édition (suite)
Le blocage du livre joue aussi au niveau de l’objet : l’exploitation des disponibilités en temps et en argent qui se dégagent de l’accroissement des niveaux de vie et des loisirs s’effectue bien moins à des fins culturelles qu’en faveur d’activités beaucoup plus terre à terre. Dès lors, toute conquête de nouveaux lecteurs de la part d’un éditeur correspond moins à un élargissement véritable du public qu’au déplacement d’une de ses fractions à la suite d’une coûteuse bataille entre confrères.
L’incitation officielle à la lecture existe sous la forme d’une aide culturelle destinée à promouvoir le livre français à l’étranger et sous celle des bibliothèques publiques en France. L’état de ces dernières évoque un climat de désert culturel : à Paris, on prête en moyenne un livre par tête et par an contre 10 à Londres... Nombre de bons titres sont ainsi privés de ces 2 000 ou 3 000 exemplaires souscrits d’office par les bibliothèques publiques scandinaves, américaines ou anglaises (11 p. 100 de la production anglaise sont ainsi absorbés).
Le C. N. R. S. et la Caisse nationale des lettres aident, au moyen de dons, de prêts ou même d’achats, certaines publications présentant un intérêt scientifique ou littéraire reconnu, mais dépourvues d’une rentabilité suffisante.
L’audio-visuel évolué, sous forme de cassettes ou de télévision par câble, pourrait prêter à l’édition un nouveau souffle, mais ses réalisations européennes demeurent encore en filigrane. L’on ne dispose que de l’exemple des États-Unis, lequel est plus riche d’espoirs que d’éléments vraiment positifs dans l’immédiat.
La diffusion d’une langue préfigure assez celle de sa culture. Or, depuis quarante ans, l’anglo-américain, parlé par un ensemble de nations riches, distance irrémédiablement le français. En tant que marché, les francophones (France, Belgique, Canada, Suisse, Afrique) représentent en nombre 1/5 des anglophones et, en puissance d’achat, 1/8. L’édition française produit donc plus cher par définition et doit recourir à la traduction dès qu’elle veut gagner l’étranger. Toutefois, la pratique croissante des coéditions en matière d’ouvrages illustrés permet de réaliser économiquement plusieurs versions en langues différentes d’une même œuvre, au prix d’un travail raisonnable d’adaptation sur chacune.
Si l’édition montre une lenteur certaine à profiter des opportunités que semble lui offrir l’essor de l’économie, c’est sans doute faute d’avoir su introduire dans son produit les transformations qu’une civilisation en pleine évolution s’attend obscurément à y trouver.
E. G.
➙ Bibliothèque / Communication de masse / Imprimerie / Livre (sociologie du).
E. Kuhnert et H. Widmann, Geschichte des Buchhandels vom Altertum bis zur Gegenwart (Berlin, 1952). / H. F. Schulz, Das Schicksal der Bücher und des Buchhandels (Berlin, 1952 ; nouv. éd., 1960). / J. A. Néret, Histoire illustrée de la librairie et du livre français (Lamarre, 1953). / S. Taubert, Grundriss des Buchhandels in aller Welt (Leipzig, 1953). / P. Monnet, Monographie de l’édition (Cercle de la librairie, 1956 ; 2e éd., 1960). / R. R. Barker, le Livre dans le monde (Unesco, 1957). / P. Angoulvent, l’Édition française au pied du mur (P. U. F., 1960). / R. Escarpit, la Révolution du livre (P. U. F., 1965). / P. Schuwer, l’Infraculture, précédé de Conception et graphisme du livre en France (Brient, 1969). / Le Livre et la lecture en France (Éd. ouvrières, 1969). / A. Labarre, Histoire du livre (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1970). / J. Cain, R. Escarpit et H. J. Martin (sous la dir. de), le Livre français, hier, aujourd’hui, demain (Impr. nat., 1972). / A. Spire et J.-P. Viala, la Bataille du livre (Éd. sociales, 1976).