Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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développement économique (suite)

Critères du sous-développement et complexité de sa mesure

Quels éléments retenir pour définir le niveau de développement (ou de sous-développement), pour le mesurer ? Au début, le problème paraissait simple : le produit brut par tête ou la consommation par tête n’en donnaient-ils pas une image satisfaisante ? Les services statistiques des Nations unies poussaient les divers pays du monde à mettre au point des comptabilités globales, grâce auxquelles les comparaisons internationales devenaient possibles. Là où les mesures directes manquaient, on apprit à évaluer ces grandeurs à partir d’éléments facilement observables, la production physique généralement.

Les quantités globales et leur quotient par tête ne sont cependant pas utilisables sans précaution. Les nations n’adoptent pas toutes le même système comptable. Les pays de l’Est considèrent les activités tertiaires comme improductives et les excluent du calcul du produit national. Certaines catégories sont ici définies plus largement qu’ailleurs.

Quels prix retenir pour cette mesure de la production ? Doit-on tenir compte ou non de la fiscalité indirecte ? Si l’on en tient compte, le niveau de revenu est artificiellement gonflé lorsque ces impôts sont lourds (c’est le cas de la France).

Les prix n’ont pas partout la même structure, ce qui rend difficile l’utilisation d’une seule échelle de référence ; si l’on adopte plusieurs bases de prix, la comparaison devient fragile. Ici, les produits agricoles sont bon marché ; ailleurs, pour défendre les intérêts des agriculteurs, on les maintient élevés à l’abri d’un cordon douanier. Les niveaux de rémunération des services sont souvent très divers ; ils sont bien meilleur marché dans les pays peu industrialisés.

Des corrections et des ajustements sont rendus nécessaires par la part inégale de l’économie domestique selon les nations. Dans les pays sous-développés, les secteurs paysans, où l’autosubsistance se maintient, sont importants. Ils échappent à la mesure directe. On essaie de les évaluer, mais c’est toujours un peu de manière arbitraire. Au-delà du secteur d’auto-subsistance, une distorsion plus systématique résulte de ce que certains services ne sont pas effectués contre paiement dans la plupart des civilisations préindustrielles. On se demande souvent comment il est possible de vivre avec des revenus annuels moyens de 50 ou de 60 dollars. Si l’on veut comparer de manière réaliste les revenus des pays sous-développés et des pays développés, il faut corriger les premiers en tenant compte d’une sous-évaluation considérable.


Les nouvelles orientations de recherche

Ce ne sont pourtant pas les imperfections de l’évaluation du revenu (critère utilisé initialement par Alfred Sauvy, Ragnar Nurkse, Pierre Moussa, etc.) qui sont à l’origine de la recherche de critères et de méthodes d’observation sans cesse plus précis. Il est des cas, bien sûr, où l’on a essayé de contrôler les mesures effectuées en termes monétaires par d’autres portant sur les productions physiques. Mais le plus intéressant n’est pas venu de là : on a pris progressivement conscience de ce que le sous-développement intéressait plusieurs dimensions (non seulement économiques, mais aussi sociologiques, juridiques, ethnologiques, etc.). Il est intéressant, de ce point de vue, de comparer des études réalisées autour de 1960, au moment où la vision que l’on se fait du sous-développement s’enrichit. Brian Berry, en 1960, utilise des mesures portant sur trente et un critères. La plupart sont de nature économique et intéressent plutôt le niveau de l’équipement en matière de transports, six mesurent l’ouverture aux échanges internationaux, neuf la production et la consommation d’énergie, deux la productivité dans l’agriculture. On résume cela par une évaluation du produit total du pays et par une évaluation du produit par tête. On évalue la consommation pour certains services, ceux qui indiquent l’importance de la vie de relation, en particulier le nombre de téléphones par cent habitants, le nombre de lettres par habitant par exemple. Les données proprement sociales sont absentes, si l’on excepte les mesures démographiques, pour lesquelles on dispose de cinq valeurs, si l’on excepte aussi le taux d’urbanisation et le nombre de personnes desservies par un médecin.

Dans les études publiées en Europe au cours des années suivantes, l’accent passe progressivement des indicateurs économiques à des indicateurs sociaux ou culturels. Elias Gannagé classe les facteurs qui lui paraissent être au cœur du problème du sous-développement en trois groupes. Au plan humain, quatre traits sont presque toujours présents : une croissance démographique rapide, liée à l’abaissement de la mortalité et à la persistance d’une natalité élevée ; une nutrition insuffisante et déficiente ; des conditions d’hygiène rudimentaires ; très souvent une forte surpopulation rurale.

Les aspects économiques passent ainsi au second plan dans la description de la situation de sous-développement. La prédominance du secteur primaire, la faiblesse du capital utilisé par habitant, la modestie du commerce intérieur et du commerce extérieur constituent dans ce domaine les indices les plus révélateurs.

Elias Gannagé insiste sur le rôle des aspects qu’il appelle extra-économiques, qui sont sociaux ou culturels. La société du tiers monde est souvent très stratifiée et déséquilibrée. Elle demeure fidèle à des valeurs traditionnelles qui n’incitent pas à l’effort individuel. Cela se traduit, au plan des conduites, par une certaine passivité.

Au fur et à mesure que les études se multiplient, l’usage d’indicateurs très généraux, très abstraits est complété par celui de mesures touchant à des aspects plus concrets. On découvre la dimension humaine du problème, en même temps que sa dimension historique. L’économiste birman Hla Myint choisit ainsi, pour présenter les problèmes de l’économie sous-développée, une démarche historisante. Il montre comment les économies paysannes d’autosubsistance se trouvent modifiées par l’ouverture de débouchés lointains, comment aussi se créent des secteurs de type moderne, souvent importés de toutes pièces, ce qui exagère les caractères dualistes de l’économie.