Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Einstein (Albert) (suite)

À ce moment de sa vie, il retrouve une famille en se remariant avec sa cousine Elsa, déjà mère de deux filles ; celle-ci, jusqu’à sa mort, prendra discrètement soin de lui. C’est dans la quiétude de ce nouveau foyer qu’il approfondit peu à peu ses théories et aboutit en 1916 à la relativité généralisée, théorie de la gravitation concernant un univers à quatre dimensions, courbe et fini, qui va engendrer la cosmologie moderne.

En dépit de la guerre, ce travail est connu en Angleterre. Aussi, en 1919, l’astronome britannique Eddington* vérifie-t-il lui-même, dans le golfe de Guinée, la courbure des rayons lumineux rasant le bord de la Lune lors d’une éclipse solaire. Alors que le Suisse Charles Eugène Guye (1886-1942) avait, avec Lavanchy, dès 1913, mesuré l’augmentation de masse d’électrons très rapides, prévue par la relativité restreinte, c’est maintenant la confirmation, beaucoup plus difficile, de la relativité générale. Annonçant ce résultat, le président de la Société royale de Londres qualifie la théorie d’Einstein comme « la plus grande découverte concernant la gravitation qui ait été faite depuis que Newton a énoncé ses principes ».


La célébrité

En 1921, enfin, Einstein reçoit le prix Nobel de physique, mais, comme la relativité paraît encore trop aventureuse pour figurer parmi les motifs, ce prix est « décerné à M. Einstein pour ses mérites dans le domaine de la physique théorique, et spécialement pour sa découverte de la loi de l’effet photo-électrique ». Il en partage le montant entre sa première femme et une œuvre charitable.

Devenu célèbre, Einstein effectue de nombreux voyages qui le conduisent d’Amérique en Extrême-Orient. Il profite de sa notoriété pour défendre les causes qui lui tiennent à cœur : ennemi de l’injustice, il tente, en toute occasion, de venir en aide aux opprimés. On le consulte à tout propos et il est appelé à faire partie de la Commission de coopération intellectuelle créée par la Société des Nations.

Cependant, il poursuit toujours ses travaux scientifiques. Ayant eu connaissance, par l’intermédiaire de son ami P. Langevin*, de la fameuse thèse de Louis de Broglie*, il publie en 1924 une note où, en se servant aussi d’un récent travail du physicien indien sir Jagadis Chunder Bose (1858-1937), il crée une statistique valable pour les particules indiscernables (statistique de Bose-Einstein). En 1929, il expose, dans une communication à l’Académie des sciences de Prusse, sa « théorie du champ unitaire », qui résume, en une série d’équations, les lois qui gouvernent les deux forces fondamentales de l’univers, la gravitation et l’électromagnétisme. Plus tard, lorsque d’autres forces seront identifiées, notamment les forces nucléaires, il tentera de les englober dans cette synthèse.

Quelques mots d’Einstein

• « Dieu est sophistiqué, mais il n’est pas malveillant. » (Il entend par là que, si les phénomènes naturels mettent en jeu un formalisme mathématique très complexe, ils n’en obéissent pas moins à un système de lois que l’esprit humain peut découvrir.)

• Dans le même ordre d’idées : « La chose la plus incompréhensible, c’est que le monde est compréhensible. »

• « Je ne puis pas croire que Dieu joue aux dés avec le monde. » (Réponse à l’indéterminisme et au probabilisme de Heisenberg, de Schrödinger et de Bohr.)

• « L’expérience religieuse cosmique est la raison des plus fortes et des plus nobles recherches scientifiques. »

• « Une théorie peut être prouvée par l’expérience, mais il n’y a pas de chemin qui mène de l’expérience à la création d’une théorie. »

• « Les qualités morales des personnalités marquantes sont peut-être d’une plus grande signification pour une génération et pour le cours de l’histoire que les accomplissements purement intellectuels. »

Quelques opinions sur Einstein

• Max Planck : « Si cette théorie [la relativité] est, comme je m’y attends, confirmée, on tiendra son auteur pour le Copernic du xxe siècle. »

• Louis de Broglie : « Par la nouveauté et la profondeur des idées qu’il a introduites en physique, par les répercussions profondes que ces idées ont eues sur toute l’orientation de la science contemporaine, Albert Einstein mérite d’être regardé comme l’un des plus grands esprits scientifiques de tous les temps. »

• André Maurois : « Einstein n’a pas seulement bouleversé la physique moderne. Il est aussi, depuis Newton et Descartes, l’homme qui a le mieux prouvé la puissance de l’esprit humain. »

• D. Marianoff, le mari de sa belle-fille : « Vivre auprès de lui est pour moi vivre à côté d’une force qui ne peut être abolie ou diminuée, une force que, hasard étrange, exprime son nom : Ein Stein, une pierre. »


L’installation aux États-Unis

Jusqu’en 1933, il demeure à Berlin ou dans sa maison de campagne de Caputh, non loin de la capitale. Mais, lorsqu’il apprend d’Amérique, où il effectue un de ses fréquents séjours, l’accession de Hitler au pouvoir, il décide de ne pas retourner en Allemagne, où sa situation était déjà devenue difficile ; il abandonne tous ses biens et envoie sa démission à l’Académie des sciences de Prusse. Il réside d’abord au Coq-sur-Mer, en Belgique, envisage d’accepter une chaire au Collège de France et s’installe enfin aux États-Unis, où il devient directeur de l’Institute for Advanced Study de Princeton. Il peut, dans le calme qui entoure ce haut lieu de l’esprit, reprendre le cours de ses recherches. En 1940, il acquerra la nationalité américaine.

La mort de son épouse en 1936, les odieuses persécutions raciales du régime national-socialiste, l’annonce du cataclysme qui va fondre sur le monde assombrissent ses jours. Malgré son horreur du militarisme, Einstein déplore l’impréparation à la guerre des démocraties occidentales. Lorsque Niels Bohr*, de passage en Amérique, propage la nouvelle de la découverte du phénomène de fission, Fermi* et Leo Szilard interviennent auprès de lui, et Einstein envoie en 1939 au président Roosevelt le message suivant : « Les résultats des recherches effectuées récemment par E. Fermi et L. Szilard, qui m’ont été soumis en manuscrit, me démontrent qu’on peut s’attendre à ce que l’élément uranium puisse, dans un avenir immédiat, devenir une nouvelle et importante source d’énergie. Ce nouveau phénomène peut conduire aussi à la construction de bombes extrêmement puissantes. Une seule de ces bombes, transportée par bateau, et qu’on laisserait exploser dans un port, pourrait détruire tout le port et le territoire environnant. » On connaît les suites de cette lettre ; comme il le dira plus tard avec tristesse, lui, pacifiste convaincu, il a « pressé sur le bouton ».