Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

économétrie (suite)

Les modèles peuvent servir à des fins diverses, comme l’analyse historique (éclairant l’évolution passée), la prognose (décrivant l’évolution que l’on peut attendre dans l’avenir, sous certaines conditions bien déterminées) et surtout la conception d’une politique (c’est-à-dire la formulation de modèles de décision). C’est surtout cette dernière fin qui retient aujourd’hui l’attention, car, avec l’adoption de la théorie de la décision, un véritable enrichissement théorique peut être obtenu : la théorie de la décision permet de faire le lien entre le point de vue théorique et le point de vue pratique de l’économie. Cette orientation de la recherche économique a conduit à l’utilisation de nouvelles techniques, comme la simulation, qui consiste à constater expérimentalement comment, dans un univers fictif où le nombre de facteurs est limité, se modifieraient certaines variables économiques si l’on changeait l’une ou l’autre des conditions initiales, tout en maintenant le reste constant. Cependant, dans l’état présent de recherches, il est reconnu que les modèles économétriques existants, représentatifs des réactions à court terme des différentes économies nationales, ne donnent pas toujours des prévisions satisfaisantes et ne peuvent donc pas constituer l’unique instrument à utiliser lorsqu’il s’agit, en pratique, d’éclairer les décisions de politique économique.

G. R.

 J. Tinbergen, l’Économétrie (A. Colin, 1954) ; The Economic Policy, Principles and Design (Amsterdam, 1956 ; trad. fr. Techniques modernes de la politique économique, Dunod, 1961). / H. Guitton, Statistique et économétrie (Dalloz, 1958). / E. Malinvaud, Méthodes statistiques de l’économétrie (Dunod, 1964). / O. Lange, Leçons d’économétrie (trad. du polonais, Gauthier-Villars, 1970). / R. Roy, Éléments d’économétrie (P. U. F., 1970). / Économie mathématique et économétrie (Dalloz, 1970). / P. Maillet, l’Économétrie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1971). / G. Vangrevelinghe, Économétrie (Hermann, 1973). / G. Rottier, Économétrie appliquée (Dunod, 1975). / C. Labrousse, Introduction à l’économétrie (Dunod, 1977).

économique (politique)

Ensemble des interventions volontaires — notamment de la puissance publique — destinées à atteindre des objectifs économiques.



D’une médecine empirique à une discipline scientifique

La politique économique a précédé la science économique, un peu comme la médecine empirique a précédé l’anatomie ou la pathologie. C’est avec les mercantilistes que cette façon de voir prit son expression la plus éclatante : pour eux, l’économie était exclusivement un art empirique, un recueil de recettes pratiques à l’usage des gouvernants, en vue de sauvegarder les intérêts nationaux ; d’où la qualification de politique que lui avait attribuée Antoine de Montchrestien. Ce caractère subsista jusqu’à la fin du xviiie s.

Avec les physiocrates, on assiste à un changement fondamental. Un certain nombre de motifs les poussent à dépasser les recettes de politique financière ou économique et, par là même, les travaux fragmentaires de leurs prédécesseurs ; ces motifs doivent être cherchés dans le grand courant de pensée philosophique et scientifique qui, au xviiie s., entraîne les esprits européens. En conformité avec l’esprit de leur époque, les physiocrates prétendent dégager scientifiquement l’ensemble des lois qui régissent la production, la distribution et la consommation des richesses, et ils constituent l’économie politique en science exacte. Par là, ils ne font qu’étendre à ce domaine les méthodes rationnelle et déductive, mais aussi expérimentale, déjà appliquées dans les autres sciences, physique et chimie par exemple. Les efforts conjugués de la philosophie rationnelle et de la physique expérimentale transforment à l’époque l’ensemble des connaissances. Pour les encyclopédistes, il ne s’agit plus de donner des explications purement psychologiques et morales des phénomènes physiques, physiologiques ou intellectuels, mais d’unifier les observations du réel par le travail de la raison, de soumettre les qualités sensibles à l’analyse quantitative et d’interpréter les phénomènes par une traduction géométrique et mécanique. En présence des phénomènes économiques notamment, dont les mouvements leur semblent obéir de plus en plus à un dynamisme interne puissant, ils veulent découvrir des lois.


Adam Smith : la négation de la politique économique

C’est Adam Smith* (1723-1790) qui va promouvoir l’économie politique au rang de science exacte. Pour lui, l’ordre naturel qui régit les phénomènes physiques et chimiques fait également converger, de façon spontanée et nécessaire, vers la prospérité économique collective l’effort ininterrompu de chacun pour améliorer sa propre condition. Mais, dès lors, l’économiste n’a plus qu’à reconnaître et à décrire les lois générales qui commandent les mécanismes économiques : il est parfaitement inutile, dangereux même, pour l’économie de prescrire une politique quelconque d’intervention ou de rationalisation. Les économistes comme les gouvernants doivent se contenter de permettre le libre fonctionnement des mécanismes économiques. Pour cela, il suffit de « laisser faire » les individus, de leur donner liberté entière, de chercher à « obtenir la plus grande diminution possible des dépenses ». La perfection de la conduite économique doit normalement en résulter : l’ordre s’instaurera de lui-même dans les relations économiques.

L’ordre économique apparaît, aux yeux d’A. Smith et aussi des classiques, trop étroitement lié en fait à la recherche individuelle du plus grand profit pour qu’une entrave au libre jeu des égoïsmes particuliers ne compromette pas le fonctionnement d’ensemble des mécanismes économiques : une intervention de l’État violerait l’unité de leurs systèmes ; avec l’arbitraire, elle introduirait l’anarchie dans les échanges économiques et les rapports sociaux, et ruinerait l’exactitude de la science économique. Tel qu’il s’instaure de lui-même, si on laisse ses mécanismes obéir à leurs lois naturelles, l’ordre économique peut n’être pas parfait : les maux qu’il provoque, liés qu’ils sont à « la nature de l’homme et des choses » (J.-B. Say), sont, en tout cas, moins redoutables pour les individus et pour la société que ceux qu’engendrerait sa violation.