Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Eisenstein (Sergueï Mikhaïlovitch) (suite)

Après son retour en Russie, Eisenstein entreprend divers projets, qui échouent tous. Il se consacre alors à l’une des activités essentielles de son existence : l’enseignement. « Les cours d’Eisenstein à VGIK sont un phénomène rigoureusement unique et jamais vu. Année par année, dans ses conférences, Eisenstein construisait cet édifice — et son travail vient enrichir non seulement la littérature soviétique, mais toute la littérature mondiale consacrée au problème de la mise en scène. [...] La pédagogie était pour lui un besoin organique et formait une part importante aussi bien de son expression artistique que de son œuvre de savant. » (Mikhaïl Romm.) Pendant plus de dix ans et jusqu’en 1943, juste avant le tournage de son dernier film, Eisenstein se passionnera pour la pédagogie au VGIK (Institut cinématographique d’État). Les témoignages que nous possédons montrent un Eisenstein vif, enthousiaste, stimulant, faisant partager à ses élèves aussi bien sa profonde culture que l’intense travail théorique qu’il avait accompli jusque-là.

Comme si la malchance semblait s’acharner sur lui, Eisenstein ne pourra mener à son terme le film qu’il entreprend alors : le Pré de Béjine (Bejine Loug, 1936-37). Le directeur de la cinématographie soviétique, Boris Choumiatski, fait interrompre le tournage et mettre la pellicule sous séquestre. Il ne reste aujourd’hui que des photogrammes et le scénario (adapté d’une nouvelle de Tourgueniev et de l’histoire du pionnier Pavel Morozov) qui présente la vie d’un kolkhoz. En 1938 — Choumiatski ayant perdu ses fonctions —, Eisenstein peut entreprendre Alexandre Nevski. Ce film fait partie d’un ensemble d’œuvres commandées pour évoquer certaines grandes figures russes (Pierre le Grand, Lénine, Gorki, etc.). Il s’agit réellement du premier film sonore d’Eisenstein si l’on omet le Pré de Béjine. Eisenstein met fortement l’accent sur l’« aspect audio-visuel » du film. Sans pour autant changer de manière et sans rejoindre le baroquisme d’un film comme Octobre, il travaille de près la construction générale de son œuvre avec le musicien Sergueï Prokofiev*, afin que musique et image s’imbriquent parfaitement en un rythme unique. Il n’est pas besoin de rappeler l’extraordinaire traitement plastique (opposition entre le blanc des chevaliers teutons et le noir des troupes de Nevski), non plus que la perfection de certaines scènes clés (la bataille sur la glace).

Après ce film, Eisenstein écrit plusieurs scénarios qui ne seront pas tournés. Au théâtre Bolchoï de Moscou, il met en scène la Walkyrie de Richard Wagner en 1940. Puis il se consacre à l’œuvre monumentale qui sera en quelque sorte son testament d’artiste : Ivan le Terrible (1943-1947). « La puissance de la Russie et la lutte épique pour sa grandeur », tel est le propos du film rappelant la Russie en lutte contre l’Allemagne à travers l’épopée du tsar du xvie s. Le film est à la dimension de son principe : opéra, épopée dont la part plastique est prépondérante — plus maintenant que le montage lui-même. Admirables images souvent statiques, dont la composition est remarquablement élaborée et qui trouvent leur aboutissement dans une fin tournée en couleurs. Une crise cardiaque devait arrêter Eisenstein dans son travail. De cette période de repos datent quelques-uns de ses écrits les plus importants. Eisenstein espérait continuer Ivan le Terrible, lorsqu’il fut terrassé par une ultime crise, seul dans son appartement, le 11 février 1948.

Son influence ne doit pas être limitée à son œuvre, mais, à parts égales, à son enseignement et à ses théories.

G. C.

 ŒUVRES D’EISENSTEIN : Œuvres choisies (en russe, Moscou ; 5 volumes publiés sur 6 prévus) [extraits essentiels traduits dans les Cahiers du cinéma (nos 209 à 227), 1969-1971] ; The Film Sense (New York, 1942) ; Film Form (New York, 1949) ; Réflexions d’un cinéaste (Éd. de Moscou, 1958) ; Ma conception du cinéma (Buchet-Chastel, 1971). / S. M. Eisenstein. Tous ses films (Éd. du Chêne, 1972) ; Œuvres, t. I : Au-delà des étoiles ; t. II : la Même Indifférente Nature (U.G. E., 1974-1976) ; le Film, sa forme, son sens (Bourgois, 1976).
M. Seton, Sergei M. Eisenstein, a Biography (Londres, 1952 ; trad. fr. Eisenstein, Éd. du Seuil, 1957). / J. Mitry, S. M. Eisenstein (Éd. universitaires, 1955). / B. Amengual, Eisenstein (Serdoc, Lyon, 1963). / L. Moussinac, Serge Eisenstein (Seghers, 1964). / R. Yourenev, « Eisenstein », dans Anthologie du cinéma, t. I (C. I. B., 1965). / V. Nizhmy, Lessons with Eisenstein (New York, 1969). / D. Fernandez, Eisenstein (Grasset, 1975).

Eitoku

De son vrai nom, Genjirō ; noms de pinceau : Kuninobu, Eitoku. Peintre japonais (prov. de Yamashiro 1543 - Kyōto 1590).


L’art de la grande composition murale, inauguré à la cour des Ashikaga par les premiers représentants de la famille Kanō* (xve - début xvie s.), s’épanouit à la période suivante, celle des Momoyama, grâce à Kanō Eitoku. Ce décorateur de génie travaille au service des dictateurs militaires Nobunaga, puis Hideyoshi, qui, désireux d’assurer leur prestige, font construire des châteaux forts au décor somptueux. Pour les portes à glissière et les paravents, Eitoku crée une peinture sur fond d’or (dami-e) qui rehausse la profondeur des couleurs et convient parfaitement à la lumière tamisée des salles japonaises.

Il commence sa carrière de peintre sous la direction de son grand-père, Kanō Motonobu (1476-1559), et de son père, Shōei. Très vite, il acquiert un style personnel, qui apparaît dès 1566 dans la décoration intérieure du sanctuaire Jukō-in, au monastère du Daitoku-ji, à Kyōto. L’ensemble, réalisé avec son père, comprend seize portes à glissière dont les compositions représentent des arbres et des oiseaux aux quatre saisons (pruniers, pin et grue...). Les thèmes sont encore ceux de Motonobu, mais la touche plus ferme et le traitement plus décoratif de l’espace reflètent le changement intervenu en deux générations.