Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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démographie (suite)

Recherches causales et prévisions

Le travail du démographe ne s’arrête pas une fois effectuées toutes les transformations qui conduisent des données numériques brutes aux formes élaborées souhaitées. En démographie, comme dans toutes les sciences sociales, le chercheur s’efforce de déterminer les causes des phénomènes, sans doute en raison de la curiosité profonde qui anime tout homme de science, mais aussi pour satisfaire les besoins d’information des hommes d’action et pour prévoir les évolutions futures. C’est ainsi que la connaissance des facteurs de la mortalité et de la natalité est d’un intérêt évident pour les responsables de la politique sanitaire et de la politique de population. En outre, établir des prévisions démographiques, c’est faire choix pour l’avenir d’hypothèses suffisamment solides pour que les évolutions prévues aient de sérieuses chances de se réaliser.

La recherche causale en démographie est des plus difficiles, à la fois pour des raisons propres à toutes les sciences de l’homme et aussi du fait du caractère particulier des phénomènes démographiques. L’impossibilité où l’on se trouve généralement de mener des expériences sur l’homme ou sur des collectivités prive les sciences sociales d’un précieux moyen d’analyse auquel peuvent recourir les sciences de la nature.

Le plus souvent, le chercheur est donc réduit à ordonner les observations et les mesures dont il dispose pour faire apparaître des associations entre phénomènes susceptibles de le guider sur la voie de la recherche causale ; c’est à ce niveau que la démographie se fait pluridisciplinaire et c’est à ce moment que l’analyse démographique prend toute son importance : des analyses numériques mal conduites peuvent amener à dégager des associations absolument factices qui ne sauraient déboucher que sur des interprétations erronées.

L’impossibilité de dégager en démographie des lois immuables dans le temps accroît les difficultés de la recherche causale. C’est que les phénomènes démographiques s’inscrivent dans des milieux en perpétuel changement, en sorte que le « toutes choses égales d’ailleurs » se trouve rarement à la base des études comparatives que le démographe entreprend ; cela est particulièrement vrai à l’époque contemporaine, où l’humanité ne connaît le plus souvent que des situations inédites. S’il s’agit, par exemple, de lier la fécondité des familles à leur niveau économique, telle association trouvée avant guerre entre échelle de revenus et échelle de dimensions de famille ne se retrouve pas trente ans plus tard, du fait, entre autres, de la hausse des niveaux de vie, de la modification des structures de consommation, des possibilités nouvelles de vie offertes — à revenu égal — par le progrès technique. S’il s’agit, dans le même ordre d’idées, d’inspirer une politique nataliste, peut-on recommander comme éternellement valable une politique fondée essentiellement sur une aide financière à la famille, alors que le refus de l’enfant pourra, avec l’évolution de la condition féminine, être commandé autant par le désir pour la femme de conserver une activité hors du foyer que par celui de préserver un certain niveau de vie ?


Démographie et prospective

L’aspect utilitaire le plus évident des études démographiques est de permettre le tracé de perspectives de population. La détermination de telles perspectives suppose le choix d’hypothèses d’avenir concernant l’évolution des phénomènes démographiques majeurs (fécondité et mortalité) et la conduite de calculs variés ; ces derniers ne présentent aucune difficulté, en sorte que le seul point réside dans le choix des hypothèses.

De toute façon, les perspectives de population n’entendent pas nécessairement constituer des prévisions ; elles peuvent seulement viser à dégager les pleines conséquences, pour l’avenir de la population d’un pays ou d’un groupe de pays, du maintien de telles ou telles conditions démographiques, faisant apparaître ainsi, d’une manière chiffrée précise, des risques de dépopulation par baisse de fécondité ou de surpopulation par maintien d’un certain rapport entre fécondité et mortalité : un tel risque de dépopulation avait été parfaitement entrevu avant la Seconde Guerre mondiale en France. Actuellement, l’éventualité d’une surpopulation de la planète, si la fécondité ne devait pas baisser en pays sous-développés, paraît proche.

Toutefois, la planification économique et sociale requiert l’établissement d’authentiques prévisions démographiques, qui sont la base de maintes autres prévisions en ressources humaines et en besoins liés à l’évolution de la population : population scolaire, effectifs d’enseignants, évolution de la population active, besoins en emplois nouveaux, croissance du nombre des ménages et évolution des besoins en logement.

La recherche démographique et les institutions de recherche

La recherche démographique comporte plusieurs phases, que l’on peut résumer ainsi :
1o la collecte des informations et, singulièrement, des données quantitatives ;
2o l’élaboration, sous forme de tableaux statistiques, des données précédentes ;
3o l’analyse des données quantitatives ;
4o la recherche multidisciplinaire.

Les deux premières phases incombent le plus souvent aux organismes officiels de statistique, qui collectent notamment les données d’état civil (bulletins de naissance, de mariage et de décès) et les informations sur les individus, les ménages, les logements, etc., lors des recensements généraux de la population ; les diverses informations recueillies conduisent à la fabrication de tableaux statistiques variés, tels ceux qui donnent la population par sexe, âge et état matrimonial, les décès d’une année selon le sexe et l’âge des décédés, les naissances vivantes légitimes selon l’ancienneté du mariage et le rang de la naissance, etc.

Des méthodes variées sont à mettre en œuvre pour analyser les données quantitatives réunies lors des deux premières phases ; c’est ici qu’intervient l’analyse démographique, forme spécifique d’analyse statistique, adaptée aux données de population. Mais une analyse en profondeur des phénomènes démographiques et des états de population suppose l’utilisation de connaissances variées en rapport avec les multiples aspects des questions étudiées ; c’est ainsi que des études de fécondité à l’échelle démographique nécessitent l’utilisation de données biologiques et médicales, comme l’intervention de concepts sociologiques et ethnologiques. C’est à cette phase ultime que la recherche démographique prend un caractère multidisciplinaire.