (né en 1900) représente exactement l’expressionnisme abstrait, Sam Francis (né en 1923), Helen Frankenthaler (née en 1928) et Grace Hartigan (née en 1922) illustrant plutôt un « impressionnisme abstrait », tandis que Barnett Newman (1905-1970), Ad Reinhardt (1913-1967), Mark Rothko* et Clyfford Still (né en 1904) justifient l’appellation de color field painting.

Comme aux États-Unis, et au Canada avec Paul-Émile Borduas (1905-1960), une osmose se produit à Paris entre l’abstraction lyrique et le surréalisme, notamment avec Simon Hantaï (Hongrie, 1922), Wolfgang Paalen (Autriche, 1905-1959) et Jean-Paul Riopelle*. Mais c’est en la personne de Wols* que cet échange intime déclenche le signal fulgurant, en 1946, du déferlement lyrique. Tant bien que mal, on peut y démêler trois courants principaux, le signe, le dynamisme et la matière étant leurs marques respectives.

Dans l’ordre du signe, la liaison opérée avec les calligraphies d’Extrême-Orient (et qui, par contrecoup, entraînera un renouveau de cet art au Japon) inspire différemment les Allemands Julius Bissier (1893-1965) et Theodor Werner (1886-1969), les Français Jean Degottex (né en 1918), Mathieu*, Pierre Tal-Coat (né en 1905) et le poète Henri Michaux* ; elle prend une tournure moins contemplative, plus magique avec le Français Jean-Michel Atlan (1913-1960), l’Italien Giuseppe Capogrossi (1900-1972), le Britannique Alan Davie (né en 1920), le Japonais Kumi Sugaï (né en 1919).