Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

économique (science) (suite)

Le socialisme scientifique de Karl Marx. Pour Karl Marx, le socialisme qu’il étudie mérite l’épithète de scientifique, par opposition aux autres tendances, qualifiées d’utopiques, parce qu’il se propose de fournir une explication scientifique de l’évolution économique et du développement des sociétés. Aussi, le socialisme scientifique se défend-il d’imaginer ou de prédire l’avènement d’un système social qui rendrait les hommes heureux ; il entend seulement constater le sens du mouvement qui emporte la société.

Au départ, Marx affirme que tout le développement des sociétés est commandé par les intérêts matériels (doctrine du matérialisme historique) et que l’histoire des sociétés passées a été marquée par la lutte des classes (dialectique marxiste). À la structure médiévale, où les serfs étaient dominés par les seigneurs, a succédé le régime capitaliste, dans lequel la classe dominante s’est approprié les instruments de production. Se plaçant ensuite dans le cadre fourni par les classiques et acceptant, dans l’ensemble, leurs explications du mécanisme libéral, Marx part de l’idée de Ricardo* que le seul fondement de la valeur des biens est la quantité de travail incorporée dans ces biens. Or, en régime capitaliste, où les moyens de production appartiennent aux détenteurs de capital, l’ouvrier en est réduit à vendre sa force de travail, sa personne, au vil prix du marché. En échange de son travail, il ne reçoit que ce qui est strictement nécessaire à sa subsistance, et le patron s’empare d’une plus-value correspondant à la différence entre la valeur des biens que le travail de l’ouvrier a produits et le salaire payé : l’ouvrier est donc exploité et souffre ainsi d’une aliénation permanente.

Aux antipodes des économistes classiques optimistes, qui voyaient dans le capitalisme un ordre social conforme à la nature et à l’idéal, et donc permanent, Marx veut démontrer que les contradictions internes du régime le font, en fait, évoluer vers un terme final. Le capitalisme ne correspondrait, en réalité, qu’à une phase transitoire de l’histoire, jetant un pont entre le régime féodal du Moyen Âge et la société socialiste future. Le régime capitaliste actuel engendre sa propre destruction parce qu’il souffre d’une contradiction entre le développement de sa capacité de production et celui du pouvoir d’achat des salariés, partiellement confisqué par le capital.

Le réinvestissement des profits par la classe capitaliste, le progrès technique et la concentration croissante de la production élargissent la capacité de production bien plus vite que les débouchés offerts par les consommateurs salariés. La masse des salaires n’augmente guère en raison de la pléthore de travailleurs. L’armée permanente de réserve de chômeurs, alimentée par la mécanisation de la production, empêche les salaires de monter proportionnellement à la productivité. L’écart entre la productivité et le salaire, donc entre la capacité de production et le pouvoir d’achat, ne cesse de s’agrandir. Les crises périodiques, de plus en plus violentes et prolongées, sont les signes avant-coureurs de la catastrophe finale qui doit engloutir la société capitaliste.

Tout en exploitant la classe ouvrière, les capitalistes, aux yeux de Marx, ne manquent pas aussi de s’entre-dévorer. La concurrence élimine les petites et moyennes entreprises, entraîne la prolétarisation des artisans, ce qui concentre la propriété et le pouvoir dans les mains d’un nombre de plus en plus réduit de capitalistes. Ceux-ci luttent désespérément pour sauvegarder leurs profits, menacés par l’étroitesse des débouchés intérieurs. Cela explique qu’après la conquête de leur marché national les capitalistes aient entrepris celle des marchés extérieurs ; ils se livrent à la colonisation des pays neufs, y implantant leur domination et leurs procédés de production. Mais cette conquête colonisatrice ne fait que retarder l’issue fatale. L’évolution du capitalisme étant irréversible, il appartient au prolétariat organisé de l’accélérer et de la canaliser, car, dans la pensée de Marx, la révolution n’est jamais parfaitement accomplie ; elle est un perpétuel devenir. La classe ouvrière devra alors éliminer l’oligarchie capitaliste et socialiser, par une appropriation collective, les instruments de production, excluant ainsi toute exploitation. Le capitalisme aura accompli sa mission historique : celle d’équiper l’humanité de biens capitaux.

Marx n’a jamais donné aucune indication sur ce que pourrait être la société future, si ce n’est qu’elle serait une société sans classes. Ce sont les successeurs de Marx, notamment Lénine* et les économistes soviétiques, qui décideront que l’économie socialiste devra recourir à la planification.

• Les tentatives d’unification de la pensée économique : l’école abstraite du marginalisme (1870-1914). Les années 70 ont marqué un tournant dans l’évolution de la pensée économique. En effet, à la considération initiale du rôle joué par le travail, la population et le capital dans l’activité économique, des auteurs autrichiens (Carl Menger [1840-1921], Grundsätze der Volkswirtschaftslehre, 1871 ; Eugen Böhm-Bawerk [1851-1914], Kapital und Kapitalzins, 1884-1889 ; Friedrich von Wieser [1851-1926], Der Natürliche Wert, 1889) ont préféré une reconstruction patiente s’appuyant sur l’analyse des mobiles — certes simplifiés — de l’individu et de ses besoins, mesurés par la notion d’utilité marginale. Cette réflexion théorique, axée autour du comportement personnel de l’individu, était née d’une querelle méthodologique avec l’école historique (Wilhelm Roscher [1817-1894], Bruno Hildebrand [1812-1878], Karl Gustav Adolf Knies [1821-1898], Gustav Schmoller [1838-1917], Adolphe Wagner [1835-1917], Karl Bücher [1847-1930]), préoccupée de décrire les systèmes économiques et leur évolution.

La révolution marginaliste consiste essentiellement à prendre pour point de départ de l’analyse économique les besoins de l’homme et la loi de la satiété de ces besoins. Elle constate chez les hommes des échelles de préférence, découlant de motifs et de mobiles extrêmement divers. Pour étudier les échelles de préférence d’un individu pour plusieurs biens, les auteurs autrichiens ont eu recours à la notion d’utilité marginale, distinguée de l’utilité totale. Par exemple, l’eau a une grande utilité totale, mais son utilité marginale est nulle, parce qu’elle est surabondante par rapport aux besoins. Ceux-ci sont satisfaits à satiété. Le diamant, en revanche, est très rare par rapport aux désirs ; son utilité marginale, l’utilité d’une petite augmentation de sa quantité, est élevée ; l’utilité totale du diamant est toutefois faible, comparée à celle de l’eau. L’utilité marginale croît donc avec la diminution de la quantité disponible du bien utilisé.