Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

développement économique

Le concept de développement s’est imposé dans les analyses économiques contemporaines en distinction de la notion de croissance* économique, afin d’attirer l’attention sur la situation particulière de certains pays ou régions du monde.


Généralités

C’est à cette notion que l’on se réfère pour tracer une véritable coupure au sein de l’humanité, où le « sous-développement » apparaît comme le concept synthétique le plus apte à qualifier la situation économique de certaines régions du monde : d’un côté, des pays ayant atteint un état avancé d’évolution structurelle, dans lesquels il n’y aurait plus qu’à laisser la croissance se produire spontanément, au prix de déséquilibres éventuels (hausse des prix inflationniste, déficit du commerce extérieur par exemple) ne mettant d’ailleurs pas en cause l’essence du développement ; de l’autre, des pays qui seraient dans une situation d’impréparation structurelle, au sein desquels la croissance est en soi difficile, sinon impossible. Les premiers devraient dès lors transmettre une part de leur expérience historique et de leurs richesses superflues afin de faciliter la croissance des seconds. On parle alors de pays attardés dans la croissance, en sous-entendant que les progrès de celle-ci dépendent de transformations structurelles préalables. Les concepts de développement et de sous-développement sont donc employés distinctement par rapport à celui de croissance pour bien marquer le retard structurel de certains pays et les difficultés qu’ils rencontreront pour rattraper les nations dites « avancées ».

G. R.


La prise de conscience du sous-développement

Les voyageurs européens qui fréquentaient au xviie et au xviiie s. les mers de l’Orient et de l’Extrême-Orient entraient en relation avec des peuples dont la civilisation matérielle et la prospérité leur paraissaient bien souvent étonnantes. S’il y avait un domaine et un seul où l’Europe pouvait se vanter de posséder un avantage, c’était peut-être celui de la civilisation morale ; tout au moins était-ce l’avis généralement partagé à l’époque.

La révolution industrielle bouleversa cette situation. L’Europe, les terres que les peuples anglo-saxons mettaient en valeur, les pays qui acceptaient résolument le progrès technique voyaient croître très vite leur puissance et leur prospérité matérielle. Le reste de la planète demeurait presque inchangé. Que pouvait-on y faire ? Les commerçants, les colons, les missionnaires ne propageaient-ils pas partout les principes qui avaient réussi à l’Europe : le christianisme, la monnaie et le sens des affaires ? Les puissances impérialistes n’équipaient-elles pas avec autant de soin les terres tempérées nouvellement ouvertes à la pénétration européenne et le monde oriental, dont elles dominaient désormais la scène ?

Jusqu’aux environs de la Première Guerre mondiale, l’opinion publique se montrait optimiste à l’égard des problèmes des pays colonisés ou en voie de l’être : n’allait-on pas, dans un délai plus ou moins bref, leur donner une impulsion décisive ? Entre les deux guerres mondiales, et comme par une sorte de lassitude, les puissances coloniales se firent à l’idée d’inégalités persistantes. La stagnation d’une très large partie du monde ne pouvait, cependant, être longtemps tolérée. L’Union soviétique n’avait-elle pas réussi, au prix de très lourds sacrifices il est vrai, à faire démarrer son économie en choisissant la voie la plus difficile qui est celle de l’industrialisation ?

Dès avant la Seconde Guerre mondiale, des groupes ici ou là en Europe, aux États-Unis s’interrogent sur l’écart grandissant entre les pays industriels et le reste du monde. Durant les hostilités, le sentiment de la solidarité universelle de l’humanité se renforce. Pourra-t-on désormais accepter la croissance des inégalités ? La curiosité et l’inquiétude à l’égard des problèmes du sous-développement naissent, cependant que les outils proposés par J. M. Keynes permettent aux économistes de mieux comprendre les ressorts de l’équilibre, de la stagnation et de la croissance.

Les premières études entreprises en matière de développement ont donc été menées par des économistes. Elles ont vite fait découvrir les cercles vicieux qui rendent les enchaînements de croissance difficilement réalisables. Elles ont montré chemin faisant, la complexité d’une situation qui paraissait simple au départ : l’opposition entre les nantis et les autres n’est pas seulement exprimée par des revenus ou par des indices de production ; elle se traduit au plan des comportements, des habitudes, des mentalités : elle a des dimensions sociales, culturelles qu’on ignorait au départ.

La plupart des études consacrées aux problèmes du développement depuis le début des années 1950 accorde la plus large place à la définition des phénomènes étudiés, à leur description, à leur mesure. On en est parfois irrité : le discours est comme alourdi, sinon rendu confus, par ces accumulations de notations et d’indices.

Avec un peu de recul, l’intérêt de la démarche apparaît mieux. Les transformations du vocabulaire en témoignent. On parlait naguère de « pays arriérés » et de « pays sauvages ». Les économistes ont imaginé, il y a vingt-cinq ans, d’opposer le monde développé à celui qui ne l’était pas. On n’emploie plus guère aujourd’hui l’expression pays sous-développé, lui préférant celle de pays en voie de développement ou même celle de pays à vocation d’émergence. Est-ce pour ménager la susceptibilité des représentants du tiers monde ? C’est évident. Mais l’évolution de la langue n’aurait pas été aussi rapide si les efforts pour mesurer et apprécier la situation des nations pauvres n’avaient pas abouti à nuancer les oppositions retenues au départ, n’avaient pas montré, à côté de contrastes brutaux, des transitions insensibles. L’observation révélait également un certain ordre, une certaine cohérence dans les données relatives à chaque pays.