Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Duccio di Buoninsegna (suite)

Duccio évolue donc de la pure tradition byzantine vers une nouvelle sensibilité d’esprit gothique. Il découvre bientôt cette élégance graphique très raffinée, ce coloris précieux qui caractériseront son style, dépassant, dès la Madone de Crevole (musée de l’Œuvre de Sienne), le simple équilibre sculptural des masses propre à Cimabue. Duccio est l’auteur du vitrail de la Glorification de la Vierge en l’abside de la cathédrale de Sienne, premier témoignage connu de l’art du vitrail en Italie ; sans doute eut-il là l’occasion de contacts avec les artistes d’outre-monts qui diffusèrent cet art en Europe.

L’évolution de Duccio vers le gothique apparaît plus encore dans sa Madone des Franciscains (pinacothèque de Sienne). De très petites dimensions, elle s’apparente aux miniatures gothiques. Les figures s’animent, vivent en quelque sorte grâce à la flexibilité des lignes et à un effet de mouvement dans les poses des moines agenouillés près de la Vierge. Duccio s’inscrit dans le grand courant naturaliste du début du xive s. Dans son triptyque de la Vierge à l’Enfant (National Gallery, Londres) apparaît un lyrisme très nouveau, fait de cette grâce et de cette expression mélancolique qui, après lui, appartiendront à l’ensemble de l’école siennoise (v. Sienne).

Toutes les composantes du génie de Duccio se trouvent résumées dans sa grande Maestà du musée de l’Œuvre de la cathédrale de Sienne. L’œuvre lui fut commandée en 1308 ; elle fut achevée en 1311 et placée au maître-autel de la cathédrale de Sienne. Ce retable monumental est l’un des rares de son espèce qui soit parvenu jusqu’à nous. La Vierge en majesté entourée de saints occupe le panneau central, long de plus de quatre mètres ; les multiples scènes de la vie du Christ qui l’entourent aujourd’hui étaient peintes à l’origine au verso du panneau, qui fut séparé dans son épaisseur. L’œuvre procède encore d’un schéma général traditionnel. Le parallélisme trop visible des lignes, la symétrie des formes alourdissent surtout la figure monumentale de la Vierge. Pourtant, Duccio s’impose par de réelles innovations plastiques : les prémices du clair-obscur apparaissent dans le modelé sensible des visages, qui renonce aux cernes sombres des modèles byzantins ; la polychromie très claire semble dominée par la lumière réelle. D’autre part, subissant semble-t-il l’influence des sculptures de son contemporain Giovanni Pisano (v. Nicola et Giovanni Pisano), Duccio accentue le volume des formes, mais sans égaler en cela Giotto*. C’est par ses recherches nouvelles de spatialité que Duccio est le plus résolument moderne. Dans les scènes de la vie du Christ, il tend à rendre l’impression de la profondeur en intégrant ses personnages aux cadres architecturaux qui leur servent de support. Il échelonne les tailles de ses figures selon le plan où se situe chacune d’elles. Ainsi, ce chef-d’œuvre de Duccio constitue le fond de nombreuses découvertes futures.

À la suite de sa grande Maestà et jusqu’à sa mort, l’œuvre de Duccio reste plus mal connue. Son polyptyque de la Vierge à l’Enfant (pinacothèque de Sienne) ne présente aucune innovation sensible. Duccio exerçait dès cette époque une influence considérable sur de nombreux épigones, tels Ugolino di Nerio († 1339 ou 1349) ou Segna di Bonaventura († 1326 ou 1331). Ce dernier accentue le sentiment narratif de Duccio et crée un certain maniérisme linéaire des courbes. La tradition siennoise ne s’élargit véritablement qu’avec Simone Martini*, Pietro et Ambrogio Lorenzetti*. Avant eux, Duccio à Sienne, Cimabue et Giotto à Florence ont réalisé la grande libération gothique qui se situe à l’aube de toute l’histoire de la peinture occidentale.

P. H. P.

 C. Brandi, Duccio (Florence, 1951). / E. Carli, Duccio di Buoninsegna (Milan, 1961). / G. Cattaneo et E. Baccheschi, L’Opera completa di Duccio (Milan, 1972).

Du Cerceau (Jacques Ier Androuet)

Architecte, théoricien et graveur français (Paris ? v. 1510 - Annecy v. 1585).


Artiste de la seconde Renaissance, il eut une grande influence par ses publications comme par son œuvre bâtie, ainsi qu’au travers des réalisations de ses descendants, fils et petits-fils, dont le plus glorieux est Salomon de Brosse.

Du Cerceau reste surtout connu pour son activité de graveur. En 1530-1533, il avait fait le voyage d’Italie, étudié Bramante* et Sangallo*, les grotesques de Raphaël*, subi surtout l’influence lombarde et peut-être celle de Venise. Il devait exploiter durant un demi-siècle cette abondante moisson, et l’enrichir soit de relevés d’édifices français, soit du fruit de son imagination. Cela nous vaut une vingtaine d’ouvrages consacrés notamment aux grotesques, aux fragments antiques et aux ordres, trois Livres d’architecture (1559-1561 et 1572) et surtout les Plus Excellents Bâtiments de France (1576-1579), sans compter d’autres recueils ou planches de meubles, vases, etc., à partir de 1534, des plans de Rome et de Paris (1560), voire un traité de perspective (1576). Au-delà de l’apparence documentaire (il reste la source la plus précieuse pour l’étude des monuments français de son temps), le théoricien apparaît ; et ce protestant reste fidèle à la première Renaissance, à un décor de rêve, extraordinaire parfois, qui ne s’accorde guère avec la rigueur de son temps.

De sa vie, on sait peu de chose. Il serait né à Paris, mais c’est à Orléans qu’il installa l’atelier d’où sont sorties ses principales publications. Converti au protestantisme vers 1560, il doit bientôt se réfugier auprès de Renée de France, châtelaine de Montargis et favorable aux huguenots. En 1568, il est en rapport avec les religionnaires de Verneuil-en-Halatte, où il travaille au château neuf pour Philippe de Boulainvilliers, avec son gendre Jean de Brosse († en 1584).

Eut-il, en 1571, la commande royale du vaste ensemble de Charleval, dans l’Eure, grâce à la recommandation du comte ? on ne saurait l’affirmer ; et moins encore sa participation au chantier voisin de Gaillon, où il aurait élevé la Maison-Blanche. En tout cas, lorsque Renée de France meurt, en 1575, son gendre, le duc de Nemours, achète Verneuil ; et Jacques Androuet en fait cette demeure somptueuse dont on ne saurait trop déplorer la perte. Il avait en effet créé là un genre nouveau, annonciateur de ce que sera le château* classique, au terme d’une évolution dont son petit-fils, Salomon de Brosse, est en grande partie l’artisan.