Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

algèbre (suite)

Vandermonde est le véritable fondateur de la théorie des substitutions, distinguant, avant Gauss et Niels Abel (1802-1829), les fonctions cycliques des racines et décomposant les fonctions symétriques en fonctions cycliques. Apparaît ainsi la notion de substitution sur un ensemble fini, notion qu’approfondiront les algébristes ultérieurs et dont l’étude aboutira, avec Évariste Galois (1811-1832), au nouveau concept de groupe fini. Les idées de Vandermonde se retrouvent, d’une façon indépendante, dans un mémoire de Lagrange lu en 1771, Réflexions sur la résolution algébrique des équations. Dans ses Disquisitiones arithmeticae (1801), Gauss explicite les remarques de Vandermonde sur les équations binômes et obtient un résultat remarquable : l’inscription d’un polygone régulier de 17 côtés dans le cercle est possible à la règle et au compas. Plus généralement, pour qu’un polygone de n côtés — n étant un nombre premier — soit constructible à la règle et au compas, il faut et il suffit que n soit un nombre de Fermat.

L’étude des substitutions amène Paolo Ruffini (1765-1822) à donner en 1813 une démonstration, encore insuffisante, de l’impossibilité de la résolution algébrique de l’équation générale du cinquième degré. Abel apporte en 1824 et en 1826 des arguments enfin probants, mais c’est surtout Galois qui, par une démarche différente, établit solidement cette impossibilité en créant le mot et la notion de groupe, et en donnant, entre autres, la précision suivante : Pour qu’une équation de degré premier soit résoluble par radicaux, il faut et il suffit que, deux quelconques des racines étant données, les autres s’en déduisent rationnellement.

À un niveau plus élémentaire, mais historiquement important, le Français Pierre Laurent Wantzel (1814-1848) montre, en 1837, que, si un problème de géométrie conduit à une équation du troisième degré indécomposable sur le corps de ses coefficients, ce problème n’est pas résoluble à la règle et au compas. Il en est ainsi des deux antiques questions de la trisection de l’angle et de la duplication du cube.


Anneau des polynômes

C’est à la résolution des équations, et singulièrement aux Arithmétiques de Diophante, que l’on doit la notion de polynôme entier d’une ou de plusieurs variables. Avec Descartes, par exemple, ne seront considérées comme géométriques que les courbes dont l’équation, en axes cartésiens, est de la forme P(xy) = 0, où P est un polynôme. Ce sont nos courbes algébriques, et y, considéré comme fonction implicite de x, est une fonction algébrique. L’ensemble des polynômes P(x), construits sur le corps ℚ des nombres rationnels ou sur le corps ℝ des nombres réels, apparut assez rapidement avoir ce que nous appelons aujourd’hui une structure d’anneau intègre, euclidien : cet ensemble ressemblait étrangement à l’ensemble ℤ des entiers relatifs. On peut faire sur lui une addition, une soustraction et une multiplication pour laquelle les degrés s’ajoutent. Certains polynômes, indécomposables en produit de facteurs, jouent le même rôle que les nombres premiers absolus possèdent dans l’anneau ℤ des nombres entiers relatifs. On peut utiliser un algorithme analogue à celui d’Euclide, trouver un plus grand commun diviseur et un plus petit commun multiple de deux polynômes, etc. En 1585, Stevin expose déjà clairement cette idée. Un nouveau modèle d’être mathématique abstrait apparaît ainsi.


Les nombres complexes les quaternions

Le théorème fondamental de l’algèbre a montré que l’ensemble des nombres complexes était un corps algébriquement clos, c’est-à-dire que, sur ce corps, les seuls polynômes premiers étaient ceux du premier degré. Cependant, à la fin du xviiie s., la plupart des mathématiciens éprouvent une gêne devant ces êtres, les imaginaires, qui leur paraissent fort mal définis. Quelques mathématiciens, dont les principaux sont le Norvégien Caspar Wessel (1745-1818) en 1797, le Genevois Jean Robert Argand (1768-1822) en 1806, l’Anglais John Warren (1796-1852) en 1828, trouvent la représentation géométrique des nombres imaginaires au moyen des points d’un plan rapporté à un repère cartésien. Si, au point de vue abstrait, cette représentation n’apporte rien, elle tranquillise les esprits en satisfaisant à l’intuition. Baptisés complexes par Gauss en 1831, les nouveaux nombres sont adoptés par tous. Cependant, les spécialistes cherchent à généraliser davantage. Certains, comme Argand, s’efforcent de trouver des nombres correspondant aux points de l’espace à trois dimensions, c’est-à-dire, en un langage plus moderne, de doter un espace vectoriel, de dimension supérieure à 2 sur le corps ℝ des nombres réels, d’une multiplication associative et distributive sur l’addition. Depuis 1828, William Rowan Hamilton (1805-1865) s’efforce, à Dublin, de satisfaire à cette question. Il a déjà donné une définition satisfaisante des nombres complexes grâce à sa théorie des couples. Le 16 octobre 1843, par une illumination subite, il trouve qu’il ne peut pas exister de système de nombres sur un espace de dimension 3, mais qu’il en existe un sur un espace de dimension 4, système qu’il appela les quaternions. Dans ce système apparaissent l’unité ordinaire 1 et trois autres unités, i, j, k, telles que i2 = j2 = k2 = ijk = – 1. Cependant, si la multiplication des quaternions est bien associative et distributive sur l’addition, elle n’est pas commutative. Par exemple, i . j = k, mais j . i = – k.

C’était la première apparition d’une algèbre non commutative.


Les corps de nombres algébriques

Mais la théorie des nombres, surtout grâce au grand théorème de Pierre de Fermat (1601-1665), a fourni aussi à l’algèbre des conceptions nouvelles. Le corps ℂ des nombres complexes et le corps des quaternions sont des extensions du corps ℝ des nombres réels. Au contraire, les corps de nombres algébriques, nés des recherches d’Ernst Eduard Kummer (1810-1893) sur le théorème de Fermat, sont des sous-ensembles du corps ℂ des nombres complexes. On les obtient en adjoignant au corps ℚ des nombres rationnels une racine d’une équation P(x) = 0, où P(x) est un polynôme premier sur le corps ℚ des nombres rationnels. La théorie des corps de nombres algébriques est une très belle et très difficile extension de la théorie des nombres. Elle a conduit à préciser d’abord la notion de corps, et le mot lui-même fut forgé en la circonstance par Richard Dedekind (1831-1916). Il fallait préciser aussi ce qu’était un entier d’un corps. D’où la notion d’anneau, le mot étant dû à David Hilbert (1862-1943). On arrive ainsi peu à peu au vocabulaire actuel, où la structuration va des ensembles aux monoïdes, ensembles pourvus d’une opération, aux groupes, où l’opération est associative (ce terme est dû à Hamilton, 1843), avec existence d’un élément neutre et d’un inverse, aux anneaux, groupes commutatifs par rapport à une « addition », mais dotés d’une « multiplication » associative et distributive sur l’addition, et aux corps, anneaux qui sont des groupes par rapport à la multiplication. Les corps de nombres algébriques, sous-corps du corps ℂ des nombres complexes, sont évidemment commutatifs ; les quaternions ne le sont pas. Les termes de distributivité et de commutativité ont été créés en 1815 par le mathématicien français François-Joseph Servois (1767-1847), et les mots associatif et associativité en 1843 par Hamilton.