Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

économique (science) (suite)

S’il admet dans ses Principles of Political Economy (1848) les théories de Smith, de Malthus et de Ricardo, et déclare avec eux que les lois de la production sont absolues et constantes, Stuart Mill* (1806-1873) élabore cependant tout un programme de réformes sociales destinées à corriger la rigueur des conséquences du système classique et à assurer le bonheur des hommes : socialisation de la rente foncière, limitation du droit d’héritage, abolition du salariat. Des lois de la production, il distingue ainsi les lois de la répartition, qui dépendent non pas, comme les premières, d’un ordre extérieur à l’homme et immuable, mais, au contraire, des efforts institutionnels et sociaux ; il admet de ce fait une intervention gouvernementale.

Les théories des classiques anglais seront vulgarisées surtout par les Français Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat. Ces deux auteurs soutiendront que le caractère naturel et bienfaisant du régime libéral doit être préservé de toute ingérence gouvernementale dans le secteur privé.

• Les réactions contre l’école libérale. Contre ce système vont se développer des réactions doctrinales suscitées surtout par l’observation de la misère ouvrière liée au développement industriel. Elles ont reçu le nom de socialisme* parce qu’elles se proposaient d’instaurer un ordre social ennemi de la propriété privée, réclamant l’organisation et l’égalitarisme. Dans ces différentes réactions, on peut distinguer en fait deux grandes orientations, déterminées par l’environnement dans lequel se situent les contestations de l’ordre libéral triomphant. Le premier courant, qualifié d’idéaliste, qui s’étend du début du xixe s. à la révolution de 1848, soit critique le régime nouveau (socialisme interventionniste de Sismondi), soit dresse des « plans de cité future » (socialisme organisateur de Saint-Simon*, socialisme utopique de Louis Blanc*, de Fourier* et de Proudhon*, socialisme associationniste de R. Owen*). L’autre courant, dit « scientifique », selon les termes mêmes de K. Marx*, dominera les années 1840-1870.

Le socialisme interventionniste de Sismondi. Sismondi est le premier d’une lignée d’auteurs vivement frappés par l’observation d’un nombre important de travailleurs ne pouvant trouver à employer leur capacité et voués à un chômage misérable ; leur existence fait, de plus, peser sur leurs compagnons plus heureux la menace continuelle d’un renvoi irréparable, qui contraint ceux-ci à accepter des conditions de travail de plus en plus dures pour une rémunération aussi basse que possible. Au point de vue économique, le système libéral n’est guère efficace aux yeux de Sismondi. Les erreurs des industriels engendrent des crises périodiques, résultat de la contradiction fondamentale entre l’accroissement de la capacité de production et la croissance retardée de la demande. Le paupérisme des masses empêche d’ailleurs l’accroissement parallèle des débouchés et de la capacité de production.

Bien que Sismondi ne soit pas un socialiste au sens strict, il peut être considéré comme un socialiste au sens large, comme J. Stuart Mill, puisqu’il recommande l’intervention de l’État pour corriger les conséquences sociales des transformations économiques et limiter les excès de la production. Son analyse des faits est, en tout cas, saisissante.

Le socialisme organisateur de Saint-Simon. Alors que Sismondi souhaite voir se ralentir le rythme des inventions à cause des maux sociaux que celles-ci entraînent, Saint-Simon déplore au contraire la persistance, dans la société nouvelle, de vestiges d’un passé féodal. Il rêve d’une société efficace et juste, purgée de ses parasites aristocratiques et cléricaux. S’il respecte encore le droit de propriété, tout en proposant d’abolir le droit d’héritage, ses disciples s’élèvent contre le droit des propriétaires de percevoir un revenu sans travail. L’État est considéré non pas comme un mal nécessaire dont il faut réduire les attributions, mais, au contraire, comme l’un des créateurs du progrès.

Le socialisme utopique de Louis Blanc, de Fourier et de Proudhon. L’aspiration à l’autonomie du travailleur, dont la personnalité est écrasée dans les rouages de l’industrie nouvelle, s’est exprimée notamment chez Louis Blanc dans le projet de l’« atelier libre » (prototype théorique des ateliers nationaux de 1848). Cette revendication de la sauvegarde et du déploiement de la personnalité de l’ouvrier dans l’œuvre de production est une protestation remarquable contre la destruction de valeurs humaines importantes. La concurrence serait remplacée par l’« atelier social », groupant par métier les libres adhérents à une sorte de société ouvrière de production, base d’une société collectiviste sans contrainte.

Le désir d’affranchissement des servitudes implacables imposées par le capitalisme est l’idée fondamentale du projet de « phalanstère » défendue par Fourier, communauté fermée où le travail sera devenu attrayant, donc sans contrainte, et choisi en fonction des goûts de chaque individu.

Proudhon critique la propriété privée comme instrument de domination des prolétaires. Pour lui, la propriété, c’est le vol, « parce qu’elle implique le « droit d’aubaine » ou la perception d’un revenu sans travail. Le contrat salarial, par ailleurs, serait injuste, le patron percevant une partie de la productivité du travail. Proudhon propose en conséquence l’institution d’un crédit gratuit. Dès lors, dans une société où l’intérêt du capital aurait été aboli, il n’y aurait plus d’injustices ; il n’y aurait plus besoin de contrainte, et le libre contrat serait un principe suffisant d’organisation.

Le socialisme associationniste de R. Owen. En Angleterre, l’industriel philantrope Robert Owen contribue, par sa critique du milieu imposé à l’homme par le capitalisme, à la réforme institutionnelle du régime. Non seulement il prêche « une nouvelle vision de la société », mais il a la générosité de mettre ses conceptions en œuvre, se retrouvant ainsi à l’origine du mouvement coopératif en Angleterre.