Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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décoratifs (arts) (suite)

La révolution des usages civils qui suivit la mort de Louis XIV eut pour conséquence l’invention d’une foule de meubles dont le Grand Siècle n’avait pas eu besoin. Coup sur coup, dès les années 1725, apparaissent les meubles féminins, la toilette, le secrétaire, après la commode inventée par Charles Boulle* dès 1690 et mise au goût nouveau sous la Régence. Tout au long du xviiie s., la figure du mobilier reflétera l’évolution des idées, selon les influences étrangères et les découvertes archéologiques. La « chinoiserie », qui règne en tous les domaines, favorise l’adoption d’une dérivation du baroque italien, la rocaille*, qu’introduit à Paris, avec un éclatant succès, l’orfèvre et ornemaniste Juste Aurèle Meissonnier (1695-1750). Vers 1760, la résurgence de l’Antiquité détermine l’élaboration du style « à la grecque ». La Renaissance, puis les ornemanistes classiques avaient puisé aux mêmes sources mais dans un esprit tout autre. Le xviiie s., tant en France qu’en Angleterre, crée un formalisme original. Un élément nouveau, l’acajou qu’elle importait du Honduras, fournissait à l’ébénisterie britannique le moyen d’un style inédit ; la France en fera celui de l’Empire, que perpétuera, substituant les bois clairs de pays à l’acajou, la Restauration. L’Allemagne, l’Italie, la Scandinavie démarquent alors la France.

Tous les métiers d’art s’associent à ce retour au classicisme. L’orfèvrerie, qui, sous la main des rocailleurs, avait tordu le bronze avec un sens aigu du naturalisme, fait retour aux formes droites et aux curvations symétriques. Mais Louis David* impose le culte de Rome : les balustres font place aux cariatides porteuses de couronnes et de palmes. L’orfèvrerie de table se simplifie : les chantournements et les « fruitelets » des couvercles, que l’époque de Louis XV ciselait en artichaut, en écrevisse, en bouquet de légumes, se redressent et se limitent à quelque ornement classique. La ferronnerie que forgeaient à Nancy Jean Lamour (1698-1771) et en Angleterre Jean Tijou adopte les formes classiques, dont la grille du palais de justice de Paris fournit aussi un exemple de grand caractère. Le textile multiplie les trouvailles, invente les quelque deux mille « armures » dont la croisure et la disposition produisent des effets différents. La céramique de Rouen a des rivales : Moustiers et Marseille émaillent au grand feu comme elle, empruntant des décors légers à Berain*, Audran* et Claude Gillot (1673-1722). Bientôt Strasbourg adopte le décor au feu de moufle sur émail, qui permet l’emploi d’une palette beaucoup plus étendue. Marseille l’imite, et Niederwiller, puis nombre d’ateliers. Mais à Meissen, en Saxe, une céramique nouvelle s’élaborait : la porcelaine* dure. Jusqu’alors, maintes manufactures avaient traité, non sans bonheur, une pâte d’émail qu’on jugeait analogue à ses modèles chinois : la porcelaine tendre de Saint-Cloud, de Mennecy, de Chantilly, de Tournai, de Vincennes — et de Sèvres*. Grâce à l’argile kaolinique du Limousin, la manufacture royale française peut mener de front les deux fabrications, avant de se consacrer uniquement, à partir de 1802, à la porcelaine dure. Celle-ci se répandait à Vienne, en Autriche, et, en Allemagne, à Frankenthal, Nymphenburg et Berlin. L’Angleterre, elle, mettait au point sa « faïence fine », plus facile à travailler, moins coûteuse et d’effet analogue : imitée en France, elle donna naissance à d’admirables ouvrages.

Venise avait gardé longtemps le secret de la fabrication du verre limpide : ses imitations françaises et flamandes étaient loin d’égaler les siennes en pureté. Colbert débaucha quelques transfuges et suscita l’établissement, à Tourlaville en Normandie, d’une manufacture qui bientôt produisit les grandes glaces coulées du palais de Versailles. La verrerie de forme prit un développement nouveau, tandis que la Bohême fondait et taillait un verre d’une extraordinaire blancheur. Le succès de ses décors incisés à la molette obligea Venise à pratiquer à son tour ce procédé, qu’elle avait d’abord dédaigné. La Suisse, l’Allemagne, l’Espagne rivalisent, dès le xviie s., avec ces premiers foyers, et l’Angleterre, qui avait inventé le cristal plombifère, s’essayait à le rendre incolore. Ce n’est qu’au xixe s. que la verrerie européenne y parviendra.

Dans les domaines de l’art décoratif ouverts à l’initiative individuelle, le xixe s. aurait pu chercher des solutions nouvelles. Mais il restait prisonnier d’une érudition qui s’appliquait à reproduire les modèles antiques, tenus pour détenir le secret du beau, inconditionnel et intemporel, sans en connaître les principes essentiels ni les motivations oubliées. Un nouveau répertoire lui avait été fourni par le musée des Monuments français, création de la Constituante. Les artistes y découvrirent un vocabulaire ornemental ; ils l’exploitèrent sans critique, mêlant le formulaire roman à celui de la Renaissance et le gothique au byzantin : ils en firent le style « troubadour », qu’inspirait d’autre part le romantisme allemand et britannique. Puis le système se démoda. Dans toute l’Europe, les artistes travailleront alors à l’élaboration d’un style inédit ; c’était s’engager dans une voie sans issue. Il n’y a pas de forme heureuse qui n’exprime d’abord un programme et des impératifs utilitaires. C’est à les déterminer que s’attachera le génie moderne.

G. J.

➙ Se reporter aux noms des principales techniques et des grandes civilisations. Pour la France voir : Louis XIII (style Henri IV et) / Louis XIV (style) / Louis XV (style Régence et) / Louis XVI et Directoire (styles) / Empire et Restauration (styles) / Empire (style second).

 E. M. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carlovingienne à la Renaissance (Morel et Cie, 1854-1875 ; 6 vol.). / H. Havard, Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration depuis le xviiie siècle jusqu’à nos jours (Quantin, 1887-1890 ; 4 vol.). / H. T. Bossert, Geschichte des Kunstgewerbes aller Zeiten und Völker (Berlin, 1928-1935 ; 6 vol.). / J. Evans, Pattern. A Study of Ornement in Western Europe from 1180 to 1900 (Oxford, 1931 ; 2 vol.). / J. de Fontanès, Histoires de métiers d’art (Éd. d’art et d’histoire, 1951). / M. Jallut, Histoire des styles décoratifs (Larousse, 1966). / G. Janneau, Dictionnaire des styles (Larousse, 1966). / Encyclopédie des styles d’hier et d’aujourd’hui (Denoël, 1969). / H. de Morant, Histoire des arts décoratifs (Hachette, 1970). / P. Verlet (sous la dir. de), Styles, meubles, décors, du Moyen Âge à nos jours (Larousse, 1971-72 ; 2 vol.).