Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dante Alighieri (suite)

Si les Épîtres contemporaines de la Monarchia attestent la ferveur de l’engagement politique de Dante et l’espoir passionné qu’avait suscité en lui l’élection à l’Empire de Henri VII, son traité (comme les Épîtres, écrit en latin) est entièrement dominé par la rigueur de la spéculation théorique. Développant les thèses esquissées dans Il Convivio, il affirme, dans le livre premier, la perfection de l’institution monarchique, indispensable à la paix et au bonheur du genre humain, et démontre, dans le livre II, que l’Empire romain — survivant dans le Saint Empire germanique — est la légitime incarnation historique de la monarchie universelle. Dans le livre III, enfin, il emprunte à Averroès l’idée de l’autonomie du pouvoir temporel par rapport au pouvoir spirituel, que le pape doit exercer uniquement en vue de reconduire l’Église à la pauvreté évangélique.


La Divine Comédie

Surgie à l’aube de la poésie italienne en langue vulgaire, la Comédie (devenue la Divine Comédie [La Divina Commedia] dans le commentaire des premiers exégètes) n’a cessé de représenter, pour toute l’histoire de la littérature italienne, le « livre de l’origine » (qui manque par exemple à la littérature française). Dante ne l’en a pas moins conçue, à la lettre, comme le « livre des livres », dans la perspective apocalyptique de la fin de l’histoire et au seuil prophétique d’une palingénésie de l’humanité ; en d’autres termes, comme une Somme : rhétorique, poétique, morale, politique, historique, philosophique, scientifique et théologique. À cet égard, le titre même de Comédie (justifié, traditionnellement, par la structure ascendante du poème, du « négatif » au « positif », de l’Enfer au Paradis) ne rend compte qu’imparfaitement du projet « totalitaire » de l’œuvre, au double niveau de l’expression et de la fiction, qui fait éclater les rigoureuses catégories de la rhétorique médiévale. Dante lui préfère d’ailleurs la définition de « poème sacré » (Paradis, XXVI), soit le déchiffrement et la révélation d’un ordre transcendantal à travers les contradictions de l’histoire humaine, et l’accomplissement de celle-ci dans l’éternité. Bien plus en effet que dans telle ou telle illustration, au demeurant géniale, des techniques « comiques » (cf. en particulier les « Malebolge », Enfer, XVIII-XXX), c’est dans la double articulation exégétique et poétique de la Comédie et dans sa prodigieuse extension linguistique que se manifeste — et Sanguineti a récemment insisté sur ce point — le véritable « réalisme » de Dante. Et dans cette ambition de représenter la totalité du réel et de l’histoire à la lumière de la transcendance, bien plus encore qu’à la leçon (exclusivement tragique ou sublime) de Virgile, le guide fictif de son voyage d’outre-tombe, c’est à la Bible que Dante demande de l’inspirer, comme il s’en explique dans une épître à Cangrande Della Scala (1316-17) en lui adressant le Paradis. Son idéal est d’atteindre à l’épaisseur signifiante de l’écriture biblique, à la polysémie de sa lettre. D’où l’infinie richesse de l’articulation du sens dans la Divine Comédie par rapport aux précédentes expériences de Dante, encore soumises à la poétique médiévale de l’allégorie. Excepté les tout premiers chants de l’Enfer, la représentation n’y est jamais résorbée dans le symbole, mais c’est précisément de la représentation au symbole, comme entre deux pôles, que naît la « tension » proprement poétique, à la fois narrative et métaphorique, de l’écriture.

Composée de 3 fois 33 chants (plus un chant d’introduction), la Divine Comédie narre l’itinéraire fictif de Dante, sous la tutelle des trois saintes femmes, Marie, sainte Lucie et Béatrice, dans l’outre-tombe, en l’an jubilaire 1300. Le voyage commence la nuit du jeudi au vendredi saint et s’achève au purgatoire le mercredi saint (au paradis le jour est éternel et ne compte plus). Après Énée et saint Paul, venus, l’un y chercher la preuve providentielle de la mission impériale de Rome, l’autre en champion de la foi chrétienne, Dante est le troisième homme à qui il ait été donné de parcourir l’outre-tombe, afin de rappeler à la mémoire de l’humanité corrompue l’indissoluble unité des deux institutions, voulues par Dieu, de l’Église et de l’Empire.

L’Enfer, gouffre provoqué par la chute de Lucifer, a la forme d’un gigantesque entonnoir dont la plus large circonférence a pour centre Jérusalem (lieu de la passion du Christ) et dont la pointe inférieure se trouve au centre de la terre (lieu dont la totale obscurité est négation de Dieu, qui est lumière). Il est divisé en 9 terrasses, ou cercles concentriques. Aux antipodes de Jérusalem surgit l’île montagneuse du Purgatoire, dont la masse correspond à celle de la terre, déplacée par la chute de Lucifer. La base de cette montagne (ou Antépurgatoire) plonge dans l’atmosphère, au-dessus de laquelle s’élève la cime du Purgatoire proprement dit, échelonné en 7 terrasses, ou girons, au sommet desquels s’étend le luxuriant plateau du Paradis terrestre, d’où Dante et Béatrice s’envolent successivement à travers les 9 ciels du Paradis, jusqu’à l’empyrée.

J.-M. G.

➙ Florence / Italie.

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On peut également consulter le Bulletin de la société d’études dantesques (Nice), l’Annual Report of the Dante Society (Cambridge, Mass.), le Deutsches Dante-Jahrbuch (Weimar), les Studi danteschi (Florence).