Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Du Cerceau (Jacques Ier Androuet) (suite)

Delorme* et Du Cerceau ont, chacun à leur façon, jeté les bases du classicisme. La rigueur du premier marquait une tendance austère destinée à prévaloir longtemps. La fantaisie baroquisante du second s’expliquerait plus difficilement, au moins à la lueur de ses convictions, si l’on ne soulignait la date tardive de sa conversion, postérieure en tout cas à une bonne partie de son œuvre.

Salomon de Brosse

(Verneuil-en-Halatte v. 1571 - Paris 1626). Il a passé le début de sa vie à Verneuil, participant, sous la conduite de son oncle Jacques II Androuet Du Cerceau (v. 1550-1614) à l’achèvement du château commencé par l’aïeul, Jacques Ier. Il a connu aussi l’œuvre de Jean Bullant à Écouen et en a réédité la Règle d’architecture en 1619. À la lumière de ces exemples, il devait amener la grande demeure princière vers son complet développement.

Salomon de Brosse fut architecte du roi (1608) et surtout de la reine mère. Pour elle, il agrandit Montceaux-en-Brie (près de Meaux, 1609) et entreprit en 1612 les jardins et le palais du Luxembourg. Ce sont autant de variations sur le thème de Verneuil, de même que les châteaux de Coulommiers (1613-1629) ou de Blérancourt (1614), plus tard transformés par Mansart*.

Comme toute sa famille, S. de Brosse était protestant ; cela ne l’empêchera pas d’élever le portail de l’église Saint-Gervais à Paris (1616-1621), parfois attribué à Clément II Métezeau (1581-1652). Sully s’adresse tout naturellement à son coreligionnaire pour tracer le plan de la ville d’Henrichemont, dans le Cher, en 1608. Peut-être lui avait-il déjà demandé, deux ans plus tôt, les plans du premier temple de Charenton ? En tout cas, c’est Salomon de Brosse qui réalisera, en 1623, le second temple, grand espace couvert, comme cette salle du Palais de Paris qu’il restaura en 1618, à la date même où il donnait les plans d’un autre parlement, celui de Bretagne à Rennes.

Outre de nombreux travaux pour des particuliers, Salomon de Brosse eut un rôle d’ingénieur ; il a élevé l’aqueduc d’Arcueil, et on le retrouve aux fortifications de Paris, comme son fils Paul, son cousin Jean Ier Androuet et son neveu Charles Ier Du Ry.

H. P.

 H. de Geymuller, les Du Cerceau (Rouam, 1887). / J. Pannier, Un architecte français au commencement du xviie s. : Salomon de Brosse (Eggimann, 1911).

Duchamp (les frères)

Artistes français du xxe s. : Gaston, dit Jacques Villon (Damville, Eure, 1875 - Puteaux 1963), Raymond, dit Raymond Duchamp-Villon (Damville 1876 - Cannes 1918), et Marcel (Blainville, Seine-Maritime, 1887 - Neuilly-sur-Seine 1968).



Jacques Villon

Peintre et graveur, il occupe une place originale au carrefour de la tradition luministe de l’impressionnisme, de l’organisation de l’espace du cubisme et de la rythmique pure de l’abstraction géométrique.

Sa vocation picturale se heurte à deux reprises aux plus sérieux obstacles : lorsqu’il renonce, en 1894, à l’avenir que lui ouvrent ses fonctions de clerc de notaire, ce sera pour gagner péniblement sa vie vingt ans durant grâce au dessin humoristique ; de 1922 à 1930, il travaillera à la chalcographie du Louvre. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que son œuvre se verra enfin prise en considération : Villon est alors âgé de soixante-dix ans ! Rien de moins subversif cependant que sa peinture, aussi éloignée qu’il se peut des initiatives scandaleuses de son cadet Marcel... Lorsqu’il rejoint le cubisme* en 1911, c’est en se souciant en somme beaucoup plus de la décomposition de la lumière par le prisme cubiste que de l’architecture du tableau considérée pour elle-même. Dès cet instant en effet se révèle chez Jacques Villon une sensibilité à la couleur qui prend aussitôt le contre-pied des beiges et des bruns favoris de Braque et de Picasso. Avec lui, les roses, les orangés et les mauves les plus risqués (auxquels il convient de joindre le vert amande et les gris bleutés) sont introduits avec une étonnante candeur dans une des périodes les plus ternes de palette de toute l’histoire de la peinture. En dépit de l’intérêt porté par l’artiste à la Section d’or (c’est lui qui baptisa le groupe né en 1912 dans son atelier de Puteaux) et à la « vision pyramidale » de Léonard de Vinci, la construction de la toile par la couleur va représenter l’essentiel de l’œuvre picturale de Jacques Villon. Il est cependant remarquable que jamais il ne se libérera complètement de l’armature graphique du tableau, pourtant réduite dans la plupart des cas soit aux coutures du manteau d’Arlequin, soit à un dessin dans le filigrane de la couleur. Au contraire, on le verra à deux reprises, au cours de périodes abstractisantes, sacrifier à l’énergie pure chère à ses frères Marcel et Raymond (Cheval de course, 1922 ; Allégresse, 1932). Mais dans l’ensemble, de 1911 à sa mort, il s’agit pour lui de superposer à un dessin naturaliste (portrait ou, le plus souvent, paysage) une sorte de grille colorée dont le rapport avec le thème est à n’en pas douter le résultat d’une méditation harmonieuse.


Raymond Duchamp-Villon

En dépit de la brièveté de sa carrière — il meurt d’une maladie infectieuse contractée sur le front —, il a joué un rôle important dans la genèse de la sculpture moderne à la veille de la Première Guerre mondiale.

Au début du siècle, il abandonne ses études de médecine pour se consacrer à la sculpture. À ce moment, il est pratiquement impossible de se soustraire à la puissante influence de Rodin*. Mais, tout en la subissant, le jeune sculpteur tente d’échapper à la superficialité et au dynamisme musculaire du grand aîné. C’est en dissociant en grandes masses élémentaires le modèle considéré que Duchamp-Villon y parviendra : cette analyse lui permet en effet de traiter chaque partie comme un volume en soi, ce qui le conduit tout naturellement à une géométrisation que vont venir encourager les exemples convergents du cubisme et de l’art nègre. Le Portrait de Baudelaire (1911), où la tête est l’objet d’une accentuation stylistique poussée, apporte en somme le témoignage d’une sculpture expressionniste dans laquelle le traitement de la forme obéit non seulement à un objectif esthétique, mais à une intention psychologique : l’âme de Baudelaire doit apparaître d’autant mieux que l’on renonce aux détails véristes pour mettre en valeur les traits essentiels. Néanmoins, en 1912, la tête de femme intitulée Maggy accuse les progrès indéniables de la géométrie : la plastique pure menacerait de l’emporter sur les attendus psychologiques, n’était l’extrême violence intérieure dont témoigne ce faciès excessif aux yeux globuleux, plus audacieux à cette date que les variations contemporaines de Henri Matisse* sur la tête de Jeannette.