Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cybernétique (suite)

Chaque élément contient un stock de 25 résistances, dont les valeurs ont été choisies au hasard. Une seule résistance sur les 25 est en service. Lorsque le courant de triode dépasse un certain seuil, une commutation remplace la résistance en service par une autre. Les quatre éléments sont solidarisés par les circuits de feed-back et, à chaque instant, la combinaison des quatre résistances en service est une parmi 254. Tant que les palettes sont à leur position d’équilibre, rien ne se passe, les triodes étant réglées pour que le signal d’erreur soit nul. Dès que l’on agit sur une palette, l’élément correspondant émet un signal d’erreur qui va agir sur les trois autres palettes, lesquelles, à leur tour, vont générer d’autres signaux. Si l’un de ces signaux est trop important, il y a commutation de résistance et relance du processus. L’homéostat retrouve toujours une position d’équilibre, même si l’on fixe une des palettes loin de sa référence. Ce mécanisme trouve seul, en lui-même, le type de restructuration nécessaire à son équilibre. Si l’on assimile chaque résistance à un comportement élémentaire possible, c’est le système lui-même qui définit la combinaison de comportements, la stratégie à choisir et le choix des moyens nécessaires à l’obtention de son but, c’est-à-dire à l’atteinte de sa finalité. Il constitue un modèle d’autonomie des moyens.

Deux choses sont à retenir :

• Ashby a introduit dans les concepts de servomécanismes la correction non simplement par signal d’erreur, mais par modification de la fonction interne du système ;

• Quelle que soit la combinaison des résistances en service, il suffit de mettre les quatre palettes à leur position d’équilibre pour que l’équilibre soit obtenu. Le système est statique.

L’importance de l’homéostat vient du fait qu’il rend parfaitement compte de la partie des mécanismes instinctifs qui ont trait à la poursuite d’une finalité imposée.

Recherche d’une finalité par mémorisation. Le fait de disposer de la description d’une expérience antérieure, c’est-à-dire d’une « stratégie » ayant fait ses preuves, est un facteur fondamental d’efficacité. Dès cette étape, un système dispose de la « dimension historique » qui lui manquait jusqu’alors. La mémoire doit être considérée comme un simulateur du passé. On l’utilise en essayant de recréer les conditions expérimentales ayant conduit au succès. Tout type de mémoire, même celle des ordinateurs, peut être un tel facteur de poursuite de finalité.


Détermination d’une finalité

Le niveau d’autonomie d’un système dont le « constructeur » a fixé lui-même la finalité est relativement bas. En revanche, il devient extrêmement important d’imaginer des mécanismes qui construisent par eux-mêmes leur propre finalité. Celle-ci ne peut déborder la nature même du mécanisme, mais on peut soutenir que l’homme lui-même ne peut transcender les possibilités implicites de son corps et en particulier de son cerveau, qui, potentiellement, est apte de toute évidence à engrammer ses mythes les plus échevelés.

Détermination d’une finalité par restructuration interne. Ce problème a été abordé par le système S4 à partir de l’homéostat, qui n’est qu’un servomécanisme complexe, et il ne dépasse pas ce niveau d’autonomie. Ce système S4 donne une simulation intéressante du comportement instinctif pur (invertébrés), en effet :
— une même information ne donne pas toujours le même comportement ;
— des informations différentes peuvent générer des comportements semblables ;
— enfin, il apparaît des cycles de comportements complexes dont la durée est limitée sans que le système comporte aucun organe de mémoire ou de programmation. De là leur dénomination de systèmes épigénétiques pseudo-programmés. Ce sont des systèmes dynamiques, mais strictement « anhistoriques » du fait justement de l’absence de mémoire.

Dès le niveau de leurs fonctions élémentaires, les systèmes cybernétiques n’agissent plus en fonction de la description d’un état de leur environnement, mais uniquement sous l’influence des informations parfaitement abstraites que constituent les signaux d’erreur.

Détermination d’une finalité par mécanisme de mémorisation. Le rôle fondamental d’une fonction de mémoire est de constituer pour un système épigénétique un second environnement s’opposant à l’environnement matériel de l’« ici et maintenant ». En combinant les informations venant de ces deux origines, le système échappe à l’asservissement fatal imposé par l’univers qui l’entoure. Il s’échappe du carcan du comportement instinctif et devient un système dynamique historique indépendant de l’univers matériel actuel tant en ce qui concerne sa finalité que ses informations.


Cybernétique et société

Comme dans tout système biologique, la structure sociale est fondamentalement cybernétique. On y trouve toutes les modalités de rebouclage par rétroaction soit positive (explosive ou annihilante), soit négative, de stabilisation ou de stagnation. On peut soit les étudier en « physiologiste », soit user de la connaissance cybernétique pour orienter la société vers un état souhaité, et cela avec une économie de moyens qui a manqué dans le déroulement de l’histoire « sauvage » qui est celle de l’humanité à ce jour. L’organisation de l’évolution de l’histoire future vers des buts qui transcendent la cybernétique est certainement la justification essentielle de celle-ci.

J. S.

➙ Modèle / Servomécanisme.

 N. Wiener, Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine (Cambridge, Mass., 1948 ; 2e éd., 1962) ; The Human Use of Human Beings, Cybernetics and Society (Boston, 1950 ; trad. fr. Cybernétique et société, Deux-Rives, 1952 ; nouv. éd., U. G. E., 1962). / L. Couffignal, les Machines à penser (Éd. de Minuit, 1952 ; 2e éd., 1964) ; Notions de base (Gauthier-Villars, 1958) ; la Cybernétique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1963 ; 4e éd., 1972). / P. de Latil, la Pensée artificielle (Gallimard, 1953). / W. R. Ashby, An Introduction to Cybernetics (Londres, 1956 ; nouv. éd., 1961). / A. Ducrocq, Logique générale des systèmes et des effets (Dunod, 1960). / G. Klaus, Kybernetik und Gesellschaft (Berlin, 1964). / J. Piaget (sous la dir. de), Logique et connaissance scientifique (Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1967). / G. Cellérier, S. Papert et G. Voyat, Cybernétique et épistémologie (P. U. F., 1968). / P. Idatte, Clefs pour la cybernétique (Seghers, 1969). / J. Sauvan, Cosmologie pour un cerveau (Lausanne, 1972). / A. Robinet, le Défi cybernétique : l’automate et la pensée (Gallimard, 1973).