Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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décoratifs (arts) (suite)

Au milieu du xiie s. s’accomplit un profond remembrement de la société. La Couronne gagne sur les grands féodaux et sur les abbayes, devenues puissances temporelles abusives. Un immense élan populaire élève les cathédrales. Mais ce ne sont plus les moines qui conduisent à travers l’Europe l’exécution des plans, ce sont des maîtres maçons laïcs. Sous leur direction se constituent des communautés professionnelles, dont les travaux s’inspirent non plus des modèles canoniques ni des minutieuses méthodes monastiques, mais d’un pragmatisme ouvert à toutes les recherches. Le décor de l’architecture affecte un caractère nouveau. Si les vitraux romans convenaient aux étroites fentes ménagées dans l’épaisseur de murs épais, les vastes baies gothiques seront divisées par des meneaux dans lesquels s’ancrent les fers subdivisant les surfaces pour soutenir le poids des verres. Les sols des églises romanes étaient carrelés d’une véritable mosaïque de pièces assemblées ; on adopte un procédé plus prompt, consistant en l’estampage dans le carreau d’un motif ornemental de terre colorée, un vernis protégeant le tout. C’est là un art nouveau qui se perpétuera jusqu’à la vulgarisation de la faïence au xvie s.

L’art gothique laïc ne disposait plus des modèles byzantins détenus par les monastères. Il va trouver les siens dans la nature ; aux acanthes se substituent pour décorer bandeaux et cordons de pierre les feuilles du jardin voisin. L’observation retrouve le principe grec méconnu par Rome et Byzance : qu’une forme se modèle par des plans et non par une juxtaposition de détails, et que son échelle doit grandir en proportion de l’éloignement. La décoration gothique ne rejette pas pour autant les formes imaginaires, chimères et monstres sculptés auxquels on n’est pas sans reconnaître une sorte de crédibilité, comme aux faunes et aux centaures de la Grèce.

À tous les métiers d’art s’impose l’obligation de produire beaucoup et vite. La commande s’est multipliée. L’émaillerie cloisonnée exigeait un travail patient et des moyens coûteux : Limoges invente l’émaillerie champlevée. Les églises commencent à se pourvoir de boiseries et de stalles : celles de la cathédrale de Poitiers, par exemple, qui datent du xiiie s., dénotent un talent qui ne peut être que le fruit d’une longue expérience. En effet, l’église d’Aubazines en Corrèze conserve une armoire décorée d’arcatures aveugles d’une excellente exécution : le xiie s. possédait donc une authentique maîtrise. Il est surprenant qu’à la même époque appartiennent les coffres aux madriers massifs maintenus assemblés par des ferrures forgées dessinant des involutions, les pentures. Mais l’art décoratif médiéval est profondément rationnel. Ces coffres étaient destinés aux barons en fréquents déplacements pour la défense de leurs domaines et contraints d’emporter avec eux les chartes, les tissus, les orfèvreries qui constituaient leur avoir. Les coffres, exposés à de rudes manutentions, devaient être capables d’y résister. Aussi bien, dès l’établissement d’un pouvoir central souverain, en France, au début du xve s., les hauts barons se donneront un mobilier* luxueux : lits à piliers sculptés, coffres décorés d’arcatures et de figures, buffets à compartiments aux fenestrages évidés, meubles de lecture et même lambris à hauteur d’appui, qu’on appelle chambrillages. Le xve s. ouvre l’ère de la menuiserie décorative en Italie, en France, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne.


Depuis la Renaissance

Dans toute l’Europe se développe la pratique des arts précieux. L’Italie se fait une spécialité des beaux tissus : velours ciselés et gaufrés de Venise, de Lucques, de Gênes, qu’imiteront en France Lyon et Tours. La péninsule est aussi la grande productrice de la faïence*, appliquée à l’architecture par les Della Robbia*, à la poterie décorative par les ateliers de Faenza, d’Urbino, de Gubbio, de Deruta. L’Espagne, où s’étaient montés les premiers fours à céramique lustrée de Majorque et de Valence, restera longtemps fidèle à la technicité qu’elle tenait des Maures. Bientôt, dès le xvie s., quelques ateliers s’organisent en France : Nîmes, Lyon, Montpellier, Rouen produisent la « poterie de terre blanche ». Bernard Palissy* modèle ses « rustiques figulines ». En la première moitié du xviiie s. rivalisent avec les faïenceries de Delft celles de Nevers, puis de Rouen et leurs nombreuses imitatrices. La ferronnerie* s’était pratiquée en France, au Moyen Âge, avec un éclat particulier ; les pentures du portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris, chef-d’œuvre du xiiie s., posent encore des problèmes aux techniciens de la forge. Avec les ferronniers français vont rivaliser leurs émules espagnols, italiens, allemands.

La société féodale avait placé son luxe principal dans une production somptueuse et transportable, la tapisserie* de lisse. Il semble que dans les monastères angevins, ainsi qu’en Alsace, le beau métier ait été pratiqué très tôt, mais la plus ancienne pièce connue, la Présentation au temple du musée du Cinquantenaire, à Bruxelles, n’est pas antérieure à 1360. De cet art de grande décoration, Paris, Arras*, Tournai sont les principaux foyers, précédant Bruges, qui tisse à hautes lisses, Audenarde et Bruxelles, qui travaillent à basses lisses. La véritable colonie flamande installée par Henri IV dans l’ancienne teinturerie des Gobelins*, à Paris, fournira son personnel, accru des tapissiers français conduits par Charles Le Brun*, à la manufacture des Meubles de la Couronne instituée par Colbert. Pendant trente ans, l’atelier pilote, gouverné par le Premier peintre, produira tapisseries, meubles de cabinet, mosaïques, et ces meubles d’argent massif que les désastres de la fin du règne obligeront Louis XIV à faire monnayer.

La tapisserie murale conserva longtemps son rôle décoratif. On en « tendait » les palais et les rues lors des réceptions princières. Aussi bien Colbert stimulait-il les manufactures privilégiées de Beauvais*, de Felletin, d’Aubusson. À l’exemple de la France, des dynastes italiens avaient, dès le xvie s., suscité dans leur domaine des ateliers de lissiers, auxquels on doit, tissés d’après les maîtres italiens, d’admirables ouvrages. Mais cet art majestueux se démode, la vie de cour est abandonnée, dès le premier quart du xviiie s., pour la vie de compagnie. On renouvelle l’usage des lambris, concurremment avec celui des lampas pour les appartements d’hiver et, dès 1760, celui des « indiennes », les toiles de Jouy de Christophe Philippe Oberkampf (1738-1815), pour les appartements d’été. Un autre élément décoratif (essayé dès 1688) se répand en France au cours du xviiie s., le papier peint, auquel la mode venue d’Angleterre substituera pour un temps le papier bleu monochrome. L’antiquomanie de la fin du siècle peindra les murs d’une couleur unie sur laquelle trancheront en tons contrastés des médaillons et des frises.