Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Delcassé (Théophile) (suite)

Delcassé entend tenir l’Allemagne à l’écart de la question marocaine, mais Guillaume II va provoquer, à propos du Maroc, une grave crise internationale. L’empereur débarque à Tanger en mars 1905 et s’y conduit en champion de l’indépendance du Maroc. L’Allemagne, qui veut la chute de Delcassé, mène une violente campagne d’intimidation et menace de faire la guerre si la France n’accepte pas la réunion d’une conférence sur le Maroc. Les dissensions entre le président du Conseil Maurice Rouvier, qui accepte la conférence d’Algésiras, et Delcassé, qui pense que les menaces allemandes constituent un bluff, aboutissent à la démission de Delcassé le 6 juin 1905.

Ministre de la Marine de 1911 à 1913, puis ambassadeur à Saint-Pétersbourg, Delcassé sera appelé au ministère des Affaires étrangères au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale (août 1914 - oct. 1915). L’entrée de l’Italie aux côtés des Alliés sera en grande partie son œuvre.

M. G.

 A. Neton, Delcassé (Acad. diplomat. internationale, 1953). / C. Andrew, Théophile Delcassé and the Making of the Entente Cordiale (Londres et New York, 1968).

Deledda (Grazia)

Romancière italienne (Nuoro, Sardaigne, 1871 - Rome 1936).


En décernant le prix Nobel en 1926 à Grazia Deledda, le jury suédois consacra l’image que l’Europe se faisait de la littérature et de la société italiennes au lendemain de la Première Guerre mondiale. Image on ne peut plus éloignée de la réalité, s’il est vrai que l’œuvre de G. Deledda fut et demeure à tous égards, quelle que soit sa qualité, une œuvre en marge dans le panorama littéraire italien du xxe s. Et cela non seulement à cause du caractère « provincial » de son inspiration, presque exclusivement limitée à la Sardaigne, mais surtout parce que G. Deledda, écrivain autodidacte, ne fut jamais influencée que très superficiellement par les principaux courants de la littérature italienne de son temps, de Verga* et Carducci* à D’Annunzio*.

Bien qu’elle appartînt à une famille aisée, son éducation intellectuelle fut très négligée, comme l’était alors celle de toutes les jeunes bourgeoises de province (à plus forte raison de la province sarde). Ses premières lectures rassemblent pêle-mêle E. Sue, Hugo, De Amicis, A. Dumas, Chateaubriand (les Martyrs), Tolstoï, Dostoïevski, feuilletons à la mode, roses et noirs. Elle commença à écrire dès l’âge de seize ans ; des vers et des nouvelles qu’elle envoyait à de modestes revues féminines, sardes ou romaines (Ultima moda). Ses premiers textes maltraitent souvent la langue et la grammaire, et se distingueront longtemps par une extrême hétérogénéité stylistique. Mais dès 1896, dans La Via del male, s’affirme son originalité de romancière du monde sarde, évoqué à la fois à travers la beauté primitive de ses paysages et la sensibilité archaïque et tourmentée de ses héros. À cette période de lente maturation de son écriture remontent également, outre le recueil poétique Paesaggi sardi (1896) et l’essai sur les Tradizioni popolari di Nuoro in Sardegna (1895), les romans ou nouvelles : Nell’ azzurro (1890), Stella d’oriente (1891), Amore regale (1892), Fior di Sardegna (1892), Racconti sardi (1894), Anime oneste (1895), Le Tentazioni (1895), Il Tesoro (1897), L’Ospite (1898), La Giustizia (1899). En 1899, au cours d’un voyage à Cagliari, elle rencontra l’homme qu’elle devait épouser et accompagner, en 1900, à Rome, où elle mènera une vie familiale appliquée tout entière à la création romanesque, au rythme d’un ou deux ouvrages par an : Il Vecchio della montagna (1900), La Regina delle tenebre (1901), Dopo il divorzio (1902), Elias Portolu (1903), Cenere (1904), I Giuochi della vita (1905), Nostalgie (1906), L’Edera (1906), Amori moderni (1907), L’Ombra del passato (1907), Il Nonno (1908), Il Nostro Padrone (1910), Sino al confine (1910), Nel deserto (1911), Chiaroscuro (1912), Colombi e sparvieri (1912), Canne al vento (1913), Le Colpe altrui (1914), Marianna Sirca (1915), Il Fanciullo nascosto (1916), L’Incendio nell’ oliveto (1918), Il Ritorno del figlio, La bambina rubata (1919), La Madre (1920), Cattive compagnie (1921), Il Segreto dell’uomo solitario (1921), Il Dio dei viventi (1922), Il Flauto nel bosco (1923), La Danza della collana. A sinistra (1924), La Fuga in Egitto (1925), Il Sigillo d’amore (1926), Annalena Bilsini (1927), Il Vecchio e i fanciulli (1928), Il Dono di Natale (1930), La Casa del poeta (1930), Il Paese del vento (1931), La Vigna sul mare (1932), Sole d’estate (1933), L’Argine (1934), La Chiesa della solitudine (1936). Il faut retenir également deux ouvrages posthumes, Cosima (1937) et Il Cedro del Libano (1939).

C’est avec Elias Portolu, souvent considéré comme son chef-d’œuvre, que Deledda atteint pour la première fois à la pleine maîtrise de son art romanesque. Le héros est un berger qui, après avoir purgé, à la suite d’une erreur judiciaire, une longue peine de prison sur le continent, revient en Sardaigne, où il s’éprend de la fiancée de son frère, Maddalena, qui l’aime à son tour. Le roman est fait des incessantes oscillations entre le désir d’Elias et l’épouvante qu’il en conçoit, au point de songer à entrer dans les ordres pour résister à la passion, qui finit par l’emporter. Les principaux thèmes romanesques de Deledda s’y touvent réunis : rébellion impuissante contre l’injustice sociale, fatalité de la passion et de la faute, obsession de la culpabilité et de l’expiation. La Sardaigne bucolique, immémoriale et légendaire, qui sert de décor à ces drames leur confère les dimensions mêmes du mythe et de la fable. Cependant, Nel deserto et Annalena Bilsini, dont les personnages appartiennent à la bourgeoisie romaine et à la paysannerie du Pô, comptent également parmi les plus beaux romans de Deledda. Loin de s’enfermer dans une « manière » ou dans un genre, Deledda n’a jamais cessé en effet de renouveler son écriture et ses structures romanesques dans le sens d’un lyrisme de plus en plus raffiné. Et juste après La Madre, cette tragédie du mal que D. H. Lawrence a pu comparer aux Hauts de Hurlevent, Il Segreto dell’uomo solitario et La Danza della collana annoncent l’art de la grâce de l’allusion et de la réticence qui feront tout le charme de l’autoportrait à peine déguisé qu’est Cosima.

J.-M. G.

 E. De Michelis, Grazia Deledda e il decadentismo (Florence, 1938). / L. Roncarati, L’Arte di Grazia Deledda (Florence et Messine, 1948). / E. Buono, Grazia Deledda (Bari, 1951). / G. Petronio, « Grazia Deledda » dans Letteratura italiana, I Contemporanei, t. I (Milan, 1963). / A. Piromalli, Grazia Deledda (Florence, 1968).