Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

algèbre (suite)

Les difficultés provenaient, pour les Italiens, de l’insuffisance de leurs notations, de l’habitude héritée des Arabes de n’avoir, dans chaque membre, que des termes positifs, mais surtout de quelque chose de fondamental, le cas irréductible, découvert par Cardan : lorsque, grâce à Archimède, on sait que l’équation a plusieurs solutions, la méthode précédente bute sur une équation du second degré à déterminant négatif, donc impossible. C’est ce paradoxe que tourne, peu avant sa mort, en 1572, Raffaele Bombelli en introduisant des nombres fictifs ou imaginaires. Ceux-ci sont des combinaisons linéaires sur le corps ℝ des nombres réels de l’unité 1 et d’une autre unité piu di meno, notre i. Ils sont donc de la forme a + bi. Ainsi apparaissait timidement le corps ℂ des nombres complexes.


Progrès des notations, le calcul littéral

Cependant, la langue algébrique se précise peu à peu. Michael Stifel avait su utiliser des lettres pour représenter des inconnues. Quant aux puissances de x, Diophante et les Arabes en avaient des notations assez discordantes, reprises par les divers algébristes, et, en 1484, Nicolas Chuquet apporte à cet égard une note originale :

La notation de Chuquet est reprise, avec quelques variantes, par Bombelli, Stevin et Descartes. Mais, surtout, Viète franchit un pas décisif lorsqu’il décide : de représenter par A, B, C, etc., toutes les grandeurs intervenant dans les calculs, qu’elles soient connues ou inconnues ; de réserver les consonnes aux grandeurs données et les voyelles aux inconnues ; de noter A + B la somme, A – B la différence, A in B le produit, le quotient, A Quad. le carré de A, etc., de façon à laisser toujours la trace des calculs effectués ; enfin de représenter par les lettres non seulement des nombres, mais aussi des grandeurs géométriques. Il fait ainsi la synthèse de l’algèbre des modernes et de la géométrie ancienne, telle qu’il la trouvait dans les Collections de Pappus d’Alexandrie, qui vécut probablement sous Dioclétien, au début du ive s. Une équation du second degré s’exprime chez Viète : Proponatur B in A quadratum, plus D in A, aequari Z solido, c’est-à-dire, en écriture moderne dont on doit l’essentiel à Descartes (1637), résoudre bx2 + dx = c.


La théorie des équations

Désormais, l’algèbre prend un double aspect. On voit d’abord se développer un courant nouveau : la logistique spécieuse de Viète et de ses disciples, ou calcul littéral. C’est en parlant de cette algèbre nouvelle que Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) écrit : Il y a cette différence en mathématique, entre l’algèbre et l’analyse, que l’algèbre est la science du calcul des grandeurs en général, et que l’analyse est le moyen d’employer l’algèbre à la solution des problèmes. On approche ainsi du sens actuel du terme. Quant au mot analyse, il est repris par Viète aux géomètres grecs comme substitut d’algèbre, qu’il trouve par trop barbare. Viète échoue dans cette tentative, et le nouveau terme d’analyse a pris une signification différente.

Le sens traditionnel du terme d’algèbre au xvie s., l’analyse de Viète, va se développer en une théorie des équations algébriques. C’est avec Viète que sont mises en évidence les relations entre coefficients du polynôme P(x) et racines de l’équation P(x) = 0. L’étude des fonctions symétriques des racines s’approfondit avec Thomas Harriot (1560-1621), Albert Girard (v. 1595-1632), Isaac Newton (1642-1727), Edward Waring (1734-1798) au xviiie s., avec Augustin Cauchy (1789-1857) au xixe s., etc. Ces belles relations ne sont, cependant, établies au début que lorsque les racines sont positives, puis lorsqu’elles sont réelles. Or, dès le second degré, certaines équations n’ont pas de racines. Qu’à cela ne tienne ! Peter Rothe de Nuremberg (mort en 1617), en 1608, Albert Girard, en 1629, et Descartes, en 1637, décrètent : Si n est le degré du polynôme P(x), l’équation P(x) = 0 admet exactementracines. Quand on ne peut pas les assigner, ces dernières sont appelées imaginaires ; on admet bien que l’on peut calculer sur elles comme sur des nombres réels, mais, de cela, on ne fournit aucune preuve. Cependant, les racines imaginaires de x2 + l = 0 se notent et l’on constate que celles des polynômes du second degré sont de la forme et appartiennent ainsi toutes au type mis en évidence par Bombelli. Peu à peu, on réalise que ce type est suffisant pour la résolution de toutes les équations. En 1746, d’Alembert, admettant toujours le principe de l’existence des n racines, donne une démonstration du fait qu’elles sont bien de la forme démonstration jugée satisfaisante par ses émules. François Daviet de Foncenex (1734-1799), Louis de Lagrange (1736-1813), Pierre Simon de Laplace (1749-1827) améliorent cette preuve. Mais Carl Friedrich Gauss (1777-1855) voit un cercle vicieux dans cette démarche et, rejetant le principe, démontre rigoureusement l’existence des racines complexes pour tout polynôme. C’est le théorème fondamental de l’algèbre, ou Théorème de d’Alembert, qui a cette particularité de nécessiter un appel à la continuité, à l’analyse ou à la topologie et de transcender par conséquent le domaine de l’algèbre pure.

En elle-même, l’attitude des algébristes du xviiie s. n’est pas absurde. Si un polynôme P(x), construit sur un corps commutatif K, y est indécomposable ou premier, on peut toujours, par adjonction à K d’une quantité indéterminée, construire un corps de rupture, où le polynôme donné aura au moins une racine. Le théorème fondamental se ramène alors à ceci : Si K est inclus dans le corpsdes nombres réels, alors le corps de rupture est inclus dans le corpsdes nombres complexes.


Résolution algébrique des équations

Cette expression, qui tombe en désuétude, a longtemps signifié la résolution des équations par combinaisons finies de radicaux carrés, cubiques, etc. On cherche à étendre les procédés qui ont réussi pour les quatre premiers degrés. Parmi les études les plus remarquables dans cette direction figurent celles d’Ehrenfried Walter von Tschirnhaus (1651-1708). Celui-ci s’efforce de ramener par changement de variable toute équation à la forme binôme (1689). Leonhard Euler (1707-1783) et Étienne Bezout (1730-1783) ont ultérieurement travaillé dans la même voie. Mais un mémoire d’Alexandre Théophile Vandermonde (1735-1796), paru en 1770, inaugure une ère nouvelle. Pour Leopold Kronecker (1823-1891), l’essor moderne de l’algèbre commence avec lui.