Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Algérie (suite)

L’Algérie pendant la Seconde Guerre mondiale

C’est en Algérie, où stationnent environ 60 000 hommes de 1940 à 1942, que Weygand puis Juin préparent, après la défaite de 1940, la renaissance de l’armée française. Après le débarquement allié du 8 novembre 1942, les troupes françaises d’Afrique du Nord et singulièrement celles d’Algérie, avec un armement désuet et hétéroclite, reprennent le combat contre les Allemands en Tunisie, tandis que, le 15 novembre, les Américains occupent Tébessa. En 1943 et 1944, l’Algérie est le siège d’une intense activité militaire. Les Français y sont largement mobilisés (d’abord les classes 1943 à 1927, puis jusqu’à la classe 1919). Avec les musulmans, dont le recrutement a été accéléré, c’est une armée de 560 000 hommes issus d’Afrique du Nord et d’Afrique noire qui, joints aux F. F. L. et aux Français venus de la métropole à travers l’Espagne (20 000 hommes), seront engagés par la France dans les campagnes d’Italie et de la Libération. En 1946, le 19e corps devient la Xe région militaire. Les unités de tirailleurs algériens sont réorganisées et forment de nombreux bataillons de marche, qui, à partir de 1948, prennent une part de plus en plus importante de l’effort militaire français durant la campagne d’Indochine.

P. D.


Les Amis du manifeste

Ce mouvement est fondé au début de 1943 par Farḥāt ‘Abbās. Il marque l’évolution politique de ce pharmacien qui, après avoir milité pendant plus de douze ans pour l’intégration de l’Algérie à la France, en vient à l’idée d’une nation algérienne. Depuis l’échec du projet Blum-Viollette les partisans de l’assimilation commencent à douter de la possibilité pour les Algériens d’être considérés comme des « Français à part entière ». Au surplus, la disparité de plus en plus grande entre la situation de la minorité européenne privilégiée et celle de la population autochtone constitue un obstacle majeur à toute intégration. Farḥāt ‘Abbās, qui ne perd pas tout espoir dans la France, aux côtés de laquelle il s’est, ainsi que ses amis, rangé pendant la guerre, adresse, le 10 avril 1941, au maréchal Pétain un rapport intitulé « l’Algérie de demain ». Après avoir brossé un tableau saisissant de la situation dramatique de la population autochtone, ‘Abbās demande que les privilèges soient abolis en Algérie et que la loi soit la même pour tous. C’est pour lui la seule façon de provoquer « dans le cœur de la colonie européenne et au fond de la conscience de nos musulmans régénérés le désir d’être ensemble, ce désir qui est, selon la définition de Renan, l’élément constitutif de la nation ».

Du reste, la conjoncture internationale favorise un tel revirement. Le 8 novembre 1942, l’Algérie est occupée par les troupes anglo-américaines. Les Français sont divisés entre partisans et adversaires du régime de Vichy. Dans cette situation confuse, ‘Abbās et ses amis pensent que les Algériens doivent compter sur eux-mêmes pour décider de leur avenir. Le 20 décembre 1942, ‘Abbās rédige un « Message des représentants des musulmans algériens aux autorités responsables », dans lequel il demande des garanties pour la population autochtone « privée des droits et des libertés essentielles dont jouissent les autres habitants du pays », avant de l’associer à tout effort de guerre. Pour lui, avant toute participation des masses musulmanes à cette « lutte libératrice », il faut convoquer une conférence réunissant les élus et les représentants qualifiés de toutes les organisations autochtones pour élaborer un statut politique, économique et social des musulmans.

Et, pour ménager les dirigeants français, froissés par le caractère international donné à cette affaire, les Anglais et les Américains comptant parmi les autorités responsables en Algérie, ‘Abbās rédige le 22 décembre, à leur adresse, un second message, où il reprend les mêmes arguments.

Enhardi par les Américains, avec lesquels il est en contact, il convoque pour le 7 février 1943 les signataires de ce message afin d’examiner un « avant-projet de charte revendicative ». Les autorités françaises ayant interdit cette réunion, ‘Abbās rédige, le 10 février, un texte qu’il soumet à la signature de diverses personnalités musulmanes. Ce document, qui recueille une forte approbation populaire, est intitulé « l’Algérie devant le conflit mondial. Manifeste du peuple algérien ». C’est un véritable réquisitoire contre la colonisation française.

Ce manifeste est d’autant plus important qu’il constitue une forme d’autocritique des tenants de l’intégration et, pratiquement, la fin de ce courant en Algérie, « l’heure étant passée où un musulman algérien demandera autre chose que d’être un Algérien musulman ». Le 7 mars 1944, le Comité français de libération nationale promulgue une ordonnance affirmant le principe de l’égalité des Français et des musulmans. Cette ordonnance accorde à l’élite algérienne les mêmes droits politiques qu’aux Français et prévoit l’extension de ces droits à tous les musulmans qui pourront accéder à la citoyenneté française sans renoncer à leur statut personnel. Bien qu’elle reprenne, en les élargissant, les dispositions du projet Blum-Viollette, elle est accueillie par tous les mouvements politiques comme une réponse sans aucune mesure avec les aspirations du peuple algérien.

Le 14 mars 1944, ‘Abbās crée, en réponse à l’ordonnance du 7, l’Association des Amis du manifeste, qui devient un peu plus tard l’Association des Amis du manifeste et de la liberté. Cette organisation réunit, sur la base énoncée dans le manifeste du 10 février 1943, des évolués, des ulémas et des membres de l’ancien P. P. A. Elle constitue un trait d’union entre ces divers mouvements, qui, désormais, sont tous gagnés au nationalisme. Pour défendre et propager la doctrine du manifeste, ‘Abbās fonde, le 15 septembre 1944, un hebdomadaire, Égalité. Au début de 1945, le mouvement national se consolide ; en février, les élus, les ulémas et le P. P. A. constituent un front commun nationaliste. ‘Abbās devient le président du Comité provisoire de l’Algérie musulmane, mais le P. P. A. reste l’élément vital du front ; les membres de ce parti ont même mis la main sur l’Association des Amis du manifeste. Au début de mars 1945, le congrès de cette organisation réclame non seulement la libération « immédiate et inconditionnelle » de Messali, « leader incontestable du peuple algérien », mais aussi « un Parlement et un gouvernement algériens sans aucun engagement vis-à-vis de la France ».