Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Église catholique ou romaine (suite)

Sur le plan philosophique, le beau monument thomiste était menacé par des courants nouveaux, venus surtout d’outre-Manche. Roger Bacon* (1214-1294) mit en honneur la critique textuelle de la Bible et la théologie positive ; pour Duns* Scot (v. 1266-1308), la volonté doit avoir le primat sur la connaissance intellectuelle ; les théories nominalistes de Guillaume* d’Occam (v. 1295/1300 - v. 1349/50) firent de lui le précurseur de l’empirisme anglais, rendirent inutile la métaphysique et laïcisèrent la pensée en donnant au concret, à l’individuel le pas sur les universaux (concepts généraux). D’Espagne monta l’averroïsme, doctrine matérialiste et rationaliste qui mettait en lumière le caractère éternel et incréé du mouvement et de la matière.


Un mysticisme exacerbé

Dès la fin du xiiie s. s’élevèrent des voix — parfois âpres — qui protestèrent contre le caractère trop terrestre de l’Église de Dieu et qui invitèrent les chrétiens à une existence plus dépouillée : frères du Libre-Esprit, bégards, apostoliques, flagellants, pénitents, etc., se multiplièrent. Chez les Franciscains, les spirituels s’opposaient aux conventuels en réclamant un retour absolu au dénuement évangélique ; ils se montraient les partisans de l’humble ermite Pierre de Morrone (Célestin V [1294]), que l’ambitieux Boniface VIII (1294-1303) écarta du trône pontifical ; ils se heurtèrent au réaliste Jean XXII (1316-1334). Dans l’Europe du Nord se développèrent des mouvements mystiques plus orthodoxes : dans les couvents dominicains, autour de Maître Eckart* (1260-1327), de Jean Tauler (1300-1361) et d’Heinrich Suso (1295-1366) ; près de Bruxelles, avec Jan Van Ruusbroec (1293-1381), initiateur de la Devotio moderna, manière plus chaude, plus démonstrative de comprendre les relations avec Dieu.


Boniface VIII et Philippe le Bel

Ayant abaissé l’Empire, la papauté, au début du xive s., se trouva affrontée aux chefs des jeunes États occidentaux, qui, appuyés sur la bourgeoisie urbaine et un clergé impatient du joug pontifical, songeaient à se libérer des sujétions propres à une chrétienté unifiée et statique. Il s’agissait non plus seulement d’investitures laïques, mais d’une laïcisation substantielle des organes politiques et des relations entre le temporel et le spirituel. Au premier rang, la France, de tous ces États le plus fortement organisé. En 1285 Philippe* IV le Bel accéda au trône de France. Dès 1296, le roi de France se heurta au pape Boniface* VIII : comme Philippe prétendait faire contribuer les clercs aux dépenses publiques, le pape fit l’apologie des immunités ecclésiastiques (bulle Clericis laicos). Quand un protégé de Boniface, l’évêque de Pamiers Bernard Saisset, fut arrêté sur l’ordre du roi de France, le pape lança la bulle Ausculta fili (1301). Celle-ci, falsifiée par les juristes du roi, souleva contre la papauté l’opinion française. Boniface VIII répliqua par la bulle Unam sanctam (1302), qui érigeait la soumission au pontife romain en condition nécessaire au salut. Si la tentative de Guillaume de Nogaret à Anagni, pour arrêter et déchoir le pape, échoua en définitive (1303), il n’en resta pas moins que la papauté sortit affaiblie de ce conflit.


La « captivité de Babylone » : la papauté à Avignon

La sujétion du pontificat romain à l’égard de la France s’accentua avec l’installation du pape Clément V — un Français — à Avignon* (1309), et ce d’autant plus que ce pape, ne se contentant pas d’absoudre les auteurs de l’attentat d’Anagni, entérina la persécution conduite par Philippe le Bel contre les Templiers — accusés de divers crimes — en supprimant solennellement l’ordre du Temple (concile de Vienne, 1311).

Son successeur, Jean XXII (1316-1334), tout en se maintenant à Avignon, renforça l’administration pontificale en créant notamment la Chambre apostolique, ensemble des bureaux chargés des affaires financières du Saint-Siège, et la Chancellerie apostolique, qui s’occupe de l’expédition des lettres pontificales. Des besoins financiers grandissants — créés surtout par les guerres d’Italie et par le luxe de la cour d’Avignon — poussèrent Jean XXII et ses successeurs à multiplier les impôts, à en surveiller étroitement la perception et à lier strictement à la papauté toute la hiérarchie ecclésiastique. L’austère Benoît XII (1334-1342) ne put guère réagir ; c’est lui, d’ailleurs, qui fit entreprendre la construction d’un palais papal à Avignon ; dans ce cadre magnifique, Clément VI (1342-1352) mena la vie d’un mécène et d’un artiste. Innocent VI (1352-1362) fit réoccuper et réorganiser les États du Saint-Siège en Italie par le cardinal Gil de Albornoz (1353-1360) ; il résista également aux Grandes Compagnies, qui menacèrent Avignon en 1357 et en 1360. Urbain V (1362-1370) rentra à Rome en 1367, mais revint mourir à Avignon ; cependant, son successeur, Grégoire XI (1370-1378), mit fin en 1377 à la « captivité » d’Avignon.


Le Grand Schisme

Ce long épisode était à peine terminé que s’ouvrait le Grand Schisme* d’Occident (1378-1417), dont les conséquences allaient lourdement peser sur l’avenir de l’Église romaine. Le successeur de Grégoire XI, Urbain VI, élu à Rome en 1378, était un homme au caractère difficile, dont la désignation s’était déroulée dans des conditions mouvementées. Un groupe de cardinaux français lui opposa presque aussitôt Clément VII, qui dut se replier à Avignon. L’Europe se divisa en deux obédiences : derrière Clément, la France et ses alliés ou amis (Savoie, Écosse), plus tard les royaumes ibériques ; derrière Urbain, l’Empereur, une bonne partie de l’Italie et les ennemis de la France (Angleterre et Flandre).

Le schisme aurait pu s’éteindre rapidement, mais il se prolongea parce que la mort d’un des deux pontifes fut immédiatement suivie de l’élection d’un autre pape. Ainsi, à Urbain VI succédèrent Boniface IX (1389), puis Innocent VII (1404) et Grégoire XII (1406) ; à Clément VII succéda en 1394 Benoît XIII. L’Église gémissait ; les solutions présentées par les canonistes (et notamment la cession ou la démission) échouèrent ; une rencontre entre Benoît XIII et Grégoire XII n’aboutit pas par la mauvaise volonté des deux papes, qui s’arrêtèrent à une journée de marche l’un de l’autre. Outrés, un groupe de cardinaux avignonnais et romains réunis à Pise élirent un troisième pape, Alexandre V (1409), bientôt remplacé par Jean XXIII (1410). La confusion était telle que l’empereur Sigismond de Luxembourg prit l’initiative de la réunion d’un concile général pour 1414.