Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Dalmatie (suite)

L’État serbe du Moyen Âge (fin xiie-xiiie s.), l’État bosniaque au xive s. (sous Étienne II Kotromanić et surtout Tvrtko Ier) engloberont la partie méridionale de la Dalmatie. Mais de 1420 jusqu’en 1797, les îles et les villes du littoral (moins Dubrovnik, qui a un statut indépendant) dépendront de Venise.

Au xviie s. et au début du xviiie s., les Turcs conquièrent l’arrière-pays et une petite partie du littoral au sud d’Omiš, provoquant une émigration des populations slaves vers la région du littoral. La Dalmatie vénitienne s’étendra aux dépens des Turcs lors des guerres austro-turques (traité de Sremski Karlovci en 1699, de Požarevac en 1718). Le traité de Campoformio en 1797 octroie à l’Autriche les possessions vénitiennes en Dalmatie ; mais en 1805 la Dalmatie (et Dubrovnik) revient aux Français, qui l’incluent dans les Provinces Illyriennes (1809-1814). Au traité de Vienne, en 1815, l’Autriche en reprendra possession. L’occupation française, qui a favorisé certaines réformes « jacobines », amorce un renouveau national suscité par l’affirmation de la langue populaire slave (illyrienne).

Mais après 1815 le centre de l’illyrisme devient la Croatie ; malgré ses promesses, l’Autriche empêchera toujours le rattachement de la Dalmatie à la Croatie ; le compromis austro-hongrois de 1867 soumet la Dalmatie à l’Autriche, tandis que la Croatie dépend de la Hongrie. En Dalmatie même, il existe d’ailleurs une opposition entre d’une part les « autonomistes », de culture italienne, partisans d’une autonomie sous la dépendance de l’Autriche, et qui ont longtemps une influence prépondérante, et d’autre part les « unionistes », partisans de l’union avec la Croatie (parti « national ») ; les unionistes finiront par obtenir en 1870 la majorité à la Diète dalmate. Par la suite, des dissensions apparaissent entre Serbes et Croates ; elles affaiblissent le parti national.

Au début du xxe s., ce sont des députés de Dalmatie (Frano Supilo, Ante Trumbić) qui sont les initiateurs, en Croatie et en Dalmatie, du rapprochement entre Serbes et Croates (résolution de Zadar et de Fiume en 1905) [v. Croatie]. Pendant la guerre, ces deux députés animent le Comité national yougoslave de Londres, créé pour la défense des intérêts des Yougoslaves de l’Autriche-Hongrie.

En 1918, la Dalmatie entre dans le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, mais, par le traité de Rapallo en 1920, l’État yougoslave doit céder à l’Italie, en plus de l’Istrie, les îles de Krk, de Lastovo, de Palagruž et la ville de Zadar, territoires qui ont été promis par les Alliés à l’Italie dans le traité secret de 1915.

En 1941, une partie du littoral dalmate est annexée par l’Italie. En mai 1944, l’île de Vis devient le quartier général du mouvement des partisans de Tito, qui y signe en juin 1944 un accord avec Ivan Šubašić, le représentant du gouvernement royal en exil. En 1945, la Dalmatie entre dans la république de Croatie ; elle recouvre aujourd’hui une entité géographique (il n’y a pas de nationalité dalmate), mais elle a gardé de son histoire certaines particularités, ainsi que des traces de l’influence italienne, dans l’architecture notamment.

M. P. C.

➙ Croatie / Yougoslavie.

Dalou (Jules)

Sculpteur français (Paris 1838 - id. 1902).


La IIIe République a trouvé en Dalou son Carpeaux*. Si de l’élève au maître la distance, pour un œil moderne, reste grande, la comparaison ne doit pas tourner au détriment du dernier. Travaillant lentement, concevant difficilement, magnifique praticien, Dalou n’est assurément pas un artiste inspiré. Mais, face à Rodin*, il apparaît comme le tenant d’un classicisme éclectique et savant, nourri à une veine populaire et réaliste, animé parfois d’un souffle baroque qui en fait le plus doué des artistes officiels.

Le père de Dalou, ouvrier gantier, était républicain et protestant. Jamais le fils n’allait renier, au contraire, son ascendance ouvrière, sa formation laïque et son engagement politique, essentiels pour comprendre aussi bien son succès que son inspiration. Enfant, il entre à la « petite école », où, par un admirable hasard, son répétiteur est le jeune Carpeaux. Admis à l’École des beaux-arts, il est en 1854 élève de Francisque Duret, dont il reçoit une solide formation académique. Même s’il quitte assez vite l’école pour travailler chez des orfèvres, près desquels il acquiert, comme Barye*, le goût de l’objet de petit format ciselé et parfait, il n’en concourt pas moins pour le prix de Rome (en vain) et expose aux Salons, où sa Brodeuse, en 1870, est remarquée.

La guerre de 1870 et la Commune allaient changer le cours de sa vie. Dalou, membre de la Fédération des artistes, est délégué à la surveillance du Louvre. Malgré une action raisonnable et fort effacée, il est contraint de fuir à Londres, où il devient vite célèbre, donnant des « sujets d’intimité » qui charment la gentry. À son retour en France (1879), auréolé de son exil, il reçoit la commande du Triomphe de la République, son chef-d’œuvre, inauguré en 1899 seulement sur la place de la Nation, à Paris. Dalou, accablé de commandes qu’il réalise difficilement, s’absorbe, pour épargner à sa famille tout souci financier, dans des besognes moindres, toujours parfaites, qui l’empêchent d’exécuter son grand projet de Monument aux travailleurs.

Apparemment, Dalou est écartelé entre des recherches inconciliables. Sa Fraternité (1883, mairie du Xe arrond., Paris), qui magnifie l’installation du régime républicain, est un hommage à Carpeaux. Dans ce haut-relief, frémissement et sensualité viennent du maître, avec un « gras », une truculence, un goût de la couleur, qui ne s’expliquent pas sans la connaissance des Flamands ; l’énergie contenue, en même temps, peut faire songer à Rude*. D’autre part, Dalou a médité et admiré la sculpture du siècle de Louis XIV : un relief comme le Mirabeau répondant à Dreux-Brézé (Chambre des députés, 1883-1890) est un commentaire littéral des discours de l’Académie. Dans le monument à Eugène Delacroix (1890, jardin du Luxembourg), il rivalise avec le Bernin même.