Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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démographie (suite)

Il y a une solidarité évidente entre les quatre phases que nous avons distinguées. En particulier, le programme présidant à l’accomplissement des deux premières ne saurait être convenablement tracé sans le fil directeur fourni par les types d’analyse que l’on se propose de mener lors des deux dernières. Toutefois, dans les faits, il y a une certaine répartition des tâches au sein des institutions. Comme il a été dit, collecte des informations de base et élaboration des tableaux statistiques incombent, en raison de la lourdeur des tâches, aux organismes spécialisés et bien équipés que sont les offices nationaux de statistique ; le temps et les moyens manquent souvent à ces offices pour analyser complètement les données qu’ils ont recueillies ; toutefois, en l’absence d’institutions spécialisées, l’analyse des données de l’état civil et du recensement par les instituts de statistique a constitué pendant longtemps la seule forme de recherche démographique, menée parfois avec beaucoup de bonheur.

Les instituts spécialisés dans la recherche démographique sont récents. Quelques fondations américaines pour l’étude des questions de population apparaissent entre les deux guerres, et en 1939 fut créé au Japon l’Institut pour l’étude des problèmes démographiques.

En France, la Fondation française pour l’étude des problèmes humains, créée en 1941 à l’initiative d’Alexis Carrel (1873-1944), comportait une section de démographie quantitative. En 1945, l’Institut national d’études démographiques (I. N. E. D.) allait prendre la suite de cette fondation, héritant de sections de recherche qui forment encore l’ossature de l’I. N. E. D. actuel : études quantitatives, études qualitatives et génétique démographique, psychosociologie, économie et population. Animé pendant longtemps par l’économiste et sociologue Alfred Sauvy (né en 1898), l’I. N. E. D. a su donner à la recherche démographique son caractère multidisciplinaire.

Tributaires, pour certaines de leurs recherches, des informations que leur fournissent les organismes de statistique, les instituts de recherche démographique disposent aussi de moyens propres d’enquête : c’est que la collecte des données nécessaires à la recherche démographique ne concerne pas uniquement les faits relevant de l’état civil et des recensements. Des études sur des points particuliers exigent le rassemblement de très nombreuses données sur chaque personne enquêtée : données démographiques, mais aussi données quantitatives et qualitatives diverses, concernant l’environnement des individus, leurs attitudes, leurs opinions, etc.

Il faut remarquer que de telles enquêtes supposent la confection soignée de questionnaires importants, qui, pour être correctement remplis, ne sauraient être administrés qu’à un nombre restreint de personnes. Aussi, ces enquêtes en profondeur, à la faveur desquelles on réunit généralement un grand nombre de données rétrospectives, sont-elles menées sur la base de sondages représentatifs ou dans des petites aires géographiques. Enfin, la recherche démographique peut s’appuyer sur des documents écrits, établis à des fins non démographiques : ainsi les archives d’organismes d’assurances, d’allocations familiales, de caisses de retraite... ; les registres paroissiaux tenus sous l’Ancien Régime sont, de ce point de vue, une mine incomparable pour les recherches de démographie historique.

Dans les dernières décennies, les instituts d’études de la population se sont considérablement multipliés, en raison de la pratique de plus en plus généralisée de la planification économique et de l’importance maintenant reconnue aux facteurs démographiques dans les processus de développement économique et d’évolution sociale. Dans les pays du tiers monde, l’explosion démographique a rendu nécessaire une meilleure connaissance des faits de population et a inspiré des recherches dans le domaine de la fécondité, notamment en ce qui concerne les moyens propres à amener une limitation généralisée des naissances.

Parallèlement, les publications démographiques se font de plus en plus nombreuses, les quatre principaux périodiques étant Population (France), Population Studies (Angleterre), Population Index et Demographic Yearbook (États-Unis).

Les fondateurs de la démographie

La démographie en tant que science est née des spéculations d’un marchand drapier de Londres, John Graunt (1620-1674). Ses Natural and Political Observations Mentioned in a Following Index, and Made upon the Bills of Mortality, with Reference to the Government, Religion, Trade, Growth, Air, Diseases and the Several Changes of the Said City, publiées en 1662, engagent d’emblée la statistique démographique dans une de ses voies principales. Le titre, très explicite, de l’ouvrage de Graunt montre bien l’ampleur de vue de l’auteur. Pour son travail, Graunt utilisa les relevés de décès (et parfois de naissances) enregistrés dans les différentes paroisses de Londres, figurant dans les Bills of Mortality, bulletins hebdomadaires dont la publication remonte au début du xvie s. Reflétant les aléas de la mortalité, ces relevés constituaient un précieux baromètre en cas d’épidémie, de peste notamment : les gens riches les utilisaient pour, à la première alerte, essayer de se mettre à l’abri hors de la ville. Graunt dégagera, à partir de ces relevés, nombre de permanences statistiques, tels le rapport des sexes à la naissance et, dans l’ensemble de la population, le rapport des naissances aux décès à Londres et dans les zones rurales environnantes ; il proposa surtout la première table de mortalité en utilisant quelque 200 000 décès intervenus au cours de la première moitié du xviie s. et à propos desquels de vagues indications étaient données sur les causes, telles qu’elles pouvaient être appréciées il y a trois siècles ! Cette table de mortalité fut le point de départ d’autres estimations, telle celle du nombre d’hommes en état de porter les armes ; à partir des naissances, Graunt remonta à l’effectif des femmes d’âge fécond et, de là, à l’effectif des familles, puis à celui de la population de Londres. Pour apprécier le caractère novateur de son travail, il faut savoir l’ignorance complète où l’on était à l’époque du volume de la population et de ses mouvements (ainsi, on donnait parfois le chiffre de 7 millions d’habitants pour Londres, alors que Graunt aboutit à 384 000 personnes !). Par ailleurs, faire d’une certaine réalité sociale un objet d’étude systématique était absolument neuf à une époque où la société évoluait sous l’effet, pensait-on, d’une volonté surnaturelle insondable...