Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dürrenmatt (Friedrich) (suite)

L’année suivante, comme pour se reposer des sombres invectives dont il a nourri le Mariage de Monsieur Mississippi, il écrit sur un ton tout différent Un ange vient à Babylone, pièce poétique où passe un souffle de fraîcheur et de nostalgie. Dieu a envoyé sa grâce à l’humanité sous la forme d’une merveilleuse jeune fille. Celle-ci se voit partout refusée, des puissants et des nantis tout comme des gens du peuple. Mais un vieux mendiant la recueille, car il est dit que « les derniers seront les premiers ». Paradoxalement, c’est la pièce qui tient le plus à cœur à son auteur, qui n’a cessé de la remanier, déclarant : « C’est mon chef-d’œuvre manqué. » Il est certain que Dürrenmatt, robuste censeur des vices de ce temps, se sent plus à l’aise dans la caricature et la bouffonnerie. Il l’a bien prouvé avec la Visite de la vieille dame, parabole saisissante sur le pouvoir de l’argent et la férocité de la prétendue justice humaine.

Dürrenmatt effectuait à cette époque de fréquents voyages entre Neuchâtel et Berne, et il se demanda pourquoi le train brûlait certaines gares. Pour qu’il s’y arrête, songea-t-il, il faudrait qu’il s’agisse d’une ville jadis prospère aujourd’hui ruinée. Quelqu’un de très riche, désireux de visiter la ville, stopperait le train en tirant le signal d’alarme. Quelqu’un qui serait poussé à revenir dans son pays natal, mais pour quelle raison ? Obéissant à sa hantise habituelle, Dürrenmatt a tout naturellement imaginé que son héros chercherait à se venger d’un déni de justice impuni. Ainsi est née la vieille milliardaire Claire Zachanassian, qui stoppe un jour le train dans la petite ville de Güllen. Elle n’y est pas retournée depuis quarante-cinq ans, pendant lesquels elle a fait fortune, tandis que sa ville natale dépérissait. Son ancien amant, Alfred Ill, est toujours là, et les habitants de Güllen espèrent bien, par son intermédiaire, bénéficier des millions de la vieille dame. Celle-ci les donnera volontiers, mais à une condition : elle exige que justice soit faite, qu’Alfred Ill, coupable d’avoir jadis abandonné sa maîtresse enceinte, soit mis à mort. Odieux marché que les habitants de Güllen commencent par refuser, jusqu’au moment où la tentation de l’argent balaie tous leurs scrupules. Güllen assassine Alfred Ill et empoche les millions de la vieille dame, qui se retire, tel le Destin antique, ayant obtenu sa vengeance.

Nous retrouvons la même attaque contre la puissance de l’argent, plus directe encore, dans Frank V. Cette « comédie d’une banque privée » fut d’abord un opéra et contient encore de nombreux couplets chantés. La logique du profit entraîne au crime, et ces banquiers de comédie commettent meurtre sur meurtre.

Renouvelant la question posée par Brecht dans la Vie de Galilée et par Max Frisch dans la Muraille de Chine, il met en lumière dans les Physiciens les responsabilités du savant face à un pouvoir qui utilise, pour détruire, le fruit de ses recherches.

On ne saurait clore ce bref exposé sans rendre hommage à l’équipe du Théâtre national de Strasbourg (que dirige Hubert Gignoux [né en 1915]), qui, depuis des années, s’est attachée à servir efficacement en France l’œuvre de Dürrenmatt. C’est en partie grâce à la Comédie de l’Est que nous avons pu entendre, intelligemment retransmise, la voix de ce dramaturge baroque de la justice, de ce créateur de mythes modernes, qui ne cesse de s’attaquer dans et par l’humour (« l’humour, a écrit Dürrenmatt, c’est à notre époque le langage de la liberté ») aux maladies morales qui rongent notre monde.

G. S.

 E. Brock-Sulzer, Friedrich Dürrenmatt, Stationen seines Werkes (Zurich, 1960 ; 2e éd., 1964). / U. Jenny, Friedrich Dürrenmatt (Hanovre, 1967). / J. Hansel, Friedrich Dürrenmatt. Bibliographie (Berlin, 1968).

Düsseldorf

V. d’Allemagne occidentale ; 674 000 hab.


Capitale de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus industrialisé de l’Allemagne, Düsseldorf n’est cependant pas la métropole incontestée de la Rhénanie. Cologne, Duisburg, Essen, Bochum, Dortmund, à divers titres, exercent une influence sensible sur les pays rhénans.


Le développement urbain

Née sur les bords du ruisseau de la Düssel, la ville ne présente pas les lettres de noblesse de sa voisine, Cologne la romaine. Son érection comme ville ne date que de la fin du xiiie s. Ce sont les puissances occupantes qui, après 1945, ont proclamé la ville capitale du Land. Cependant, la cité n’est pas dépourvue d’un certain passé. Au xvie s., les ducs de Clèves, de Juliers et de Berg y avaient leur résidence. Leur territoire comprenait une bonne partie de l’actuelle Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Le xviie s., par l’intermédiaire du Kurfürst (Électeur) du Palatinat Jean-Guillaume, dota la ville de monuments baroques. Sous Napoléon, celle-ci devint la capitale du grand-duché de Berg. De ces fonctions politiques, administratives et culturelles, la cité actuelle a hérité beaucoup, même si elle tombe au rang de chef-lieu de Regierungsbezirk (département) après 1815. Néanmoins, la diète de Rhénanie s’y réunit régulièrement.

Il faut attendre le xixe s. pour voir l’essor urbain s’accélérer. Plusieurs faits en sont la cause : le développement de la navigation moderne sur le Rhin, qui permet au port de Düsseldorf de desservir la région industrielle du Bergisches Land et notamment de la région de la Wupper ; l’extraction houillère dans la Ruhr ; le développement de la sidérurgie dans cette dernière ; enfin l’essor ferroviaire. Il conviendrait de signaler les initiatives des bourgeois de la ville ou de nombre de capitaines d’industrie issus du Bergisches Land venus s’installer dans la ville. Au début de la révolution industrielle, celle-ci ne comptait que 26 700 habitants (1829). L’essor urbain se place avant tout dans le dernier tiers du xixe s. En effet, de 86 000 habitants en 1871, la population passe à 324 000 en 1905 et 464 000 en 1925. La ville a atteint son maximum en 1961 avec 702 000 habitants. Depuis, le dépeuplement accéléré des quartiers centraux a fait tomber la population. Cette diminution est d’autant plus importante qu’entre 1961 et 1970 le quartier nouveau de Garath, situé au sud de la ville, a passé de 2 700 à 28 000 habitants. L’évolution ne doit pas être considérée comme négative, bien au contraire. L’urbanisation et l’industrialisation des environs ont connu une phase d’accélération au cours des dernières années. Au xiiie s., la ville s’étendait sur 375 ha. Les annexions successives, réalisées surtout au xixe s., ont porté le territoire municipal à 15 830 ha.