Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Despiau (Charles) (suite)

En 1901, il se présente au Salon de la Société nationale des beaux-arts pour y rejoindre, groupés autour de Rodin*, le Belge Constantin Meunier (1831-1905), Dalou*, Bourdelle*, Lucien Schnegg (1864-1909) ; il y est élu associé en 1902, sociétaire en 1904, année de la Petite Fille des Landes, dont le style simple, naturel et délicat lui vaut de remporter son premier succès (épreuve en bronze commandée par l’État). Sa Jeune Fille lisant (1907, partie du monument à Victor Duruy, au jardin public de Mont-de-Marsan) a été conçue dans le même esprit, ainsi que sa Paulette, exposée à l’état de plâtre au Salon de la Nationale (1907). Dans le tumulte de ce Salon, a écrit Léon Deshairs, « quel timbre personnel et rare, quelle voix fraîche, juste, pure, vibrante d’émotion contenue. Cette voix, quelques-uns l’entendirent qui ne l’ont pas oubliée, et, parmi eux, le maître, Rodin, toujours attentif aux efforts des jeunes. On le vit tourner longtemps autour de Paulette, examiner avec délices les suaves passages des joues aux lèvres, aux yeux, aux tempes, la petite bouche fermée, d’une gravité enfantine, le nez gourmand. Au lendemain du vernissage, il écrivait à Despiau pour lui faire ses compliments et l’inviter à venir le voir dans son atelier du Dépôt des marbres. »

Ce fut ainsi que Charles Despiau devint, pour cinq années, le collaborateur de Rodin. C’était la vie matérielle assurée, en même temps que la liberté de continuer à travailler en toute indépendance, comme il est aisé de s’en apercevoir si l’on compare le modelé de Despiau, tout en nuances, et le modelé de Rodin, puissamment contrasté.

Auteur de plus de cent bustes, de statues, de plaquettes, de nombreux dessins particulièrement admirés, Charles Despiau n’a pas tenté d’expliquer théoriquement son art, mais il pourrait sembler que Bergson pensait à lui lorsqu’il écrivait : « L’art n’est sûrement qu’une vision plus directe de la réalité. Mais cette pureté de conception implique une rupture avec la convention utile, un désintéressement inné et spécialement localisé du sens ou de la conscience, enfin une certaine immatérialité de la vie, qui est ce qu’on a toujours appelé de l’idéalisme. De sorte qu’on pourrait dire, sans jouer aucunement sur le sens des mots, que le réalisme est dans l’œuvre quand l’idéalisme est dans l’âme, et que c’est à force d’idéalité seulement qu’on reprend contact avec la réalité. »

M. G.

 L. Deshairs, Despiau (Crès, 1930). / M. Gauthier, Charles Despiau (les Gémeaux, 1949). / W. George, Despiau vivant (Fischbacher, 1953).

Desportes (François)

Peintre français (Champigneul?, diocèse de Reims, 1661 - Paris 1743).


Célèbre de son vivant comme animalier, Desportes occupe une place de choix dans cette époque de transition où le goût flamand de la nature et de la couleur fait face à la doctrine académique : mais c’est surtout par une part de son œuvre mineure et quasi secrète, celle qui annonce le paysage moderne.

Fils d’un fermier, Desportes fut à Paris l’élève du Flamand Nicasius Bernaerts (1620-1678), en France depuis 1643 et qui avait participé, comme peintre d’animaux, à la décoration de la Ménagerie de Versailles. À son tour, le jeune Desportes allait y travailler, sous les ordres de l’illustre Claude Audran*. En 1695, il est appelé à la cour de Pologne pour y faire le portrait des souverains. Il s’acquitte avec honneur de sa mission ; pourtant, au retour, se croyant incapable de rivaliser avec Largillière* ou Rigaud*, il ne poursuit pas dans cette voie. C’est comme « peintre d’animaux » qu’il est reçu à l’Académie en 1699, avec, comme morceau de réception, le bel Autoportrait en chasseur (avec chiens et gibier) aujourd’hui au Louvre.

Desportes obtient alors une pension royale et un logement au Louvre, puis, en 1701, la commande de sujets de chasse pour la Ménagerie. Désormais, il travaillera constamment pour les palais royaux, Versailles, la Muette, Compiègne, etc. Il est le peintre des chasses et des chenils royaux, le portraitiste des chiennes de Louis XIV, Diane et Blonde, Bonne, Nonne et Ponne (Louvre). Il n’excelle pas moins dans les natures mortes, qui associent gibier, oiseaux, fleurs et fruits. Il acclimate en France la grande tradition flamande de Jan Fyt (1611-1661) et de Snyders*, le goût de la belle matière, l’art de rendre plumages et pelages, avec peut-être un dessin plus nerveux, une élégance plus sèche, à coup sûr plus de sobriété ; ses entassements de victuailles sont moins indiscrets que dans les natures mortes flamandes, voire dans les « tableaux de buffet » français d’un Jean-Baptiste Monnoyer (1634-1699).

Les animaux conduiront Desportes à la grande composition décorative. Appelé d’abord à retoucher et rajeunir les modèles du Flamand A. Van der Eeckhout pour la tapisserie dite « des Indes », les Gobelins lui demandent par la suite (1735) huit grandes pièces sur les mêmes thèmes, mettant en scène Nègres, Indiens et Chinois au milieu d’une flore et d’une faune exotiques. Desportes, s’appuyant dans toute la mesure du possible sur une observation directe, a réussi, avec ces Nouvelles Indes, des ensembles à la fois luxuriants et architecturaux.

Mais un autre trésor, ignoré de ses contemporains, ne sera connu qu’à partir de 1784, lorsque la direction des Beaux-Arts, pour fournir des modèles à la manufacture de Sèvres, achètera en bloc son atelier. Des études faites à loisir sur le terrain, et qui devaient préparer les fonds de paysage de ses grands tableaux, constituent une collection incomparable de sites de l’Île-de-France (auj. au château de Compiègne). Leur charme tient à une authenticité rigoureuse, à une totale absence d’apprêt : coteaux et vallons, chemins entre des haies, clochers de villages qui pointent derrière les arbres, avec de larges notations de valeurs, une lumière humide et nacrée, et la profondeur de l’espace. Type de paysage nouveau en peinture — il n’est l’apanage, au xviie s., que de dessinateurs aquafortistes comme Callot* ou Israël Silvestre (1621-1691) — et qui nous paraît beaucoup plus proche du style d’un Corot* que des paysages idylliques ou architecturaux de Boucher* et de Hubert Robert*, pourtant postérieurs à Desportes.

P. G.